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Nette accélération dans une enquête-phare du #MeToo français : les cinéastes Benoît Jacquot, 77 ans, et Jacques Doillon, 80 ans, accusés depuis plusieurs mois par Judith Godrèche et d'autres femmes de violences sexuelles, sont lundi en garde à vue à Paris à la Brigade de protection des mineurs (BPM).
Les deux hommes contestent ces accusations. Ils sont arrivés vers 09h30 à la Direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) à Paris accompagnés de leurs avocates.
Benoît Jacquot "va enfin pouvoir s'exprimer devant la justice", a réagi son conseil Me Julia Minkowski, dénonçant une "critiquable" garde à vue alors qu'"une audition libre aurait dû être décidée". "Je déplore l'ensemble de ces dysfonctionnements de la justice, à la faveur d'une ultra-médiatisation qui emporte des dérives inadmissibles", a-t-elle ajouté.
Pour Me Marie Dosé, avocate de Jacques Doillon, "aucun des critères légaux ne saurait justifier cette mesure" de garde à vue, "36 ans" après les faits dénoncés par Judith Godrèche. Son client "aurait dû être entendu dans le cadre d'une audition libre au vu de l'ancienneté des faits, de leur prescription acquise depuis plus de deux décennies, et de l'inéluctable classement sans suite qui clôturera cette enquête", a-t-elle ajouté dans un communiqué.
"Sa présomption d'innocence est bafouée à longueur de journée" dans cette "procédure largement contaminée par des considérations extra-judiciaires", notamment de "communication".
Le parquet de Paris a confirmé ces gardes à vue en "rappelant que le secret de la procédure a pour objectif le respect de l'intimité des personnes qui ont confié leur récit à la seule justice, celui de la présomption d'innocence, et la sérénité des investigations, nécessaire à leur bon déroulement." Selon des sources proches du dossier, ces gardes à vue qui pourraient durer jusque mardi soir devraient être l'occasion de confrontations entre chacun des réalisateurs et certaines de leurs accusatrices respectives, parmi lesquelles Mme Godrèche.
"Je pleure (...). Je ne sais pas si j'ai la force mais je l'aurai. Je l'aurai, je l'aurai", a réagi l'actrice sur Instagram lundi matin, dans un message accompagné d'une photo sur laquelle elle figure avec Benoît Jacquot.
L'avocate de Mme Godrèche, Me Laure Heinich, n'a pas souhaité commenter, rappelant le secret de l'enquête.
"Emprise"
Début février, sa cliente de 52 ans a déclenché une nouvelle tempête dans le #MeToo français en portant plainte contre Benoît Jacquot pour viols et Jacques Doillon pour agression sexuelle.
L'enquête est ouverte pour viol sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité, viol, violences par concubin, et agression sexuelle sur mineur de plus de 15 ans par personne ayant autorité.
M. Jacquot et Mme Godrèche, née en mars 1972, ont débuté leur relation au printemps 1986. Ils ont vécu ouvertement ensemble jusqu'à leur séparation en 1992. Pour l'actrice, c'était une relation d'"emprise" et de "perversion".
Deux autres actrices ont porté plainte contre M. Jacquot.
Julia Roy, 42 ans de moins et qui a joué dans quatre de ses films sortis entre 2016 et 2021, a déposé plainte pour agression sexuelle dans "un contexte de violences et de contrainte morale qui a duré plusieurs années", d'après une source proche du dossier.
L'actrice Isild le Besco a elle déposé plainte fin mai pour viols sur mineure de plus de 15 ans et viols, remontant aux années 1998-2007.
Leurs avocats respectifs, Me Margot Pugliese et Benjamin Chouai, n'ont pas souhaité commenter lundi.
S'agissant de M. Doillon, Mme Godrèche l'accuse de l'avoir "pelotée" pendant une scène de sexe imprévue sur un tournage, alors qu'elle avait 15 ans et était en couple avec Benoît Jacquot, pour un film sorti en 1989.
Isild Le Besco a aussi indiqué avoir dû subir les avances de M. Doillon pendant des séances de travail, tandis que l'actrice Anna Mouglalis a accusé le cinéaste de l'avoir embrassée de force à son domicile en 2011.
Cette nouvelle vague de dénonciations dans le #MeToo français a mis en ébullition le cinéma français début 2024 et ébranlé la cérémonie des César ou le Festival de Cannes.
Une commission d'enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma, l'audiovisuel, le spectacle vivant, la mode et la publicité, avait débuté en mai mais a été stoppée net après la dissolution début juin de l'Assemblée nationale.
Vendredi, c'est Dominique Boutonnat, l'un des hommes les plus puissants de la profession, qui a quitté la tête du Centre national du cinéma (CNC) après sa condamnation pour agression sexuelle.
Gérard Depardieu doit lui être jugé en octobre à Paris pour agressions sexuelles sur deux femmes, et risque un procès pour viol sur une troisième.