Partager:
Dans un silence absolu, des centaines de Moscovites se sont succédé toute la journée de samedi pour déposer des fleurs en hommage à l'opposant Alexeï Navalny, mort en prison la veille, et qui était pour beaucoup un symbole d'"espoir".
Dès la matinée, la police a bouclé la place où se trouve le monument aux victimes des répressions politiques sous l'URSS, traditionnel lieu de rassemblement de l'opposition près de l'avenue Sakharov, artère qui porte le nom du célèbre dissident soviétique.
Des dizaines d'agents et des fourgons étaient sur place, a constaté une journaliste de l'AFP.
Devant le monument baptisé "Mur du deuil", des centaines de fleurs, des portraits d'Alexeï Navalny et des bougies ont été déposés par des Moscovites qui pour certains sont venus en famille, avec leurs enfants. Des femmes pleuraient.
"Nous n'oublierons jamais, nous ne pardonnerons jamais", "La Russie sera libre", "Qui est le suivant?", "Son cœur battait pour nous tous, rien n'est fini", pouvait-on lire sur des pancartes déposées parmi les fleurs.
"Navalny nous a donné l'espoir que l'injustice pourrait être vaincue. Grâce à lui j'ai cru qu'on pouvait un jour construire la +merveilleuse Russie du futur+", a confié Alexandre, un chauffeur de 40 ans, en reprenant une célèbre expression du principal opposant russe.
"La nouvelle de la mort de Navalny m'a abasourdi, stupéfié. Pour moi, venir ici et lui rendre hommage était une question de principe", raconte-t-il.
"Mais nous ne devons pas désespérer. Je veux croire que l'injustice sera un jour vaincue", ajoute-t-il.
Le rassemblement n'a pas échappé à la répression coutumière de ce genre d'événement: une quinzaine de personnes ont été arrêtées samedi, dont certaines sans ménagement, selon le média indépendant Sota.
L'AFP a été témoin de quatre arrestations et dans la soirée, la police ne laissait plus les journalistes s'approcher du monument.
- "Pas de tristesse, mais de la haine" -
Vendredi soir, des centaines de Russes étaient déjà venus déposer des fleurs devant un autre monument consacré aux victimes du Goulag, la pierre de Solovki, sur la fameuse place de la Loubianka, le siège du KGB soviétique puis FSB russe.
Elena, une médecin de 45 ans se trouvait parmi eux. "Je ne suis pas une partisane de Navalny. Mais je voulais témoigner mon respect envers ce prisonnier politique. Et être ce soir-là avec des gens qui partagent ma position", dit-elle.
"C'était en quelque sorte une solidarité silencieuse. Je ne ressentais pas de tristesse, mais de la haine envers ceux qui l'ont tué", ajoute Elena qui, comme les autres interlocuteurs, a préféré ne pas donner son nom de famille.
Au total, 359 personnes ont été arrêtées lors de rassemblements similaires en hommage à Alexeï Navalny en Russie ces deux derniers jours, selon un décompte de l'ONG spécialisée OVD-Info.
De nombreuses actions spontanées ont aussi eu lieu à travers le monde, dans les pays où se trouvent de nombreux Russes exilés, tel que dans les pays baltes ou à Berlin.
Le charismatique militant anticorruption était surtout populaire auprès de la jeunesse des grandes villes, à l'exemple de Moscou, où il était arrivé deuxième à l'élection municipale de 2013, la dernière à laquelle il avait été autorisé à se présenter.
Si Alexeï Navalny, l'ennemi juré du Kremlin, était enfermé en prison depuis son retour en Russie début 2021, il représentait malgré tout pour une partie de la population l'espoir lointain d'une fin de l'autoritarisme et de l'ère Poutine.
Sa mort vendredi dans une prison de l'Arctique, selon les autorités, prive en tout cas l'opposition russe -- laminée par des années de répression, la prison et l'exil -- de sa figure de proue.
Elle intervient un mois avant l'élection présidentielle en Russie, qui devrait voir Vladimir Poutine se maintenir au pouvoir pour un nouveau mandat de six ans.