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Bien qu'apprise à l'école, la carte du monde comporte de grosses inexactitudes. La taille de certains pays est loin de correspondre à la réalité, la faute à qui ?
Chaque personne passée un jour sur les bancs de l'école a déjà vu cette carte. Un plan du monde qui représente les pays, les continents et les océans, mais qui déforme la réalité.
Sur cette carte, utilisant projection de Mercator (du nom du célèbre géographe flamand), les pays du monde apparaissent tous sur une carte plane. Or, la Terre est ronde et pour traduire une sphère sur un plan plat, il est obligatoire de faire des modifications.
Si vous avez une minute et 30 secondes, écoutez les explications de Jamy dans l'émission C'est pas sorcier (à partir de 9:01).
Si vous n'avez pas ce temps, voici l'explication écrite : comme il est impossible de reconduire de manière identique une sphère sur une surface plate, il faut faire une projection.
Il existe deux grands types de projections, comme l'explique Eléonore Wolff, professeure au Département d'Enseignement Géosciences, environnement et société (DGES) de l'ULB.
"Il y a les projections 'conformes', qui conservent les angles et les formes (mais pas les surfaces) et les projections 'équivalentes' qui conservent les surfaces, mais pas les angles ni les formes", détaille la spécialiste. "D'autres projections existent, certaines minimisent un peu les deux types de déformations."
Plus le territoire à cartographier est grand, plus les déformations sur la carte seront importantes.
Une révolution
Établie au 16e siècle, la carte de Mercator est l'une des plus utilisées au cours de l'Histoire. Elle a notamment grandement aidé la navigation au travers des siècles, mais elle a ses limites. "Avant que Mercator ne mette sa projection au point. Les militaires et explorateurs du 17e-18e siècle naviguaient avec une boussole, mais ils n’avaient pas de cartes pour naviguer en ligne droite", explique Eléonore Wolff. "Puis est arrivé Mercator. Il a proposé en 1569 sa projection qui conserve les angles ce qui permet aux navigateurs de converser un cap avec une boussole. C’est une révolution. Le problème, c’est que les déformations sont nombreuses."
Un problème qui était relégué au second plan, car l'essentiel était de faciliter la tâche des navigateurs.
Pour visualiser la déformation, un outil a vu le jour : l'indicatrice de Tissot. Avec des cercles de couleurs, qui se déforment de la même manière que les pays. Les cercles situés sur l'équateur étant la référence.
Sur la projection de Mercator (celle que l'on voit sur la carte ci-dessus), les surfaces et les proportions sont déformées, surtout au niveau des pôles. Les meilleurs exemples sont la Russie, le Groenland, le Canada et... l'Antarctique.
Sur la carte de l'Atlas reprise pour illustrer l'article, on observe que la Russie serait environ deux à trois fois plus longue que l'Afrique (d'Ouest en Est). Or, le rapport est loin d'être si grand.
Un site, The True Size ("La taille véritable"), permet de s'amuser à déplacer les pays sur la carte du monde et de les voir s'adapter à la bonne échelle. Pour illustrer l'exemple que nous vous avons décrit, avec la Russie et l'Afrique, voici ce que cela donne avec la taille adaptée.
Dans la même idée, l'Antarctique (en bleu) et le Groenland (en rose) sont, eux aussi, considérablement agrandis.
Mercator dépassé ?
Une critique émerge aujourd'hui concernant cette carte, devenue une sorte de référence dans la culture populaire, car elle donne une fausse idée de la taille réelle des pays. "On a continué d’utiliser la projection de Mercator pour d’autres sortes d’analyses, alors qu’elle n’est pas la plus adaptée. Il aurait parfois fallu utiliser des cartes équivalentes", estime Eléonore Wolff, professeure à l'ULB.
"On en fait mauvais usage", poursuit l'experte. "La forme des continents est tout à fait correcte. Ce n’était pas son intention de faire des proportions égales, mais de faciliter les trajets en mer."
Les personnes qui estiment que cette carte est européano-centrée et vise en partie à réduire la taille des pays africains et de la zone intertropicale font "un faux procès à Mercator", regrette "vivement" Eléonore Wolff.
Une meilleure explication
Si Mercator ne peut être tenu responsable de l'utilisation faite de son œuvre plusieurs siècles après sa mort, il est "important de montrer qu’il existe plein de projections différentes", plaide la professeure au Département d'Enseignement Géosciences, environnement et société de l'ULB, qui s'y attèle avec ses élèves.
Une projection a fait parler d'elle après sa publication en 1986, celle de Peters. Il s'agit d'une projection équivalente. Elle maintient donc la proportion entre les surfaces sur la carte et les surfaces réelles. Ainsi, les rapports entre les surfaces des pays sur la carte correspondent au rapport de leurs surfaces réelles (l'Afrique apparaît bien comme 14 à 15 fois plus grande que le Groenland). Mais localement, cette projection ne conserve pas les angles, ce qui se traduit par la déformation des continents au contraire de la carte de Mercator.
"Peters a eu le mérite de réveiller le monde sur le mauvais usage de la projection de Mercator", rapporte Eléonore Wolff.
"Les choses sont en train de changer très fort. Plusieurs sites font leur apparition. Le logiciel QGIS, par exemple, permet de faire des cartes et permet de passer de n’importe quelle projection à n’importe quelle projection".
Dans tout cet apprentissage, l'école a son rôle à jouer. Les professeurs, surtout ceux de géographie, doivent être amenés à inculquer cette nuance à leurs élèves. "On manque de profs qui sont géographes", note toutefois Eléonore Wolff. Une raison évoquée par la professeure est le faible temps accordé à la géographie dans le cursus scolaire, entre une à deux heures par semaine. Un obstacle pour les géographes qui voudraient se constituer un horaire complet dans leur matière.
En conclusion, la projection de Mercator n'est pas l'incarnation de la vérité, mais aucune carte plate ne peut l'être. "Il n’y a pas UNE bonne projection, il faut changer de projection en fonction du message que l’on veut faire passer", conclut l'experte de l'ULB.