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Face à la fronde de la rédaction de Marianne, opposée au rachat de l'hebdomadaire par Pierre-Edouard Stérin après un article sur ses liens avec le Rassemblement national (RN), le milliardaire et l'homme d'affaires tchèque Daniel Kretinsky ont suspendu leurs négociations.
CMI France, le groupe de M. Kretinsky, et Pierre-Edouard Stérin "ont décidé d'un commun accord de suspendre leurs discussions sur la cession de Marianne", a annoncé à l'AFP l'actuel propriétaire du titre.
"Ils se retrouveront le 21 juillet pour statuer définitivement sur le sort de ces discussions", a précisé CMI France au premier jour d'une grève de 24 heures reconductible. Elle a été votée par la rédaction jeudi après une rencontre infructeuse avec Denis Olivennes, président du conseil de surveillance de CMI France.
"Nous faisons grève pour demander un arrêt total des négociations", a commenté auprès de l'AFP la journaliste Margot Brunet, membre de la société des rédacteurs (SRM) de Marianne, avant une probable assemblée générale.
"Or ce n'est pas le sens d'une suspension", a-t-elle ajouté, redoutant une manoeuvre destinée à repousser la décision "à un moment où le contexte politique sera plus calme et où la vente fera moins de bruit".
- "Entreprise partisane" -
Jeudi, la rédaction a exprimé à l'unanimité son rejet du rachat par Pierre-Edouard Stérin, au lendemain d'un article du Monde lui prêtant des accointances politiques avec le RN.
Dans son enquête, le quotidien avance que plusieurs candidats aux élections législatives LR favorables à l'alliance avec le RN sont issus de la "galaxie Stérin". Ils sont notamment liés au Fonds du bien commun, l'entreprise philanthropique du milliardaire de 50 ans, qui est à la tête du fonds d'investissement Otium Capital.
Le Monde cite aussi un autre article du magazine Challenges, selon lequel M. Stérin et le numéro 2 d'Otium, François Durvye, ont racheté en novembre pour 2,5 millions d'euros la propriété familiale des Le Pen à Rueil-Malmaison, via une société civile immobilière.
"Ce qui apparaissait comme un engagement idéologique individuel se révèle être une entreprise partisane", avait estimé jeudi la SRM, demandant à CMI France de "se mettre en quête de nouveaux acquéreurs en mesure d'assurer l'indépendance éditoriale de Marianne et (sa) pérennité économique".
La rédaction a ainsi fait volte-face par rapport à un précédent vote. Le 21 juin, elle avait décidé à 60,3% de ne pas s'opposer au rachat du titre par M. Stérin, 104e fortune française et patron de Smartbox (coffrets cadeaux), en négociations exclusives depuis mi-mai avec CMI France.
Ce premier scrutin devait permettre la poursuite de négociations sur "les garanties d'indépendance" proposées par le milliardaire catholique conservateur et libéral sur le plan économique.
Mais 40% des salariés s'opposaient déjà "par principe à Pierre-Edouard Stérin", insiste Margot Brunet, selon qui "l'article du Monde a fait office de bascule".
"Tous nos articles", telles des enquêtes sur la gauche ou des faits de société, seraient "marqués par le doute" si M. Stérin devait posséder l'hebdomadaire, souligne la journaliste, craignant également que certaines sources "ne répondent plus".
- Challenger -
Dans le projet de M. Stérin, l'ancien ministre et entrepreneur Arnaud Montebourg était pressenti pour présider le futur conseil d'administration de l'hebdomadaire créé en 1997 par les journalistes Jean-François Kahn et Maurice Szafran.
Son profil de gauche souverainiste semblait correspondre à la ligne éditoriale de Marianne alliant souverainisme, laïcité et critique des élites, et dont la directrice de la rédaction est Natacha Polony.
Parallèlement aux négociations exclusives avec M. Stérin, un challenger a fait une autre offre de reprise pour Marianne: l'entrepreneur Jean-Martial Lefranc, 62 ans, qui a fait carrière dans les jeux vidéo et avait repris le groupe de presse jeunesse Fleurus en 2009.
M. Lefranc a formulé une offre de cinq millions d'euros, allié à d'autres investisseurs, parmi lesquels Henri de Bodinat, Joan Beaufort et Philippe Corrot (cofondateur de l'entreprise d'e-commerce Mirakl).
Son profil est plus "rassurant" car "c'est un homme qui connaît la presse", estime Margot Brunet. Mais, "pour l'instant, (son offre) ne nous paraît pas assez solide financièrement", a-t-elle déploré.