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Chaque année, de nombreux migrants tentent de traverser la Manche au péril de leur vie. Une de nos équipes s’est rendue sur la Côte d’Opale pour constater une situation hors de contrôle : les migrants tentent la traversée plusieurs fois par jour, les forces de l’ordre semblent dépassées face à la situation.
Un gendarme sort un enfant de la mer. Il a retiré sa veste pour réchauffer celui qu’il tient dans ses bras. Le garçon, gelé par le froid, n’a pas réussi à monter à bord du bateau qui devait l’emmener au Royaume-Uni. Il vient de risquer sa vie. Cette scène semble irréelle, elle est pourtant tout à fait ordinaire sur la côte d’Opale.
Les tentatives de traversées sont en hausse depuis un an, ce qui force les associations à augmenter leur activité. Gaëtan, Giovanna et Angèle se sont donné rendez-vous à 3h du matin pour débuter une maraude sur le littoral.
Dans leur camionnette, il y a de quoi équiper 80 personnes. "On va couvrir plus de 80 km de côtes à la recherche de personnes qui auraient tenté la traversé vers l'Angleterre, mais qui l'auraient ratée. Ils se retrouvent sur les plages, généralement trempés", explique ainsi Angèle, bénévole.
La police est venue et a saisi le bateau
Première étape : l’équipe s’arrête à un lieu clé d’où on peut observer une large étendue de dune et de plage. Une lumière bleue les interpelle directement. C’est la police maritime en mission de surveillance. Peut-être s'agit-il d'un départ ? "C'est une grande zone naturelle avec de grandes dunes dans laquelle les personnes attendent et tentent ensuite de partir", affirme la bénévole.
Des départs sous haute surveillance
5h du matin. Un premier appel de secours retenti. Entre 20 et 30 personnes se trouvent à la gare de Wimereux, une petite station balnéaire bien connue des Belges. Ces femmes, hommes et enfants viennent de tenter une traversée. Ils ont été interceptés avec le bateau sur la plage par la police.
Mayo, 17 ans, est d’origine soudanaise. Il a payé 2 000 euros pour la traversée. C’est déjà la 8e fois qu’il tente de rejoindre le Royaume-Uni : "La police est venue et a saisi le bateau. C’est difficile pour ceux qui organisent les départs de trouver un bateau le même jour. Ça va prendre du temps".
Je vais continuer à essayer de passer, je veux me concentrer sur mes études
Ce jeune homme a fui la guerre civile au Soudan depuis janvier dernier. Il a déjà traversé la mer Méditerranée sur un bateau de fortune. Aujourd'hui, il souhaite rejoindre le Royaume-Uni parce qu’il connaît la langue, pour poursuivre ses études. "La Méditerranée, c’était bien plus dangereux. Ici, c’est plus facile. Je vais continuer à essayer de passer, je veux me concentrer sur mes études", dit-il.
Après avoir reçu une couverture et une boisson chaude, le groupe de migrants est convié à prendre un autre train à Calais pour rejoindre Dunkerque. "Quand vous y êtes, vous pouvez envoyer un message. Et on essayera de vous trouver un toit, un lieu où dormir", leur conseille les bénévoles.
Des départs, il y en a quotidiennement, même plusieurs fois par jour lorsque la météo est favorable. Le Royaume-Uni a enregistré 32. 900 demandes d’asile rien que pour cette année. Il s'agit de 10% de plus qu’en 2023.
2024, l'année la plus meurtrière
En route le long de la côte, nous croisons des personnes avec gilets de sauvetage. Elles se dirigent avec détermination vers la plage. Aucun doute : des migrants vont tenter une traversée. Les gendarmes essayent de les suivre pour tenter de les en empêcher, en vain. Le nombre ne permet pas à la police d’effectuer des arrestations.
Au loin, nous apercevons une embarcation déjà surchargée. Des passeurs viennent chercher les migrants qui sont déjà dans la mer. La majorité parvient à embarquer... Mais six personnes échouent. Deux hommes, deux femmes et deux enfants.
Pour les gendarmes, c’est désormais une opération de sauvetage qui débute. Un homme à terre est en hypothermie. Deux gendarmes parviennent difficilement à le soulever et le traînent dans l’eau. Tous sont exténués par la fatigue et par le froid. Les six personnes vont s’en sortir, tandis que l’homme en hypothermie est envoyé à l’hôpital.
À l’horizon, le bateau est encore visible. En mer, la police a l'interdiction d’intercepter les embarcations. L'embarcation va donc se faire escorter par la marine française jusqu’à la frontière, la marine britannique assurera la fin du trajet vers Douvres.
Une "détresse absolue"
Ceux-là ont donc réussi à passer, mais tous n'ont pas cette facilité. L'année 2024 est considérée comme l'année la plus meurtrière en termes de traversée de la Manche : au moins 52 personnes sont décédées, contre 24 l’an dernier.
"Ça montre la situation de détresse absolue des gens, qui n'hésitent pas à prendre des risques pour rejoindre l'Angleterre. Ça montre aussi le désarroi des dispositifs de secours et policiers qui ne savent pas comment faire, qui ne savent pas comment gérer la situation", s'indigne Angèle.
Pourtant, les tentatives de traverser se poursuivent encore et toujours, malgré le danger et l’incertitude.