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"Tomber malade? Interdit": vétérinaire à Ferrières, Julien s'inquiète pour l'avenir de sa profession

Dans la région de Ferrières, comme dans bien d’autres zones rurales, le secteur vétérinaire est confronté à une pénurie de professionnels, principalement dans le milieu agricole. Julien, un vétérinaire, vit concrètement cette situation, car il ne parvient pas à recruter de futurs collègues au sein de son entreprise. Comment expliquer cette désaffection pour la profession ? L'Union professionnelle vétérinaire (UPV) et la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Liège font le point sur la situation actuelle.

"Ce n’est pas un métier commun. Il faut que la passion vous anime absolument pour faire ça. On vit de petites choses. C’est un émerveillement à chaque fois de pouvoir sauver la vie d’un animal. C’est ce qu’il y a de plus fort". Julien, vétérinaire du côté de Ferrières, vit pleinement son rêve d'enfant, ancré dans ses racines agricoles. "Je suis tombé dedans quand j’étais petit. Je suis fils d’agriculteur".

Comme pour de nombreux vétérinaires ruraux, Julien est soumis à des horaires qui peuvent être éreintants et à une charge de travail importante. "C’est l’accumulation des heures qui fait qu’on arrive fatigué à la fin de la journée. Même si un éleveur vous téléphone une heure ou deux après la fin de votre journée de travail, qui peut durer 10 heures, vous êtes obligés d’y aller. Avec la charge émotionnelle liée à cela, vous ne pouvez pas laisser votre éleveur sur le carreau et ne pas le servir à ce moment-là. On pourrait toujours dire non, mais il n’y a personne qui ose faire ça", explique-t-il.

Dans sa région, en province de Liège, chaque vétérinaire doit s’occuper en moyenne de 4 000 bovins. Une situation qui impose une charge de travail importante. Julien a ouvert un poste pour engager un nouveau collaborateur, mais en près d’un an, il n’a reçu aucune candidature.

"La grosse problématique de 2024, bien que cela dure depuis plusieurs années, c’est qu’on a un poste ouvert pour un vétérinaire mixte, et on a zéro candidature. Le bilan est clair", regrette-t-il.

"Il y a toute une série d’avantages pour essayer d’attirer ces jeunes-là, et malgré tout, ils ne veulent pas venir. Et ceux qui viennent faire ce métier quittent la profession après un an ou deux. Cela amène de la détresse, car on ne sait pas comment on fera demain. Si l’un de nous est malade ou se casse une jambe, je ne sais pas comment on fera. Il n’y a pas de service de remplacement. Cela va être une catastrophe. Je n’ai pas le droit de tomber malade, c’est interdit".

Tout un pan de l’économie rurale pourrait s’effondrer

Le secteur est en pénurie, principalement pour les animaux de la ferme. Comment expliquer que Julien éprouve des difficultés à recruter de jeunes vétérinaires pour son activité ? Nous avons interrogé Tatiana Art, doyenne de la faculté de médecine vétérinaire à l'université de Liège, qui confirme que la situation est prise au sérieux. "Nous participons à une enquête qui vise à comprendre pourquoi nos diplômés abandonnent la profession et pourquoi, après quelques années d’exercice, ils préfèrent se réorienter. La première étape est d’essayer de comprendre", explique-t-elle.

Tatiana Art indique que sa faculté tente de promouvoir l’intérêt pour les animaux de rente, mais les résultats restent mitigés. "Au niveau de la faculté, nous essayons déjà de favoriser l’insertion des étudiants dans le milieu professionnel des animaux de rente pour démystifier la profession. Nous espérons ainsi qu’il y en ait davantage qui se dirigent dans cette direction et qui y restent".

La doyenne livre ses pistes d'explication sur ce relatif désintérêt des étudiants pour cette branche de la médecine vétérinaire. "Il y a 40 ans, il y avait beaucoup d’enfants de ferme et de la campagne qui venaient faire des études de médecine vétérinaire. Je pense qu’actuellement, il y a plus de jeunes qui viennent des villes. Il y a une espèce de crainte de partir dans le monde rural, car c’est considéré comme très dur sur le plan physique : il faut travailler la nuit, dans le mauvais temps, et il faut beaucoup se déplacer... Cela fait peur", observe Tatiana Art.

Le manque d'expérience pratique et la rudesse du travail rural dissuaderaient certains étudiants. "S’il n’y a plus de vétérinaires et d’animaux de rente, il va y avoir tout un pan de l’économie rurale qui va s’effondrer. C’est très important qu’ils s’insèrent et qu’ils y restent. C’est surtout ça, le problème. Il y a un relatif désintérêt pendant les études. Nous avons des étudiants qui se destinent à ça et qui sont extrêmement motivés, mais ils sont trop peu nombreux".

Certains jeunes ne s’attendaient pas à faire face à certaines difficultés

Marcel Renard, co-président de l’Union Professionnelle Vétérinaire (UPV), confirme également la tendance observée sur le terrain. "Il y a une pénurie, c’est même un danger pour le futur", déclare-t-il. Il estime que 30 à 40 % des jeunes diplômés quittent la profession après seulement quelques années d’exercice. Selon lui, la situation n'est pas limitée à la Belgique.

Marcel Renard met en avant plusieurs raisons pour expliquer cette désaffection envers la profession : "Certains jeunes ne s’attendaient pas à faire face à certaines difficultés. Ils ne sont pas assez sur le terrain pendant leur formation". En plus de cela, la rémunération et la lourde charge administrative sont souvent citées comme des facteurs de découragement.

Des mesures commencent ainsi à être prises. Le co-président de l'UPV indique qu'un observatoire de la profession a été créé pour identifier les zones les plus touchées par la pénurie et envisager des solutions adaptées. "Des subsides ont été alloués par le ministre de l’agriculture de la Région wallonne pour créer des associations vétérinaires dans les zones rurales", précise-t-il.

La province du Luxembourg se distingue par ses initiatives en vue de promouvoir la profession. "Une des premières choses est d’accompagner les maîtres de stage pour les aider à accueillir le stagiaire. La deuxième chose est la faculté qui a stimulé des visites en ferme afin d’augmenter le contact avec le milieu. La troisième chose, c’est l’association des vétérinaires du Luxembourg et un organisme de formation qui se sont mis ensemble pour aider à la formation et à la mise en marche de l’entreprise vétérinaire", conclut Marcel Renard.

 

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