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Charlotte découvre que deux voitures ont été achetées à son nom : "Avec une photocopie d'une carte d'identité et d'une fiche de paie, on peut tout faire"

Victime d'une usurpation d'identité, cette habitante de Bruxelles se retrouve face à deux voitures achetées à son nom grâce à des documents falsifiés. Contrainte de payer injustement des taxes, elle continue de se battre pour faire reconnaître sa situation en attendant que la justice prenne le relais.

En juin 2023, Charlotte reçoit un courrier d'Alpha Crédit l'informant que son crédit a été accepté. Le hic ? La jeune femme n'a jamais contracté de crédit. Elle comprend rapidement qu’une personne a utilisé son identité pour acheter une voiture en falsifiant des documents "probablement récupérés dans le garage de Drogenbos", où Charlotte avait acheté son véhicule d’occasion quelques mois auparavant. Les documents utilisés sont des photocopies de ses fiches de paie et de sa carte d’identité. Dans la foulée, Charlotte reçoit "la taxe de mise en circulation et des factures d'assurance" du véhicule concerné.

Pourtant, la Bruxelloise n'est pas encore au bout de ses surprises. "En juillet, j'ai reçu un courrier d'un autre garage m'informant que mon véhicule m'attendait, car l'escroc ne l'avait pas encore récupéré. Et là, j'ai reçu une deuxième taxe de mise en circulation", détaille-t-elle. "Avec des photocopies, l'usurpateur a acheté deux voitures dans deux garages de voitures d'occasion à Ath. Pour la première, il est parti avec, et donc le crédit a été validé. Heureusement, Alpha Crédit m'a reconnue très vite comme victime et a annulé le crédit", explique la jeune femme de 36 ans, qui décide finalement de porter plainte. 

On tourne en rond

Lorsqu'elle tente de contacter la DIV pour faire radier les plaques, celle-ci refuse à moins qu'elle ne prouve une dépossession involontaire. Cependant, son avocat lui déconseille cette démarche, "car cela reviendrait à reconnaître que je suis à l'origine des plaques", affirme-t-elle. Le garage ayant réceptionné le véhicule a pu rendre la plaque à la DIV, qui l’a radiée, mais pour le deuxième véhicule, l’escroc était déjà parti avec la voiture et la plaque, empêchant Charlotte de la rendre. "Du coup, il y a quand même eu la taxe de circulation et de mise en circulation pour la période où les plaques étaient actives", ajoute-t-elle.

Plus tard, elle reçoit un courrier de la DIV indiquant qu'elle n'a pas restitué une plaque, soit la condition nécessaire pour procéder à sa radiation. La DIV transmet finalement son dossier au procureur du roi, indiquant que Charlotte a cédé son véhicule sans rendre la plaque d'immatriculation, malgré ses nombreuses plaintes. Mais là encore, la situation ne se débloque pas : "J'ai reçu un courrier du procureur de Mons qui disait qu'ils envoyaient mon dossier à Bruxelles, et là je viens de recevoir un courrier du parquet de Bruxelles pour me dire qu'ils renvoyaient mon dossier à Mons. Donc on tourne en rond", soupire la jeune femme. Ce ping-pong entre procurreur dure maintenant depuis des mois. 

1.109 euros de dettes envers l'État

Dans ses démarches pour contester les taxes, Charlotte contacte également Bruxelles Fiscalité, qui reste longtemps injoignable. Après de nombreuses tentatives infructueuses, l'administration lui répond finalement en rejetant sa plainte, et refuse de la reconnaître comme victime tant qu'il n'y a pas de jugement. "En juillet, j'ai acheté un bien et j'ai dû payer les taxes, car quand vous achetez un bien, vous devez payer les dettes envers l'État. Ces dettes étaient suspendues, mais pas aux yeux de l'État. Donc j'ai dû les rembourser", précise-t-elle. La Bruxelloise s'est donc acquittée de 1.109 euros envers l'État, soit le montant des taxes de circulation et de mise en circulation pour les deux voitures, pendant la période où les plaques étaient actives.

Charlotte a depuis lors porté plainte contre l'escroc, mais aussi contre le garage de Drogenbos où elle a acheté sa voiture d'occasion. "Ce garage est en faute pour non-respect du RGPD", affirme-t-elle. D'autant que, selon elle, l'usurpateur a photocopié sa carte d'identité dans le garage même. Par la suite, il s'est présenté dans les deux garages avec les documents falsifiés pour acheter le second véhicule. "C'est incompréhensible qu'un garage puisse accepter une photocopie pour acheter une voiture. C'est incroyable, avec une photocopie d'une carte d'identité et une fiche de paie, on peut tout faire. Il n’y a pas de sécurité", fustige-t-elle.

Dans l'attente, Charlotte demeure dans l'incertitude, n'ayant pas accès au dossier. La Bruxelloise attend désormais des nouvelles du procureur afin de pouvoir faire appel à un avocat. N’ayant plus d’autre choix, elle envisage de porter l’affaire devant les tribunaux et de lancer une action en justice contre le garage et l’usurpateur.

Que peut faire Charlotte ?

"De manière générale, les victimes ne sont pas toujours tenues informées de l’évolution des enquêtes qui les concernent", explique Maître Sophie Gorlé, avocate en droit pénal au barreau de Liège. "C’est toujours frustrant, mais c’est la procédure en Belgique". Depuis la loi Franchimont, les victimes disposent de droits accrus en matière d’accès au dossier répressif, mais ces droits restent encore limités. "D'autant plus que les enquêtes prennent parfois du temps, surtout lorsqu’elles impliquent des devoirs complexes comme des enquêtes bancaires," précise-t-elle. Dans le cas de Charlotte, son avocat peut toujours introduire une requête pour consulter le dossier répressif. Toutefois, "la loi prévoit que le délai de réponse du parquet est de quatre mois, ce qui peut paraître long pour une victime en attente d’informations", ajoute l'avocate.

Cette procédure, bien que soumise à l’acceptation du parquet, pourrait permettre à Charlotte de consulter le dossier et ainsi connaître l'état de l'enquête. "Même si la requête est refusée, cela peut avoir pour effet, en quelque sorte, de faire remonter le dossier au-dessus de la pile et d'accélérer son traitement", souligne Maître Gorlé. Cependant, l'avocate rappelle que "la marge de manœuvre reste limitée. C’est la seule arme procédurale dont elle dispose à ce stade."

En cas d’identification de l’auteur ou des auteurs de l’usurpation, la jeune femme pourra espérer obtenir une indemnisation en se constituant partie civile. "Elle pourrait être indemnisée pour les sommes effectivement déboursées, ainsi que pour son dommage moral et administratif, c'est-à-dire pour la perte de temps occasionnée par toutes les démarches pénibles qu’elle a dû entreprendre auprès des banques et administrations. Mais pour cela, il faudra que l’auteur soit identifié, condamné, et surtout solvable."

Si l’auteur reste introuvable ou si l’indemnisation est impossible, Charlotte pourra tenter de limiter ses pertes en transmettant une copie du dossier répressif à l’administration fiscale et éventuellement consulter un avocat fiscaliste pour tenter d’obtenir le remboursement des sommes indûment payées.

Si le dossier répressif révèle des fautes dans le chef du garage par lequel ses documents auraient été obtenus ou dans le chef des banques ayant accordé un crédit sur la base de ces documents, elle pourrait éventuellement introduire une action en responsabilité civile à l’encontre de ceux-ci. Elle devra toutefois prouver que ceux-ci ont commis une faute en lien causal certain avec son dommage. "Mais c'est encore plus loin dans le temps. À ce stade, les scénarios possibles sont multiples. Elle n’a pas d’autre choix que d’espérer que l’enquête puisse être clôturée rapidement", conclut Maître Gorlé.

La seule façon de faire radier sa plaque auprès de la DIV est de leur présenter une déclaration de la police

Mais alors, pourquoi la DIV a-t-elle refusé de radier la plaque de Charlotte ? "Malheureusement, dans le cas de Charlotte, la seule façon de faire radier sa plaque auprès de la DIV est de leur présenter une déclaration de la police", indique Charlotte van den Branden, porte-parole du SPF Mobilité, qui ajoute que ce type de situation ne relève pas des cas pour lesquels le SPF peut procéder à une radiation d'office.

En effet, les radiations automatiques ne sont possibles que dans certaines circonstances bien définies :

  • La réimmatriculation de l'ancienne plaque n'a pas eu lieu après 4 mois.
  • Le titulaire n'a pas renvoyé sa plaque dans les 15 jours après avoir mis fin à l'usage de son véhicule ou quitté la Belgique.
  • Les héritiers du titulaire n'ont pas renvoyé la plaque après deux mois, ou si, dans le cadre d'un transfert de plaque, ce transfert n'a pas été effectué dans les 4 mois.
  • Si un certificat d'immatriculation n'est pas distribué dans le mois suivant l'immatriculation, la plaque correspondante est automatiquement radiée.

"Après l’expiration des délais visés, le SPF peut radier d’office", poursuit la porte-parole du SPF Mobilité. "C’est assez logique, car n’importe qui pourrait venir nous dire qu’il y a eu usurpation d’identité. Et la DIV n’est pas en mesure de vérifier cela. Seule la justice peut se prononcer."

Un jugement impératif pour débloquer la situation

Tant que la Justice n'aura pas rendu son verdict, la situation restera bloquée du côté de Bruxelles Fiscalité également. "Le droit fiscal est d’ordre public, ce qui implique que ni le contribuable ni l’administration fiscale ne peut y déroger", explique Lisa Saoul, chargée de communication pour l'administration. "Pour enrôler les taxes de circulation, la législation fiscale se base sur les données authentiques de la DIV. Sans un jugement confirmant l’usurpation d’identité, Bruxelles Fiscalité ne peut pas dégrever une taxe."

Une solution exceptionnelle peut toutefois bénéficier d'une intervention du Directeur général. "Celui-ci peut, dans des cas exceptionnels, accepter de déroger aux processus habituels. À la suite d’échanges récents avec Charlotte et dans l’attente d’une copie du jugement, Bruxelles Fiscalité a pris la décision de mettre son recours en suspens."

"Bruxelles Fiscalité pourra dégrever les taxes de circulation que lorsque nous aurons un jugement confirmant l’usurpation d’identité. Une fois le dégrèvement effectué, Charlotte obtiendra son remboursement", assure encore Bruxelles Fiscalité. 

"Nous comprenons les désagréments que cette situation a pu causer à Charlotte et regrettons que les démarches administratives aient ajouté une contrainte supplémentaire. Ce type de situation reste, heureusement, extrêmement rare", conclut Lisa Saoul.

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