Les Tunisiens élisent ce dimanche leur président pour la deuxième fois depuis la révolution de 2011, départageant deux candidats atypiques, un homme d'affaires controversé et un rigide théoricien du droit, au terme d'une saga électorale dans la jeune démocratie.
Qui de Nabil Karoui, magnat des médias poursuivi pour fraude fiscale, ou de Kais Saied, enseignant de droit constitutionnel sans expérience du pouvoir, deviendra le deuxième président démocratiquement élu au suffrage universel de l'histoire du pays?
"Que ce derby se termine en faveur de la Tunisie", lance Najoua Nahali, 53 ans, montrant son doigt taché d'encre après avoir voté dans le centre de Tunis.
Dans un bureau de vote, des électeurs se disent partagés entre "celui qui va appliquer la loi" et celui "qui aide les pauvres", en référence aux émissions caritatives qui ont fait la popularité de M. Karoui.
"Aujourd'hui c'est une occasion pour récupérer notre Tunisie, la Tunisie moderne de la femme (...), pas la Tunisie qui nous fait peur", a déclaré Nabil Karoui après avoir voté à Tunis, tentant de se poser en rempart contre l'islamisme, dont il accuse son rival d'être le relai.
Le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, arrivé en tête des législatives du 6 octobre avec 52 places au Parlement sur 217, a appelé à voter pour Kais Saied, universitaire au conservatisme sociétal assumé. En revanche, rares ont été les appels explicites à voter pour M. Karoui, contesté au sein même de sa famille politique.
"Nous ne devons pas laisser le pouvoir entre une seule main, il faut un équilibre", a affirmé M. Karoui dont le parti Qalb Tounes, crée en juin, est arrivé deuxième aux législatives.
De con côté, Kais Saied a appelé les Tunisiens à "faire un choix aujourd'hui en toute liberté".
"Vous avez créé un nouveau concept de révolution, il faut se référer uniquement à votre conscience, et vous gagnerez votre souveraineté", a affirmé le candidat arrivé en tête du premier tour en réactivant les valeurs de la révolution de 2011, basée sur une opposition aux élites occidentalisées et corrompues, et une décentralisation radicale du pouvoir.
Les sept millions d'électeurs sont appelés à se rendre aux urnes jusqu'à 18H00 (17H00 GMT).
La télévision nationale diffusera des sondages dès le début de soirée, et les deux camps pourraient proclamer la victoire bien avant la publication des résultats officiels, attendus d'ici mardi.
Saga politique
La mort en juillet du premier président élu démocratiquement au suffrage universel, Béji Caïd Essebsi, a avancé la présidentielle de quelques mois, précipitant le pays dans une saga politique.
Il y a d'abord eu l'incarcération fin août de Nabil Karoui, qui était à couteaux tirés avec le Premier ministre Youssef Chahed et qui caracolait dans les premières places des sondages. L'homme d'affaires a martelé que son arrestation, à quelques jours du début de la campagne du premier tour, était "politique".
Puis le premier tour a balayé la classe politique en place.
Candidat sans parti, M. Saied, 61 ans, avait obtenu 18,4% des voix, après une campagne low cost constituée de multiples visites de terrain et de pages animées par des partisans sur Facebook.
Face à lui, M. Karoui, 56 ans, fondateur d'une des principales chaînes de télévision du pays, Nessma, avait obtenu 15,6% des voix depuis sa cellule de prison.
Les deux hommes ont créé la surprise en s'extrayant du peloton des 26 candidats, au détriment notamment des dirigeants sortants, sanctionnés par une population exaspérée par les chamailleries politiciennes et l'horizon économique invariablement bouché depuis la révolution de 2011.
Si la sécurité s'est nettement améliorée ces dernières années, après une série d'attentats jihadistes en 2015, le chômage continue de ronger les rêves, notamment des jeunes, et l'inflation grignote un pouvoir d'achat déjà faible.
"Oppositions"
Le dernier rebondissement a été la libération in-extremis mercredi, après plusieurs rejets de la justice, de M. Karoui.
La campagne menée dans une ambiance fébrile s'est achevée vendredi par un débat télévisé sans précédent, et très suivi.
Reste à savoir si cet intérêt pour le duel se traduira dans les urnes. Au premier tour le 15 septembre, seul un électeur sur deux s'était déplacé, mais l'instance chargée des élections espère un taux plus élevé dimanche.
Alors que la Constitution de 2014 fait la part belle au Parlement, les regards se tourneront après ce second tour vers Ennahdha, chargé de former le nouveau gouvernement, une tâche ardue.
Cette formation devra en effet rallier de nombreux autres blocs pour atteindre la majorité de 109 sièges.
Quel qu'il soit, le prochain président "affrontera des oppositions au sein du gouvernement et du Parlement", avertit le politologue Slaheddine Jourchi.
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