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Le réchauffement climatique inquiète de nombreuses personnes. On parle désormais d'écoanxiété pour aborder cette peur chronique d'une catastrophe écologique irréversible. Mais faut-il culpabiliser ?
Le sujet de la crise climatique s'est invité depuis quelques années au centre des débats et des préoccupations publiques. Avec cette problématique, certaines personnes se retrouvent atteintes d'écoanxiété. Cette forme d'anxiété, liée à un sentiment d'impuissance face aux problématiques environnementales contemporaines, touche principalement les jeunes. En mai 2023, un sondage Ipsos révélait que 48% des 18-34 ans en étaient atteints.
Les plus jeunes ne sont pas les seuls à se préoccuper de l'avenir. Lors des manifestations pour le climat, des personnes plus âgées étaient présentes dans la foule. "Il y avait des grands-parents et quand les médias leur ont demandé pourquoi ils étaient venus apporter leur soutien à cette cause, ils ont répondu qu'ils faisaient ça pour pouvoir regarder leurs petits-enfants dans les yeux", rapporte le philosophe Jean-Michel Longneaux.
À l'instar de ces grands-parents, et avec les prévisions de groupes d'experts comme le GIEC, l'écoanxiété touche également un public plus âgé. L'argument de l'héritage laissé aux générations futures est de plus en plus brandi par les militants, comme Greta Thunberg. La Suédoise avait déclaré en 2019 à la tribune de l'ONU : "Les yeux de toutes les générations futures sont braqués sur vous. Si vous décidez de nous laisser tomber, je vous le dis : Nous ne vous pardonnerons jamais."
Dès lors, faut-il culpabiliser de l'état de la planète que nous laissons à nos enfants ?
Culpabilité = responsabilité ?
Pour Jean-Michel Longneaux, "si on parle de culpabilité, on suppose qu’il y a une responsabilité". "Est-ce qu’on est responsable des générations à venir, même celles qu’on ne connaitra pas ?", interroge le professeur de l'UNamur.
Cette question de la culpabilité, elle a été soulevée en premier par le philosophe allemand Hans Jonas, en 1979. "Selon lui, ce devoir est presque comme une évidence", note Jean-Michel Longneaux. "Il faudrait ne rien faire dans sa vie qui puisse empêcher une vie de qualité (c'est-à-dire une vie qui mérite d’être vécue) pour les générations à venir."
"Nous-mêmes essayons de vivre le mieux possible", poursuit le philosophe "En étant cohérent avec soi-même, on ne peut pas se dire que nous méritons de vivre bien, mais que les autres ne le mérite pas. Si on aime la vie, on ne peut pas vouloir la détruire. En partant de là, nous sommes responsables."
À cette argumentation, Jean-Michel Longneaux souligne que des sceptiques peuvent émettre une objection : Est-ce qu'on est sûr que notre mode de vie actuel aura un impact sur l'avenir ?
En réponse, "Jonas va dire : 'On n’est pas obligé d’avoir une certitude. Du moment où la probabilité est suffisante, ça suffit pour dire que nous sommes responsables. C’est une forme de fuite que d’essayer de se dédouaner à tout prix'".
Faire ce qui est en notre pouvoir
Le professeur Longneaux, qui est également conseiller en éthique dans le monde de la santé, souligne qu'une deuxième forme de pensée peut survenir. Celle de "se dédouaner parce que les problèmes sont au plan mondial. Se dire 'c'est trop grand pour moi'. On pourrait dire que c’est un argument pour s’échapper de la culpabilité".
L'expert fait part d'un point très important : "Il faut distinguer ce sur quoi nous pouvons agir et ce sur quoi nous ne pouvons pas le faire. Il convient de ne pas culpabiliser pour les choses que je ne maîtrise pas."
À l'inverse, "il y a un autre volet qui reprend les choses que j’ai en mon pouvoir : trier, manger local, bio, renoncer à prendre l’avion, etc." Le pouvoir de manifester est à ajouter à cette liste et permet, lui, d'exercer une relative influence sur ce que nous ne maîtrisons pas.
Une seule culpabilité
Pour le philosophe Jean-Michel Longneaux, "la seule culpabilité qu’on peut avoir" doit reposer sur une question : Est-ce que j'ai fait ce que je pouvais ? "Peu importe que ça fonctionne ou pas, j’ai fait ce que j’ai pu", est la mentalité à adopter, car "si personne ne fait ce qu’il peut, on va vers la catastrophe".
Si l'action individuelle est essentielle, celle des États n'en demeure pas moins indispensable. "L’individuel ne va pas sans le collectif", arguait Dominique Bourg, philosophe et professeur à l’université de Lausanne, en Suisse, dans une interview accordée au HuffingtonPost. "Si une prise de conscience de chacun est nécessaire, elle doit s’accompagner de celle des États".
Accélérer les transitions
Si les États se sont tous (ou presque) engagés à réduire leurs impacts environnementaux, les objectifs sont loin d'être atteints.
Selon un rapport de l'ONU, daté de novembre 2023, il est nécessaire de baisser les émissions de gaz à effet de serre de 28% pour ne pas dépasser un réchauffement de 2°C d'ici 2030. Pour limiter le réchauffement à 1,5°C, il faut faire baisser les émissions de 42%.
Dans l'état actuel des choses, le réchauffement climatique atteindra 2,9°C par rapport aux niveaux préindustriels. "Le rapport appelle toutes les nations à accélérer les transformations de développement à faible émission de carbone à l’échelle de l’économie", conclut la publication qui appelle les pays "dotés d’une plus grande capacité et d’une plus grande responsabilité en matière d’émissions devront prendre des mesures plus ambitieuses et soutenir les pays en développement dans leur quête d’une croissance de développement à faibles émissions".
"Nous savons qu’il est encore possible de faire de la limite de 1,5 degré une réalité. Cela nécessite d’arracher la racine empoisonnée de la crise climatique : les combustibles fossiles. Et cela exige une transition juste et équitable vers les énergies renouvelables", a déclaré pour sa part Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations Unies.
Encore faut-il que les États acceptent de se lancer dans une transition fulgurante de leur économie.
L'économie avec ou contre l'écologie ?
"La croissance telle qu’utilisée actuellement, c’est-à-dire une accumulation de biens, est incompatible avec l’écologie", tranche l’économiste Bruno Colmant.
Pour l’expert, il est possible de concilier économie et écologie, mais cela demande un changement radical dans nos manières de consommer. "Quand on paie un t-shirt à 2,99 euros, on aggrave le problème. Si le prix des biens et des services qu’on consomme reflètent le prix réel de l’impact sur l’environnement (et donc qu’il augmente, ndlr), on arrivera vers des prix plus chers, mais une croissance plus responsable". C’est ce qu’on appelle une comptabilité écologique.
Bien sûr, si les prix augmentent de manière significative, parce qu’ils refléteront leur empreinte carbone, une partie de la population ne parviendra plus à se payer grand-chose. "C’est le véritable problème", souligne Bruno Colmant. "C’est une réalité, mais il faudrait subsidier les bas salaires pour qu’ils puissent continuer de vivre décemment".
Une véritable révolution économique qui peut être adoptée à l’échelle d’un seul pays, assure l’économiste.