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A cause du coronavirus, Dominique Moulinas n'a pas vu son fils, détenu en Alsace, pendant neuf mois. Noël devait enfin sonner les retrouvailles au parloir de la prison, mais les mesures sanitaires ont tout gâché, pour ce père, triste et en colère, comme tant d'autres proches de détenus.
"Vous êtes devant une vitre en plexiglas de 8mm qui monte jusqu'au plafond, derrière laquelle il y a votre fils", décrit Dominique Moulinas. Impossible de se toucher, pour éviter toute transmission du virus. Surtout, cette vitre, obligatoire depuis le deuxième confinement, est percée de trous trop petits pour laisser le son passer.
"Vous êtes obligés de hurler pour lui demander comment ça va. Il ne vous entend pas. Vous ne l'entendez pas. Dans la salle des parloirs, tout le monde hurle". Ont-ils réussi à échanger? "Qu'est-ce que vous voulez dire à votre fils en gueulant?", s'emporte le père. "J'ai eu le malheur d'enlever le masque, je voulais lui montrer un sourire. Et de suite, un surveillant est intervenu".
Les parents ont tenté ce parloir à deux reprises pour Noël, avec leurs deux filles. "On ne peut pas infliger ça à des gens".
Dominique Moulinas s'interrompt régulièrement, gêné: "J'imagine que ça peut paraître dérisoire par rapport à la monstruosité des faits qui ont amené Matthieu à être incarcéré".
Matthieu Moulinas, 27 ans, est en prison depuis dix ans. Il est l'auteur d'un meurtre qui a choqué la France en 2011: à 17 ans, il a violé et tué une adolescente de 13 ans. Il a été condamné à la perpétuité.
"Mais c'est notre fils. Ces parloirs sont les seules relations que l'on a avec notre enfant. On a besoin d'avoir des relations avec lui, de vraies relations", plaide le père. Et pour Mathieu Moulinas, comme pour tant d'autres détenus, le parloir est la seule fenêtre sur l'extérieur.
- "En pleurs" -
Avant la pandémie, la famille se retrouvait dans un "parloir salon", un studio. "On pouvait regarder un bout de match de rugby". Un semblant de vie normale, mais seulement trois heures par mois car Dominique et son épouse vivent dans le Sud, alors que Matthieu est incarcéré à Ensisheim, en Alsace. Quatorze heures de route aller-retour.
Lors du premier confinement, afin d'empêcher la propagation du virus en détention, les parloirs ont été fermés. "Ce n'est jamais retourné à la normale", déplore Dominique Moulinas.
Le cas de la famille Moulinas n'est pas isolé. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) reçoit "des lettres, des appels" de proches de prisonniers, qui racontent aussi les cris pour se faire entendre. "Ce ne sont pas des vrais parloirs dans ces conditions", critique Dominique Simonnot.
"Des détenus préfèrent renoncer aux visites, alors que le parloir, c'est tout dans leur vie", explique-t-elle.
L'Observatoire international des prisons (OIP) a aussi "beaucoup de remontées" des familles. "Une femme a arrêté de voir son compagnon avec leur enfant car ce dernier était en pleurs à cause de la séparation vitrée: il voulait un câlin de son père", relate François Bès.
Stéphanie n'a elle pas vu son compagnon, incarcéré à Valence, depuis août. Ils ont alors passé 48 heures dans une unité de vie familiale (UVF), un appartement dans la prison. Il a ensuite dû rester en quatorzaine, et donc arrêter travail et activités: "la prison dans la prison", décrit Stéphanie.
Depuis le second confinement, les UVF ont été suspendues. "Nous espérons nous voir mi-février, mais certaines personnes ne croient pas à la réouverture" de ces unités vu le contexte épidémique. Et le téléphone? "Téléphoner depuis la prison sur un portable coûte très cher. (...) Nous sommes déjà restés un mois sans discuter". "Psychologiquement, c'est très difficile pour lui", explique Stéphanie.
La direction de l'administration pénitentiaire ne peut pas laisser le virus entrer en prison. Les vitres en plexiglas, "c'est la condition pour maintenir les parloirs", assure la DAP. "Dès l'été dernier, nous avons anticipé la possible reprise de l'épidémie. Nous avons installé (...) des séparations afin d'éviter de suspendre les parloirs".
"Tant que la situation épidémique n'a pas évolué, il n'est envisageable de faire autrement", se défend la DAP.