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Alexeï Navalny, était considéré comme le symbole de la résistance et le visage de l'opposition russe. Emmène-t-il avec lui tout espoir pour les Russes qui sont contre le pouvoir ?
"Continuez à vous battre et n’abandonnez pas", a insisté la veuve d'Alexeï Navalny, Ioulia Navalnaïa dans une vidéo publiée sur le compte Instagram de son mari. Le décès de l'opposant russe inspire, depuis vendredi, de nombreux Russes à se rassembler pour lui rendre hommage. La sévère répression et les mises en garde n'ont pas découragé des centaines de Russes à participer à des petits rassemblements dans plusieurs villes. Mais selon l'ONG spécialisée OVD-Info, près de 400 personnes ont été interpellées par la police dans près d'une quarantaine de villes russes.
Ces hommages, pourront-ils devenir, plus tard, des mobilisations ? Le flambeau de Navalny, pourra-t-il être récupéré ? L'opposition russe, n'est-elle pas en voie de disparition ? "Elle n'est pas plus morte qu'avant", répond Laetitia Spetschinsky, chargée de cours à l'UCLouvain et spécialiste de la Russie. "On peut s'attendre à une nouvelle génération qui pense radicalement différemment. Une génération d'ailleurs qui n'a vécu que sous Poutine, donc qui n'a pas beaucoup d'exemples alternatifs. Je ne pense pas que l'opposition russe soit morte. Elle a subi un coup d'arrêt et elle va probablement muter et offrir un nouveau visage", estime-t-elle.
Il y a eu un activisme renouvelé de la part des familles et des femmes de ses opposants assassinés, emprisonnés ou exilés
Il est vrai que plusieurs voix se sont élevées pour continuer le travail d'Alexeï Navalny, en commençant par sa femme, Ioulia. "La relève de l'opposition existante, pour l'instant, prend pas mal de visages. Je constate qu'il y a eu un activisme renouvelé de la part des familles et des femmes de ses opposants assassinés, emprisonnés ou exilés. Non seulement, évidemment, Youlia Navalnaïa qui a annoncé, officiellement, reprendre le combat difficile. Mais il y a aussi la famille de Vladimir Kara-Mourza qui se lance aussi dans ce combat de relève", cite Laetitia Spetschinsky.
Vladimir Kara-Mourza, Mikhaïl Khodorkovski, Ilia Iachine, Oleg Orlov, Boris Nadejdine ou même le champion d'échec Garry Kasparov... Des opposants politiques vivants existent encore. Mais ce ne sont pas eux que Laetitia Spetschinsky voit pour faire la différence, surtout s'ils se trouvent à l'étranger. "Une fois qu'on est parti, on perd toute crédibilité en Russie. Il faut être dans le bain pour pouvoir s'adresser à ses concitoyens. Donc les opposants étrangers ne peuvent pas mobiliser le cœur des Russes", fait-elle remarquer. En effet, ceux qui ne sont pas en prison, sont souvent exilés pour échapper aux représailles.
L'un des opposants les plus connus est Vladimir Kara-Mourza, empoisonné à deux reprises, qui purge une peine de 25 ans de privation de liberté. Il souffre de graves problèmes de santé en détention.
Oleg Orlov, vétéran de la défense des droits humains et de l'ONG Memorial titulaire du prix Nobel de la Paix, a été placé sur la liste infamante des "agents de l'étranger". Il fait par ailleurs l'objet de poursuites judiciaires pour avoir "discrédité" l'armée russe
La patience avant le changement
Alors, qui pourra réussir à reprendre la place de Navalny ? "Ce moment-ci est le pire moment pour essayer de distinguer les noms de ceux qui mèneront le changement dans les prochaines années, puisque c'est le moment où la répression est la plus intense en Russie et où les gens vont se cacher", estime la spécialiste. Selon elle, "il va falloir attendre les législatives de 2026 ou que la machine politique actuelle se stabilise".
Une espèce de constellation très féminine qui est la seule voix encore très audible de la contestation en Russie
Néanmoins, s'il faut chercher, pour Laetitia Spetschinsky, un nouveau visage de la résistance russe, ce serait plutôt du côté des femmes : "On a une espèce de constellation très féminine qui est la seule voix encore très audible de la contestation en Russie". Elle fait référence, notamment, aux mères de soldats sur le front en Ukraine. "Elles ont cette autorité parce qu'elles sont femmes et qu'elles ne s'occupent pas de politique. Ce qu'elles veulent, c'est retrouver le corps ou retrouver leur fils", avance la chargée de cours à l'UCLouvain.
Quel héritage laissera Navalny?
En attendant, Laetitia Spetschinsky ne doute pas beaucoup : "Les idées qu'a posées Navalny dans le débat public russe vont tout de même rester et percoler. D'une part, la lutte contre la corruption, qui était le but de sa fondation dès le départ. D'autre part, aussi, son mot d'ordre à partir des années 2010, qui était de voter autrement. Votez n'importe quoi, mais sachez qu'il n'y a pas que Poutine", rappelle-t-elle.
Ces prédictions, s'avéreront-elles correctes ? Difficile pour quiconque de le dire : "La Russie n'a jamais cessé de surprendre. On n'arrive jamais à faire des prédictions qui fonctionnent sur la Russie", termine Laetitia Spetschinsky.