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Les bouteilles de vin sont légion dans nos supermarchés. De toute origine, de tout type et de tout prix. Si certaines bouteilles coûtent plusieurs dizaines d'euros (et même parfois bien plus que cela), d'autres sont loin de coûter des fortunes, à peine 3 euros pour les moins chères.
"L'essentiel du marché en Belgique tourne autour de 6 euros", rapporte le célèbre sommelier Eric Boschman.
Ces prix, qui frôlent les trois ou quatre euros, interrogent quand ils ne créent pas de la suspicion. Comment ces vins peuvent-ils être vendus si peu chers et que tout le monde y trouve son compte ?
Qui gagne quoi sur la vente d'une bouteille de vin?
Après avoir mené notre petite enquête, impossible de savoir avec certitude quelle est la marge qu'empochent les grandes surfaces sur la vente d'une bouteille de vin. L'information reste top secrète. Pour autant, il est possible d'avoir ces informations dans le cadre d'un achat chez le caviste.
Marc Roisin, gérant du guide du vin Vinogusto, nous explique que sur la vente d'une bouteille de vin, il faut compter la TVA, la marge du caviste (qui peut varier de l'un à l'autre évidemment), les frais de transport et accises, ainsi que la part du producteur.
Nous avons fait le calcul pour vous: quand vous achetez, par exemple, une bouteille de vin à 10€ chez le caviste, 2,4€ reviennent à ce dernier, 4,6€ au producteur, 1,3€ paye les frais de transport et les accises. Enfin, il ne faut pas oublier la TVA à 21%.
Attention toutefois, le spécialiste précise que ce calcul ne vaut que "si le caviste a acheté directement le vin chez le producteur". Ça arrive et ça permet de minimiser les coûts, mais en général, il faut compter avec un intermédiaire en plus: l'importateur. "Le prix est alors plus élevé, mais l'importateur prend une partie des risques. En travaillant avec un importateur, le caviste n'est, par exemple, pas dans l'obligation d'acheter des grandes quantités du même vin, sans savoir si sa clientèle sera au rendez-vous."
Dès lors, la bouteille de vin à 10€ dont nous parlions ci-avant pourrait coûter 11,50 à 12€ en passant par l'importateur, nous apprend l'expert.
Revenons à nos grandes surfaces. Si les marges exactes ne sont pas connues, Marc Roisin peut affirmer qu'elles "sont inférieures à celles d'un caviste" pour différentes raisons: "Elles peuvent se le permettre grâce à leur volume, aux frais de personnel qui sont moindres ou encore grâce à des vins achetés en vrac (NDLR: nous reviendrons sur ce point)."
C'est l'une des raisons pour lesquelles il est plus probable de trouver une bouteille de vin pour quelques euros seulement.
Et le vignoble dans tout ça?
Si dans la simulation que nous faisions ci-dessus le producteur est celui qui détient la plus grande partie, il serait naïf de penser qu'il "gagne" directement ce montant sur chaque bouteille de vin vendue. Explications.
"Après la taxe, il y a encore beaucoup de choses à rajouter", explique Olivier Gridelet, le directeur commercial du Domaine du Chant d'Eole. "Pour la matière première, il faut du raisin. Le kilo de raisin va tourner entre 7 et 9 euros. L'achat et la vente de raisin est une pratique qui se fait en France, mais pas encore en Belgique. Ici, la tendance majoritaire est que le producteur de vin produit son propre raisin."
À cette matière première, il faut encore ajouter le coût des équipes, celui de la bouteille, de l'étiquette, etc. "Plus vous êtes un petit vignoble, plus les coûts seront élevés", note Olivier Gridelet.
À tout cela, s'ajoute aussi le coût d'amortissement de la vigne, en fonction de son âge. "Entre le moment où on plante la première vigne et où on peut vendre la première bouteille, il y a 6 ans. Cela entre aussi dans le calcul."
Du vin à 2,99 euros
C'est chez Delhaize que l'on trouve les bouteilles les moins chères. À peine 2,99 euros pour les premiers prix. La marque au lion explique que pour proposer des prix si bas, les coûts ont été rationalisés au maximum. Par exemple, une grande partie du vin proposé dans les rayons n'est pas livré en bouteille. "Nous nous faisons livrer par camion-citerne plutôt que par des camions remplis de bouteilles. Un camion-citerne équivaut à trois camions de bouteilles", détaille Karima Ghozzi, la porte-parole de Delhaize. Cette méthode de livraison représente 45% du volume de vin que vend Delhaize chaque année. Les 55% restant sont des vins qui sont arrivés déjà en bouteille.
Et ce n'est pas parce qu'un vin vient de loin qu'il est nécessairement transporté en bouteille. La porte-parole explique que des vins qui viennent d'Australie arrivent dans des citernes.
"Nous faisons la mise en bouteille ou la mise en fut nous-mêmes. Nous travaillons avec un producteur unique pour qu'il nous livre en bouteille, en étiquette... Ça nous permet d'avoir des prix préférentiels sur cet aspect-là aussi."
Petit prix, mauvaise qualité ?
C'est un lien que l'on serait tenté de faire. Les meilleures bouteilles coûteraient forcément des sommes astronomiques tandis que l'entrée de gamme ne serait que de la piquette. Un cliché auquel le sommelier Eric Boschman tord le cou. "Pour qu’un vin soit bon, il y a une série de paramètres et le premier, c’est l’attente que l’on en a. Si c’est pour un barbecue avec des potes, pour une communion ou un repas avec les beaux-parents, ça ne sera pas la même chose".
Le maître retient trois questions que l'acheteur doit se poser avant son achat : avec qui allez-vous boire ce vin ? Quand allez-vous le faire ? Et pourquoi ?
"Ces vins à 3,99 euros ne sont pas nécessairement mauvais, il y a de temps en temps de très bonnes affaires", poursuit-il. "Je fais une distinction entre le bon et le grand vin. Le bon vin, c’est celui dont on finit la bouteille et on se dit : 'Ouais, ok'. Le grand vin, c’est celui qu’on retient pour toute sa vie."
Ces vins d'entrée de gamme ne sont toutefois pas destinés à la même utilisation que des bouteilles plus prestigieuses. "Ce ne sont pas des vins que l’on va mettre en cave. Ils ne sont pas faits pour. On n’attend pas la même chose d’une Toyota Yaris que d’une BMW Serie 5", métaphore l'expert.
Eric Boschman met en avant quelques conditions qui peuvent mener à ce que le prix d'une bouteille soit bas : "Ça peut être soit parce qu'on a produit beaucoup de bouteilles à l’hectare. Soit parce que le producteur a choisi de ne gagner qu’une faible marge. Ça peut aussi être que le vendeur décide de ne pas mettre de budget marketing pour voir son produit dans des magazines, mais qu'il décide d'utiliser cet argent pour faire baisser le prix."
La forte concurrence sur le marché belge peut également être un autre facteur qui pousse à baisser ses prix. Il y aurait plus de 20.000 références de vins en Belgique.
Le qualitatif, hors de prix ?
Pour se distinguer au milieu de cette immense masse, les vignerons peuvent miser sur les concours. Remporter des prix et les afficher sur son étiquette, cela peut s'avérer être une stratégie payante, encore faut-il gagner.
Ces vins récompensés sont souvent gage d'une qualité reconnue. Mais qui dit récompense ne signifie pas nécessairement augmentation des prix. "Ce n’est pas parce qu’on va encore gagner une médaille d’or la semaine prochaine qu’on va encore augmenter nos prix", assure Olivier Gridelet. "On souhaite que le prix reflète la qualité."