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"On veut juste être tranquille": à L'Escarène, Blausasc ou Berre-les-Alpes, trois villages plutôt paisibles de l'arrière-pays niçois, la peur de l'extérieur alimentée par médias et réseaux sociaux dope les résultats de l'extrême droite.
Dans cette ancienne "vallée rouge" du Paillon, longtemps bastion de gauche, au nord-est de Nice, le RN rafle désormais la mise dans les élections nationales. Aux seconds tours en 2022, Marine Le Pen a dépassé les 70% à la présidentielle, tandis qu'Alexandra Masson, députée RN sortante, les frôlait aux législatives.
"La plupart des élections successives n'ont pas pris en compte la frustration des gens et leur désir de protestation (...). Ils ont peur d'être oubliés", explique Jean-Claude Vallauri, 59 ans, géomètre et adjoint au maire (sans étiquette) de L'Escarène depuis 2008.
Même s'ils sont plutôt isolés et vieillissants, ces trois villages restent dynamiques, avec un cadre de vie ou des prix immobiliers qui attirent de jeunes actifs. Les écoles sont neuves et pleines, les commerces de proximité encore ouverts.
L'Escarène (2.600 habitants) vient d'inaugurer un pôle médical et garde un bureau de poste ainsi qu'une gare, même si la ligne va bientôt fermer pendant 18 mois pour travaux. Un peu encaissé, le village reste le moins bien loti des trois.
A flanc de colline, Blausasc (1.600 habitants) peut compter sur la redevance des carrières exploitées par le groupe cimentier Vicat. Berre-les-Alpes (1.200 habitants), perché sur un sommet, attire les touristes avec ses ruelles escarpées et ses vues somptueuses.
- "Je me barricade!" -
Ici, la vie est paisible. "Pas d'insécurité, pas d'immigration", répètent les habitants.
Certes, un homme soupçonné de cambriolage est mort il y a deux ans après avoir été passé à tabac par des habitants à L'Escarène, et un gourou roumain de yoga tantrique soupçonné de viols avait installé l'un de ses ashrams sur les pentes de Berre-les-Alpes.
Mais les habitants s'inquiètent surtout de ce que la télévision ou les réseaux sociaux leur renvoient de l'actualité nationale.
"Les gosses qui se plantent au couteau et puis dernièrement une jeune fille agressée, violée... On était calme et maintenant, je suis obligé le soir de vérifier tout. Je me barricade!", raconte Jean-Marie Sigaut, retraité de 83 ans, au bingo du club des aînés de Blausasc, en référence à des agressions qui ont eu lieu loin, en novembre dans la Drôme ou récemment à Courbevoie, en région parisienne.
Dans ce village cossu où la manne de Vicat a permis la construction d'infrastructures rutilantes - jusqu'à un terrain de football qui porte le nom de Joseph Merceron-Vicat, malgré le passé collaborationniste du patriarche -, un agent de sécurité s'ennuie chaque jour à l'entrée et à la sortie de l'école.
"Ici au village, on n'a aucun problème, on est protégé", constate un quadragénaire, conducteur d'autobus à Monaco. Mais au niveau national, "on a eu la gauche, et la droite, et le milieu. Donc si on essaie l'extrême droite, peut-être que ça changera".
- "Pas des fachos" -
Comme lui, certains électeurs RN refusent de donner leur nom, mais beaucoup d'autres n'hésitent pas, à l'image de Cathy Devillers, 43 ans, naturopathe et psychothérapeute à L'Escarène: "Ici on est tranquille et je ne suis pas du tout raciste. Je veux juste protéger nos valeurs, notre pays et nos enfants."
"Le voile, le halal, ras-le-bol", lance Louis, ancien maçon de 72 ans. "J'ai été communiste toute ma p..... de vie, mais depuis 20 ans j'en ai marre. Quand on descend faire les commissions (dans les supermarchés de la périphérie niçoise), on ne voit que des femmes voilées", soutient-il.
"J'ai travaillé avec des Arabes, des Albanais, des Italiens... C'était des gens bien, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas", affirme-t-il encore, sans étayer ses accusations.
"Tous les gens qui votent RN ne sont pas des fachos", assure Stéphanie, 54 ans, commerçante à Berre-les-Alpes. "On ne veut surtout pas avoir une dictature (...). On veut juste être tranquille."
Mais tout le monde ne vote pas à l'extrême droite. Comme ailleurs, certains ne votent pas du tout. "Ce sont des marionnettes", tempête un client au bar à L'Escarène. "Je m'en fous", lance une passante. "La politique, c'est pas mon délire", dit une habitante de Berre-les-Alpes.
D'autres se désespèrent de leurs voisins: "C'est jovial, on se dit bonjour, on se salue, on connaît les enfants des uns des autres. Et puis après, on regarde les résultats électoraux et on se dit +aïe, ça pique!+", témoigne Laetitia Aicardi, 49 ans, accompagnante d'élèves en situation de handicap à L'Escarène.
Ancien socialiste, M. Sigaut comprend: "Le RN a changé. Jean-Marie Le Pen, au début, il me faisait peur (...). Là, c'est différent. On a des gens avec qui on peut discuter. Après, je ne sais pas ce qu'ils vont faire. J'espère que ça marchera."