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En burn-out, Lisa raconte sa descente aux enfers: "Il fallait à tout prix que je quitte l’endroit où j’étais"

Lisa, 29 ans, est en arrêt-maladie pour cause de burn-out, et elle n’est pas la seule. En Belgique, la première cause d’invalidité de travail concerne les troubles psychiques, principalement des cas de dépression et de surmenage. Comment expliquer ce phénomène? Quelles en sont les raisons? Et surtout, se manifeste-t-il aussi dans les pays voisins?

"En sortant des études, mon but premier était de trouver un boulot, quoi qu’il advienne et peu importe le milieu. J’étais boursière et ma bourse allait s’arrêter du jour au lendemain après avoir reçu mon diplôme", raconte Lisa.  

Après avoir étudié la communication, la jeune femme est embauchée dans une entreprise spécialisée dans la création de sites internet. Elle n’a pas réellement de connaissances dans le domaine, mais accepte pour l’aspect financier. 

"J’ai toujours été en quête d’apprentissage. Je me rendrais compte que quand j’apprenais des choses intéressantes au boulot, tout se passait bien. Mais quand je n’apprenais plus, ça n’allait plus", avoue-t-elle. Petit à petit, Lisa ressent une perte d’intérêt pour son travail et ne trouve pas de sens à ce qu’elle fait.

Elle est à bout de force et manque de reconnaissance. Peu à peu, elle réalise que sa carrière professionnelle ne lui correspond pas. Elle explique: "Tous les soirs, je rentrais en pleurant. Et tous les matins, je n’avais pas envie d’y aller… Ça ne pouvait plus durer"

Après plus d’un an et demi à travailler sans cesse, la jeune femme prend deux semaines de congé. Elle décide, sur un coup de tête, de postuler ailleurs. "Il fallait à tout prix que je quitte l’endroit où j’étais, et ça me rassurait de savoir que c’était une grande entreprise avec plus de hiérarchie", dit-elle.  

Rapidement, sa candidature est retenue et Lisa passe plusieurs étapes du processus de recrutement. Lorsque ses vacances se terminent, elle n’a pas encore reçu de réponse concrète.  

Prise de conscience

Elle retourne travailler, espérant que ses deux semaines hors du bureau lui auront permis de repartir du bon pied. Elle se rappelle: "J’ai commencé à 8h30. Je pense qu’il n’était même pas 9h30 quand j’ai pleuré pour la première fois ce jour-là". La décision est prise: elle doit s’en aller. Elle en parle à son employeur, qui la rassure et la soutient dans sa décision. 

Elle est finalement engagée par l'entreprise dans laquelle elle avait postulé. Et par crainte de manquer d’argent, elle débute directement son deuxième emploi. "J’ai terminé mon préavis le vendredi et j’ai commencé mon nouveau boulot le lundi suivant", raconte-t-elle. 

Dans sa nouvelle entreprise, la jeune femme retrouve le sourire. Elle se sent soutenue et apprend à nouveau. Grâce à ses horaires, elle peut enfin équilibrer sa vie professionnelle et sa vie privée.

Mais après quelques mois, elle apprend de moins en moins, et ressent les effets négatifs d’un emploi monotone. "Au final, je commençais à tomber dans ce qui s’apparente à de l’ennui, plutôt qu’à une surcharge de travail. Je vivais donc une situation complètement opposée à la précédente, mais avec un état mental tout aussi inquiétant", raconte-t-elle. 

Malgré son état psychologique, Lisa tient le coup pour garantir sa sécurité financière. En mai 2024, la santé de sa maman décline. Après trois semaines en soins palliatifs, celle-ci décède. Cet instant marque le début de l’invalidité de travail de la jeune femme.

"Son décès a fait resurgir toutes mes angoisses", confie Lisa. Avant d’ajouter: "Au-delà du deuil et de la souffrance que peut apporter la perte d’un parent, j’ai constamment cet état de stress lié au travail qui m’empêche d’avancer"

Lorsqu’elle consulte son médecin, celui-ci lui confirme qu’elle se trouve dans un état dépressif, associé à un burn-out. Avec le recul, la jeune femme se rend compte qu’elle n'aurait pas dû enchaîner ses deux contrats: "J’aurais d’abord dû me soigner".

Mais à ce moment-là, il était inenvisageable pour elle de ne pas gagner d’argent:"Je ne me sentais pas en sécurité si je n’avais pas de revenu". Elle sait maintenant que la priorité est de prendre soin de sa santé mentale. "Il faut que je pense à moi en premier, et au travail ensuite", affirme-t-elle.  

État de la situation en Belgique 

La Belgique possède l’un des taux de dépression les plus élevé parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle comptabiliserait plus d’un million de citoyens diagnostiqués comme dépressifs.

Et au fil des années, le pays a connu une croissance préoccupante du nombre de personnes en incapacité de travail en raison d’un burn-out ou d'une dépression.  

Les chiffres de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI), démontrent une augmentation de 43% en cinq ans, passant la barre des 500.000 personnes en 2022. À l’heure actuelle, il s'agit d’un tiers des incapacités de travail longue durée (de plus d’un an) dans le pays.  

Selon Sciensano, institut de recherche belge, les groupes les plus susceptibles de développer des troubles anxieux et dépressifs sont les femmes (qui représentent 2/3 des cas de burn-out et dépression en Belgique), les jeunes adultes (âgés de 18 à 29 ans), les personnes peu instruites, celles vivants seules avec des enfants, ou les personnes âgées de 50 ans ou plus.  

La région wallonne et la région de Bruxelles-Capitale présentent une prévalence plus élevée de troubles anxieux et dépressifs. Pourtant, la région la plus touchée par les arrêts de travail pour burn-out et dépression est la région flamande (47%), suivie de la région wallonne, puis de Bruxelles-Capitale.  

Quelles en sont les causes des burn-out?

Le manque de soutien et de reconnaissance de la part de la direction, un emploi trop exigeant émotionnellement et une surcharge de travail font partie des causes principales d'un burn-out.

Mais comme le rappelle Pierre Smith, expert en santé publique chez Sciensano, "la représentation des troubles psychiques dans l’incapacité de travail reflète aussi le contexte du marché du travail et des politiques d’emploi. Par exemple, si l’accès au chômage est plus difficile, on observe une augmentation des incapacités pour cause de problème de santé mentale".  

Qu’en est-il ailleurs? 

Cette croissance des maladies psychosociales est-elle spécifique à la Belgique, ou est-elle également présente dans d’autres pays du monde?  

Il semblerait que les Belges ne soient pas les seuls à faire face à cette détresse. La France est, elle aussi, l'un des pays européens possédant le taux le plus élevé de burn-out. Selon l’Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises (ORSE), le nombre de cas de surmenage professionnel y aurait doublé en 2021.  

Ce phénomène est présent à travers toute l’Europe, et il n’est pas nouveau. Les estimations de l’OCDE, démontrent qu'au moins 84 millions de citoyens de l’Union européenne souffraient déjà de problèmes de santé mentale en 2019.

Et ces chiffres ne diminuent pas, bien au contraire. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les cas d’anxiété et de dépression ont augmenté de 25% dans le monde au cours de la première année de pandémie liée au Covid-19. Les années suivantes, la santé mentale s’est détériorée dans le monde entier.  

Le Service Public Fédéral (SPF) emploi affirme alors que la Belgique n’est pas un cas isolé, et que les troubles mentaux seraient en fait responsable d’un tiers des invalidités de travail dans l’entièreté des pays européens.  

Quelles solutions? 

En 2021, la Commission de l’Union européenne a annoncé un nouveau cadre stratégique pour la santé et la sécurité au travail jusqu’en 2027. Ce plan définira les objectifs à atteindre dans le cadre du bien-être professionnel.  

Selon une enquête réalisée en 2023, de nombreux pays de l’UE s’accorderaient sur le fait que leur bonheur dépend de leurs conditions de vie et de leurs revenus. Lorsqu’il leur est demandé ce qui les aiderait à améliorer leur santé mentale, 45% d’entre eux répondent: "augmenter la qualité de vie générale des Européens". Vient ensuite une facilité d’accès au diagnostic, traitement et aide pour les troubles psychiques, suivi d’une croissance de la sensibilisation des risques psychosociaux au travail.  

Un conseil réunissant les pays de l’Union européenne a donc convenu d’un certain nombre d’objectifs visant à réduire les problèmes de troubles mentaux en Europe. Parmi eux: rendre les soins plus accessibles, lutter contre la discrimination, la stigmatisation et la solitude, promouvoir la santé mentale au travail et dans l'éducation, et pour finir, améliorer la collecte de données sur la santé mentale au sein de l'Union européenne.

Le conseil a également établi un lien entre santé mentale et travail précaire, puisque les personnes mal rémunérées, sans protection et avec un avenir incertain sont les plus touchées par ces troubles.

Plusieurs mesures ont été prises pour améliorer cela: lutter contre les emplois précaires, renforcer les systèmes publics pour protéger la santé mentale au travail, soutenir les recherches sur l'incidence des conditions de travail sur la santé mentale, et assurer la surveillance de la santé des travailleurs.

La Belgique, elle aussi, souhaite s’améliorer. Le SPF emploi a lancé, en mai dernier, un site qui centralise les données et indicateurs sur les risques professionnels et les conditions de travail dans le pays. Celui-ci reprend des informations concernant l’exposition aux dangers, les conséquences, les dommages et la prévention des troubles psychosociaux.   

Investir en l'avenir 

S’il est essentiel de prévenir ces troubles, il est également nécessaire de les soigner lorsqu’ils surviennent. Des suivis thérapeutiques sont disponibles en Belgique, mais ceux-ci ont un coût. Une situation que Lisa ne connaît que trop bien…  

À l’heure actuelle, la jeune femme est toujours sous certificat médical. Et ce qui l’inquiète, c’est l’aspect pécuniaire. Après plus d’un mois d’absence professionnelle, c’est sa mutuelle qui doit l’indemniser. Lisa nous explique que les démarches sont longues, et que son assurance ne lui versera que la moitié de son salaire de base.  

Or, la raison pour laquelle elle n’a pas quitté son travail plus tôt, c’est justement l’angoisse liée à une future insécurité financière. Une épreuve de taille, donc, pour celle qui nous dit qu'elle a "une peur constante de manquer d’argent ou de ne pas mettre de côté", malgré le fait qu’elle "n’ait jamais manqué de rien".   

Aujourd’hui, Lisa prend le temps de réfléchir à ce qu’elle souhaite réellement faire dans la vie. Elle espère que cette transition lui permettra, par la suite, d’accepter un travail qui la passionne davantage, malgré un salaire moins élevé. 

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