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Mohammed, 59 ans, vit à Molenbeek depuis plus de 20 ans. Il y a une vingtaine de jours, l’homme a été expulsé de son appartement. À présent sans logement, il dort dans la rue. Sa sœur, Noura, nous a contactés pour nous raconter son histoire.
Mohammed, qui aura bientôt 60 ans, est reconnu comme toxicomane depuis 30 ans. Auparavant soudeur, il est aujourd’hui en incapacité de travail pour consommation extrême.
Suivi par une association pour ses addictions, il bénéficie également du soutien indéfectible de sa sœur Noura, 67 ans. "Je gère les biens de mon frère depuis 20 ans. Je paye son loyer, fais ses courses et lave son linge", confie-t-elle via le bouton orange Alertez-nous.
"En 1 h, ils ont tout jeté et l’ont mis dehors"
Le quinquagénaire vit seul. Depuis 24 ans, il occupe un appartement social du logement molenbeekois. Mais après plusieurs disputes survenues à son domicile, Mohammed en est expulsé. "Le 21 octobre, la police est venue le sortir de chez lui. En 1 h, ils ont tout jeté et l’ont mis dehors", raconte sa sœur.
Une situation qui, selon elle, les a pris au dépourvu. La femme est catégorique : "Nous n’avons pas été informés de la convocation du juge de paix. La lettre envoyée par l’administration communale début septembre ne nous est pas parvenue".
Nous avons rencontré de graves problèmes de comportements avec lui
Contacté par nos soins, Jules Monnier, chargé de communication du logement molenbeekois, nous donne quelques précisions concernant cette éviction : "Cet homme a été expulsé pour non-respect du règlement d’ordre intérieur (ROI). Nous avons rencontré de graves problèmes de comportements avec lui, dont des menaces envers ses voisins, et ce depuis plusieurs années".
L’homme ajoute cependant qu’il s’agit d’un cas très rare, puisqu’il n’y avait plus eu d’expulsion pour ce motif depuis 2019.
De son côté, Noura ne raconte pas la même version. "Il y a six étages au logement, et mon frère n’a jamais eu aucun incident avec ses voisins. S’il y avait eu des problèmes ou des menaces, je l’aurais fait déménager moi-même", assure-t-elle.
Elle ajoute également que le loyer a toujours été payé en temps et en heure. "Tout est en ordre, il n’a aucune dette", précise la sexagénaire.
Quelles conditions pour une expulsion ?
Un défaut de paiement du loyer peut, en effet, engendrer une expulsion. Mais il ne s’agit pas de la seule situation pouvant entraîner une exclusion de domicile.
Jules Monnier, porte-parole du logement molenbeekois, explique qu’une occupation sans titre ni droit (de type squat), une inoccupation effective du logement ou, dans le cas de Mohammed, un non-respect du ROI (règlement d'ordre intérieur), sont également des motifs valables.
Mon frère pèse seulement 37 kg
"Mon frère pèse seulement 37 kg, il est en fin de vie. Le sortir de chez lui, c’est le condamner à mort dans la rue", dénonce Noura. Isabelle De Viron, l’avocate en charge du dossier, affirme néanmoins que "le verdict du premier juge est exécutoire sans retour".
Autrement dit, la décision est prise. La seule solution pour la contrer est de faire appel, mais "obtenir une date en appel est quasiment impossible avant une expulsion, et il n’y a aucune autre possibilité de revoir une expulsion sans voir le juge de la cour d’appel", explique-t-elle.
Quelles solutions ?
L’avocate précise cependant qu’une obligation internationale existe, et que celle-ci impose de veiller à ce qu’une personne ait un logement décent. Elle ajoute : "Une ordonnance de réglementation a été mise en place dans la région bruxelloise afin que les CPAS aident à reloger les gens pour éviter qu’ils se retrouvent dans la rue".
Nous faisons notre possible pour aider mais nous ne sommes pas obligés de les reloger
Olivier Vanderhaegen, directeur de l’action sociale du CPAS de Molenbeek, clarifie toutefois les spécificités de cette ordonnance : "À Bruxelles, ce plan permet au CPAS d’agir le plus en amont possible d’une expulsion. Lorsqu’un jugement est prononcé, nous sommes informés et nous contactons les personnes concernées pour voir ce que nous pouvons faire. Nous faisons notre possible pour aider mais nous ne sommes pas obligés de les reloger".
Le directeur évoque les difficultés souvent rencontrées par le CPAS dans ce genre de cas : "Nous sommes mobilisables dès le jugement, mais les personnes que nous contactons ne répondent pas toujours à temps. Ils viennent vers nous lorsque la situation est catastrophique, qu’ils vont bientôt se faire expulser, ou que c’est déjà fait. Nous n’avons aucune prise là-dessus".
Il avoue devoir parfois gérer plus de 5 expulsions par jour dans la commune. "Nous avons des logements temporaires, de transit ou des centres d’accueil, mais retrouver un logement peut prendre des semaines. Chaque cas est spécifique, et nous ne sommes pas magiciens", déplore-t-il. Avant d’ajouter : "Certaines personnes préfèrent aussi trouver des solutions elles-mêmes et refusent nos propositions".
"Aujourd’hui, il préfère mourir que rester vivant"
En attendant d’être entendu devant la cour d’appel, Mohammed dort dehors. "Je lui ai proposé de venir chez moi, mais il refuse, il dit qu’il m’a déjà assez embêtée", s’attriste Noura. "Aujourd’hui, il préfère mourir que rester vivant. Quand je n’ai pas de nouvelles de lui, je me dis qu’il est sûrement mort quelque part dans la rue".
De son côté, le porte-parole du logement molenbeekois, nous confirme que rien n’interdit à une personne précédemment expulsée de réintroduire une demande de logement.
Cependant, il précise qu’"entre l’inscription et l’obtention d’un logement social, le délai se compte souvent en années".