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Décryptage: TikTok, le réseau préféré des politiques à l'approche des élections? "Ça laisse une place colossale aux extrêmes"

À l'approche des élections, tout est bon pour accroître sa popularité. Pour de nombreux candidats de tout bord, cela passe par les réseaux sociaux et surtout TikTok. Comment s'y prennent-ils? Quels sont les risques de cette plateforme ?

Ils partagent leur quotidien, répondent à des questions, mettent en scène des sketchs et font même des petites chorégraphies… Nos politiques semblent s'amuser sur l'application TikTok, et ce, depuis un moment déjà.

Malgré les mises en garde autour des risques de détournement de données sensibles au bénéfice de la Chine, certains politiques ne se privent pas de l'utiliser, surtout à l'approche des élections.

Il est vrai que la tentation est trop grande, comme l'explique Xavier Degraux, formateur et consultant en réseaux sociaux et marketing de contenu. "Tous et toutes ont bien compris qu'il y avait une audience de masse. On parle de plus de 4 millions de Belges de plus de 18 ans, donc en mesure de voter à toutes les élections et pas seulement aux Européennes", rappelle-t-il.

Qui sont ceux qui font le buzz?

Le plus souvent cité reste Elio Di Rupo (PS), inscrit depuis 2020 sur la plateforme. Certaines vidéos postées par le ministre-président wallon font souvent plusieurs milliers, voire plusieurs centaines de milliers de vues. Avec plus de 153.000 abonnés, l'élu mise sur son capital sympathie.

Mais le président du PTB, Raoul Hedebouw, le bat en termes d'abonnés : ils sont 168.100. Il partage sur son compte ses sorties cash sur les plateaux de télévision ou à la Chambre, mais adresse aussi ses discours politiques à ses abonnés.

En Flandre, le sénateur Jos D'Haese (PVDA), est particulièrement populaire, il a plus de 161.000 abonnés. Conner Rousseau (l'ancien président de Vooruit), en beaucoup aussi, plus de 106.000.

L'extrême droite a sa place aussi dans le classement : Dries Van Langenhove (Vlaams Belang) en cumule 72.000, tandis que Tom Van Grieken en a 59.800.

TikTok va très rapidement sortir le contenu de leur bassin d'audience acquise

Ils sont encore loin des scores d'influenceurs professionnels, mais force est de constater que la plateforme chinoise de partage de vidéos est une réelle plus-value pour les personnalités politiques. "Sur les autres réseaux sociaux, les hommes et les femmes politiques peuvent surtout toucher une partie des audiences déjà acquise (…) TikTok va très rapidement sortir le contenu de leur bassin d'audience acquise et va permettre d'aller toucher des audiences bien au-delà de votre cercle de followers", justifie Xavier Degraux.

La visibilité à tout prix ?

Vidéos questions/réponses décalées, tranches de vie, danses (parfois moquées), … Elio Di Rupo reprend tous les codes des influenceurs préférés des jeunes. Il n'est pas le seul homme politique à le faire. "Ils savent très bien que ce n'est pas juste une vidéo TikTok qui fera qu'on va voter pour eux, mais dans un mix et dans une multiplicité de points de contact avec leur audience, c'est un type de communication qui a complètement sa place", ajoute le formateur.

TikTok n'est finalement pas régi par tant de codes… L'authenticité prime. Ces vidéos sont particulièrement bien référencées par l'application.

Cependant, Xavier Degraux nuance. Le nombre d'abonnés sur les réseaux sociaux, et particulièrement TikTok, n'est pas proportionnel à la popularité de la personne politique.

Est-ce que ça ne dessert pas, au moins partiellement, l'homme ou la femme politique que je défends ?

Parfois, une vidéo postée devient virale, car celle-ci est tournée en dérision. "C'est assez triste de se dire que des communicants politiques sont aveuglés par des chiffres de volume, de quantité, mais ils ne se disent pas 'est-ce que ça ne dessert pas, au moins partiellement, l'homme ou la femme politique que je défends ?'", argumente-t-il.

Une référence en la matière reste une vidéo du Parti socialiste, postée sur le compte d'Elio Di Rupo, à l'occasion du lancement de l'équipe pour les élections européennes. Celle-ci mettait en scène, notamment, le ministre-président wallon, Estelle Ceulemans, Duygu Celik et Luc Hennart, faisant une chorégraphie. Ce TikTok a longtemps été raillé sur les réseaux sociaux.

Des formats très courts... trop courts

Mais quel format fonctionne aujourd'hui le mieux sur TikTok auprès des politiques ? "On le voit volontiers à gauche comme à droite. Les vidéos qui performent le mieux sont celles où vous voyez directement un homme ou une femme politique s'exprimer, et de préférence avec beaucoup de passion, beaucoup d'intensité", décrit notre intervenant.

La contrainte de TikTok reste le temps disponible pour s'exprimer. Bien que les vidéos puissent désormais durer jusqu'à dix minutes, le temps d'attention disponible des utilisateurs est plutôt réduit. "Qu'est-ce qui performe ? Les contenus très courts, très clivants, très marquants. Et donc, on retrouve une difficulté pour les partis, pour les hommes et les femmes politiques de faire passer des messages beaucoup plus nuancés", déplore-t-il.

Ça laisse une place colossale aux extrêmes

TikTok est donc, pour Xavier Degraux, du pain béni pour certains partis : "Ça laisse une place colossale aux extrêmes de gauche, comme de droite, qui ont des discours plus facilement clivants et rentre-dedans, d'autant qu'ils ne sont pas au pouvoir en général", analyse-t-il.

Et puis, TikTok, comme les autres réseaux sociaux, permet aux partis de s'adresser à son public sans passer par la presse et ainsi maîtriser à la perfection le message à faire passer. Il en va sans dire que cela permet aussi aux partis d'extrême droite de percer le cordon médiatique.

Alors, les stratégies de communication des personnalités politiques sur TikTok vont-elles faire la différence lors des élections ? "Difficile à dire parce que les scientifiques n'arrivent pas à trouver la causalité immédiate. Tout ce qu'on sait, c'est que la plupart des élections jusqu'ici, et ça remonte à Trump en 2016, ont été fortement influencées par les réseaux sociaux", répond Xavier Degraux.

Une étude réalisée en Finlande a en tout cas prouvé que TikTok a largement influencé les électeurs les plus jeunes à voter pour le parti populiste et nationaliste, le Parti des Finlandais en avril 2023. D'après ce sondage, 27% de 18-30 ans ont voté pour ce parti, et 62% de ceux-ci disent avoir été influencés par les formats de TikTok. Le Parti des Finlandais a récolté 20.06% des voix, lui permettant d'avoir sa place au sein du gouvernement.

D'autres inquiétudes autour de TikTok

Au-delà des stratégies de communication, Xavier Degraux pointe d'autres problèmes avec la plateforme, qui pourraient nuire aux élections belges et européennes. "On est aujourd'hui dans une ère où on suspecte en permanence, notamment la Russie et la Chine, de vouloir influencer les élections qui arrivent", souligne-t-il.

On a vu des deepfakes en Belgique

Le spécialiste rappelle aussi le risque de l'intelligence artificielle et des deepfakes : "On a vu, déjà, alors qu'on est encore loin de novembre, aux États-Unis, des deepfakes avec des vidéos, des sons qu'on fait dire à Joe Biden. On en a vu un en Belgique avec Jean-Luc Dehaene, du CD&V. On voit des deepfakes se propager, notamment en France autour de Marine Le Pen".

Le phénomène inquiète d'ailleurs l'Union européenne, qui a demandé à des plateformes, parmi lesquelles TikTok, Facebook, Google, YouTube et X, sur leur gestion des risques liés aux contenus manipulés. La crainte de Bruxelles est que ces contenus influencent les élections européennes.

Alors, le réseau social chinois a annoncé travailler sur "l'intégrité" des élections européennes en mettant en ligne une page dédiée. Le Centre, disponible pour les 27 États membres, doit permettre aux utilisateurs de "facilement distinguer les faits de la fiction". 

 

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