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Il ne reste plus que 100 jours avant les élections régionales, fédérales et européennes. A cette occasion, nous vous emmenons dans les coulisses du pouvoir... Comment un parti politique établit-il sa liste de candidats? Entre influence et jeux de pouvoirs, on vous révèle les dessous de la politique belge.
La course aux élections continue: il ne reste plus que 100 jours avant que les Belges ne se rendent aux urnes. Les partis politiques sont donc en pleine ébullition. Car qui dit course aux élections dit confection de liste électorale. Le délai légal est fixé à 30 jours avant le scrutin, soit le 13 avril pour les prochaines élections régionales, fédérales et européennes qui se tiendront le 9 juin.
La confection des listes peut être un jeu périlleux pour les partis politiques, mais aussi pour leur président. Mais comment ça se passe concrètement? Comment un parti politique élabore-t-il sa liste de candidats? Entre stratégie, influence, et jeux de pouvoir, on vous dévoile les dessous de la politique belge.
L'élaboration d'une liste électorale reste un domaine opaque et flou que les partis politiques préfèrent garder pour eux
D'une part, il faut déterminer quels seront ces candidats et, d’autre part, quel sera leur ordre sur les listes. Et comme l'écrivait en 2019 Audrey Vandeleene, auteure pour le CRISP d'une étude sur la manière dont les partis politiques sélectionnent les candidats qui figurent sur les listes, "ce processus de sélection reste obscur, certains allant jusqu’à parler de jardin secret de la politique".
Chose que nous confirme Pierre Verjans, politologue à l'université de Liège: "C’est la grande opacité. C'est un peu leur cuisine secrète et ils n’ont pas envie qu’on le sache... Il y a beaucoup de militants de parti qui me disent qu’ils ne savent pas comment les décisions sont prises, comment un tel a été désigné et en fonction de quelle procédure. C'est assez impressionnant!" En politique, on appelle ça une "boîte noire".
"Chaque parti essaye de faire des surprises à son électorat, et ces surprises se font parfois au détriment des autres partis. Ils essayent de garder ça discret, ils n’ont pas envie que le secret de leurs affaires soit connu", ajoute Pierre Verjans.
Le but premier lors de l'élaboration d'une liste est de faire le plus de voix lors des élections
Mais alors comment les partis politiques décident de qui mettre sur telle liste? Et comment cet ordre est choisi? Le premier critère, c'est de faire le plus de voix possibles. "Ce sont vraiment les premières préoccupations des partis lorsqu'ils répartissent leurs poids lourds", précise Bernard Demonty, chef du service politique du Soir.
De manière générale, ce sont donc "les grandes vedettes que l'on retrouve en tête de liste parce que ce sont ceux qui auront le plus de voix", explique-t-il. Par exemple pour le MR, placer Sophie Wilmès sur la liste européenne est un choix stratégique, "car on sait qu'elle fait beaucoup de voix". Pareil pour le PS avec Paul Magnette sur les listes du Hainaut. "Mais il ne faut pas mettre tous les poids lourds sur la même liste. Tout est une question d'équilibre", précise Bernard Demonty.
En tout cas, la finalité reste la même: le but est de faire le plus de voix possible lors des élections. Il arrive donc parfois que des personnalités ne se retrouvent pas vraiment aux endroits où ils le voudraient. "Comme dans le cas d'Hadja Lahbib qui est sur la liste bruxelloise du MR alors qu'elle était ministre fédérale des Affaires étrangères. Ou encore Elio Di Rupo qui est en tête de liste européenne pour le PS, alors qu'il est ministre-Président wallon", précise le chef politique du Soir.
Ces listes, c'est le gros enjeu de la saison électorale pour chaque parti. Ils commencent même les premières discussions un an avant les élections tant l'enjeu est important. "Certains partis y réfléchissaient déjà en juin dernier. C’étaient les premiers contacts et maintenant, on entre dans la période cruciale. C’est maintenant que tout se joue. Il faut vraiment trancher, et faire campagne", précise Bernard Demonty.
Qui choisi de placer tel candidat sur telle liste au sein du parti?
Mais qui prend toutes ces décisions? Si on imagine, à tord, des grands débats, la réalité est finalement bien différente. Car celui qui a le premier, et le dernier mot, c'est le président du parti. "Ils ont un pouvoir très important en Belgique. C'est d'abord les présidents de parti qui décident. Ce sont eux les grands chefs d’orchestre de ce ballet", explique-t-il.
Jusqu'à il y a une vingtaine d'années, les listes se faisaient souvent de façon collective au sein de chaque circonscription, ajoute Pierre Verjans. "C'est ce qu'on appelait 'les pôles', il y avait des débats pour savoir qui on allait mettre sur les listes. Maintenant, il semblerait qu’a peu près dans tous les partis, c’est la présidence qui est à la manoeuvre, et qui a pris énormément de pouvoir", analyse-t-il.
Mais certains partis échappent à ça: "Notamment Ecolo qui donne beaucoup de pouvoirs aux militants locaux", précise le politologue. Chaque parti a ses propres règles internes.
Des rapports de force au sein du parti peuvent mener à la discorde: ça a été le cas au MR et chez DéFI
Si c'est le président de parti qui a le premier mot, ce n'est pas totalement à lui que revient la décision finale. Car il peut y avoir des rapports de force au sein d'un même parti. "Les présidents de parti ont parfois des contrepouvoirs qui sont les stars des partis. Si un poids lourd dit au président qu’il ne se présente pas par exemple, le président est obligé d’accepter sa requête puisque c'est un poids lourd. Le président est donc parfois contraint de se plier à la volonté de certains poids lourds électoraux", détaille Bernard Demonty.
Pour le MR et DéFI, les temps sont troubles, et laissent place à la discorde... "Sophie Wilmès, c'est elle qui a décidé d'être sur les listes européennes MR, alors que Georges-Louis Bouchez n'y était pas favorable. Pareil pour Elio Di Rupo au PS", ajoute-t-il.
"On sait maintenant que Wilmès et Bouchez se sont vraiment affrontés: Bouchez voulait qu'elle soit sur la liste fédérale, alors que Wilmès voulait être sur l'européenne. C'est un vrai affrontement, et on le sait grâce au travail des journalistes. Mais il n’y a rien dans les publications du parti", révèle Pierre Verjans. "Wilmès était dans une position de rapport de force étonnante par rapport à Bouchez. Un rapport de force terrible".
Chez DéFI, les membres du parti s'accusent carrément de fraude entre eux lors de l'élaboration des listes électorales. "Il y a vraiment de gros conflits interpersonnels entre les poids lourds des partis, sur fond de jeux d'influences. Il y a même des clans qui se forment, des coups de fil discrets... Il y a de gros conflits à gérer pour les partis", observe le chef politique du Soir.
Mais il y a des partis où c'est plus transparent: "Chez Ecolo, il y a un premier vote sur les places éligibles, et après, ils vont remplir le reste. Il y a un vote avec l'assemblée de chaque circonscription", ajoute Pierre Verjans.
L'élaboration d'une liste électorale, c'est avant tout des rapports de force et des jeux d'influence
"La plupart du temps, le reflet de ces décisions sont des rapports de force", explique le politologue. Dans chaque parti, il y a des tensions à l'approche d'une élection. Et c'est au président de veiller à maintenir une certaine stabilité au sein de son parti: "Il faut maintenir une solidité interne sinon le parti est déstabilisé. La plupart des présidents de parti sont très soucieux du rapport de force à l’intérieur du parti et ont besoin d’une stabilité. Certains l’oublient... Mais c’est rare", précise-t-il.
Comme l'écrivait Audrey Vandeleene dans son étude pour le CRISP en 2019, "peu de règles écrites encadrent généralement la discrète procédure de sélection des candidats. Sachant que les directions de parti choisissent aussi des personnalités en dehors des candidatures spontanées. Mais il y a des variantes: entre les procédures formalisées d’Ecolo et des règles succinctes au MR ou au PS".
Pierre Verjans nous l'explique: "Il y a beaucoup de gens qui sont très forts investis dans les politiques locales qui espèrent avoir des postes à d'autres niveaux, et parfois, ils se font dépasser par des vedettes venues de l'extérieur du monde politique. Et ça provoque un choc car ils ne sont pas récompensés. Plus on fera appel à des candidats de l'extérieur, et plus ça risque de se produire".
Les partis sont-ils soumis à des règles pour élaborer leurs listes électorales?
Justement, les partis politiques sont-ils soumis à des règles pour l'élaboration de leurs listes? "Il y a le principe de la tirette, à savoir l'obligation d'avoir une alternance homme/femme. Dans certaines régions comme à Bruxelles, il y a la règle de cumul, c'est-à-dire qu'on ne peut pas cumuler un poste de bourgmestre et de député par exemple. Donc ça exclut aussi certaines personnes des listes", détaille Bernard Demonty.
Confectionner une liste électorale peut donc vite devenir un casse-tête pour les présidents de parti. Il faut aussi veiller à donner un poids à toutes les régions au sein d’un même parti. "C'est une règle qui n'est pas écrite mais qui est respectée par les partis", ajoute-t-il.
Autre point: les règles diffèrent selon les partis. "Le PS n’a pas les mêmes règles que le MR par exemple. Ecolo est plus avancé que d’autres partis avec la limitation des mandats. Il y a des règles internes". Ce qui complique encore plus la chose, et surtout, la rend encore plus opaque.
Pour certains partis politiques francophones, les listes électorales pour certaines circonscriptions sont encore à élaborer. La course aux élections continue...