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Didier appelle le 112 un dimanche matin vers 6 h pour une douleur à la poitrine de son père de 90 ans. Le début d'une longue période d'attente pour le quinquagénaire : les secours arrivent presque 50 minutes plus tard... à cause de travaux sur la route. Comment est-ce possible ?
Didier, 54 ans, nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour nous signaler un délai d'intervention particulièrement long des services de secours. Un dimanche matin, la mère de Didier l'appelle en urgence, elle lui explique que son père se plaint de douleurs à la poitrine. Habitant à quelques mètres à peine, il s'empresse d'aller à son chevet, et appelle le 112 quelques minutes plus tard, vers 6 h 06.
"On reste quelques minutes au téléphone, on me dit qu'on envoie une ambulance en urgence", se rappelle le quinquagénaire originaire de Fouron-Saint-Martin. Il explique être resté aux côtés de son père : "Il a mal dans la poitrine, je crains un problème cardiaque, je ne touche à rien, je reste tranquille", indique Didier.
Les minutes passent, et l'ambulance n'arrive pas. "On attend, on attend... Je vais à la fenêtre, je ne vois rien, je reviens auprès de mon papa, je me dis qu'ils m'ont oublié", s'inquiète-t-il. La crainte prend le dessus, Didier rappelle le 112 presque 50 minutes plus tard : "J'entends les sirènes à ce moment-là", se rappelle-t-il. Il s'empresse d'aller leur ouvrir et garde ses doléances pour plus tard, après la prise en charge de son père. Un infirmier urgentiste fait le nécessaire, pendant que Didier s'entretient avec les ambulanciers : "Je leur demande comment ça se fait qu'ils arrivent là si tard, ils m'expliquent qu'ils ne pouvaient pas se mettre en danger à certains endroits à cause de travaux".
"À la fin du compte, c'est un problème qui s'est résolu, il n'y avait pas de danger de mort, mais si c'était plus grave... Quand il y a urgence, il y a urgence, s'il faisait un arrêt cardiaque, il pouvait mourir ou finir en chaise roulante, ça me met en colère !", s'exclame Didier, qui prend une décision radicale. "Si ça arrive encore, je n'appelle plus l'ambulance, je prends la voiture !"
Des travaux sur la route
Pour comprendre les raisons de ce retard, nous avons contacté Marcel Van der Auwera, chef de service aide urgente au SPF Santé publique. Selon lui, des travaux routiers dans la région de Fourons sont à l'origine du problème. "Les travaux routiers ont été annoncés par une circulaire en néerlandais", explique-t-il. "Notre inspection de l'hygiène a demandé s'il y avait une circulaire en français. C'est notre administration qui a fait la traduction et qui a transmis au siège 112."
Marcel Van der Auwera pointe du doigt un possible manque de communication interne. "Ce n'est pas parce qu'on transmet une circulaire que l'ambulancier a lu tous les courriers ou les annonces qu'on a affichés dans la caserne", souligne-t-il. "Est-ce qu'ils s'en étaient rendu compte ? Est-ce que le service a bien affiché l'annonce sur un tableau ?"
Le chef de service reconnaît que même si l'information est transmise, elle n'est pas toujours assimilée par le personnel ambulancier. "Moi, dans le patelin où j'habite, je sais qu'il y a des travaux", illustre-t-il. "Si on me demande d'aller à côté, même si j'ai lu qu'il y a des travaux il y a une semaine, ça ne sera pas frais dans ma tête."
Le manque de connaissances de la zone est d'ailleurs une hypothèse probable au retard des secours chez Didier. Un "PIT" (entre une ambulance classique et un SMUR) a été déployé : "C'est le PIT de Herstal a été envoyé, car on n'en a pas partout. Sur toute la Belgique, on a une cinquantaine de PIT, ces moyens-là arrivent de plus loin, donc ça prend plus de temps qu'un SMUR (85 dans le pays) ou qu'une ambulance classique", explique Marcel Dan der Auwera. "Venant de Herstal, ils ne devaient pas bien connaître la région, ils ont donc appelé le 112 pour être redirigés."
On n'est pas fiers
Ayant eu accès à un premier rapport, le chef de service nous livre davantage d'éléments d'explications : "Sans doute que les ambulanciers ont contacté le 112, en leur disant 'On est dans les travaux', le 112 leur a répondu de venir par Margis, puis de suivre le GPS", explique le chef de service. Cette entrée dans le registre des communications montre bien que le PIT s'est retrouvé dans des travaux, combiné au manque de connaissances de la zone, le temps d'intervention a fortement augmenter. Le but à atteindre, pour le 112, c'est 15 minutes pour 90 % des interventions. "On n'est pas fiers des 45 minutes, mais c'est la réalité. Ça fait partie de 10 %, ce n'est pas une excuse, mais c'est comme ça."
Le défi des zones rurales
Le cas de Didier soulève également la question des délais d'intervention dans les zones rurales. "À Fourons, on n'a pas de départ d'ambulance en tant que tel", explique Marcel Van der Auwera. "Ce sont les ambulances de la province de Liège qui vont faire les interventions."
"Une grande réforme de l'aide médicale urgente est en discussion, un des points, c'est sur quel niveau on doit mettre ce temps d'intervention. Est-ce que ce temps doit être le même en zone rurale ou en ville ? Et pour tous les niveaux de gravité ?"
Ce qui est certain, c'est qu'il y a toujours une balance à garder entre la rapidité des interventions et le budget alloué. "On n'a pas d'ambulance dans toutes les communes. Ça, ça fait partie de la réforme de l'aide médicale urgente : identifier les lieux où une ambulance, un SMUR, n'atteint pas le seuil qu'on voudrait, pour trouver des alternatives pour combler ces zones-là. Une des alternatives, ça pourrait être qu'on mette des moyens de soin d'ambulance dans des véhicules de pompiers."
Avec une enveloppe budgétaire fermée, il faut toujours faire des choix : "Si je double le nombre de moyens, il est clair que les moyens sont plus vite sur place et on va limiter le temps d'intervention", reconnaît Marcel Van der Auwera. "Mais alors, j'ai réduit mon subside aux permanences de moitié. Mais ça doit couvrir le coût du personnel, etc. On doit trouver l'équilibre entre le temps d'intervention et le nombre de moyens et les subsides que j'ai dans mon enveloppe."
"Heureusement, Frank Vandenbroucke (le ministre de la Santé, NDLR) a augmenté l'enveloppe. On espère avoir une augmentation aussi en 2025", conclut le chef de service aide urgente au SPF Santé publique.