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Percée historique de l'extrême droite à Ninove: la première d'une longue série ?

Le parti d'extrême droite Forza Ninove, mené par Guy D'haeseleer (Vlaams Belang), a remporté une majorité absolue des voix à Ninove, faisant de lui le premier bourgmestre d'extrême droite en Belgique. Une victoire historique qui soulève des interrogations quant à la capacité de l'extrême droite à s'ancrer au niveau local : la victoire du Vlaams Belang constitue-t-elle un événement isolé ou est-ce le prélude à une montée en puissance de l'extrême droite ?

 

Après le dépouillement complet des votes, le verdict est sans appel : la liste Forza Ninove, conduite par Guy D'haeseleer du Vlaams Belang, a décroché la majorité des sièges. Elle détient désormais tous les atouts pour prendre le pouvoir dans cette commune d'environ 40 000 habitants. C'est aussi et surtout la première fois dans l'histoire de la Belgique qu'un parti d'extrême droite remporte les élections avec une majorité absolue.

Le leader de la liste, Guy D'haeseleer, a largement contribué à ce succès puisqu'il a récolté 8 552 voix de préférence, soit presque le double de sa rivale, Tania De Jonge, qui a tout de même réussi à obtenir 4 587 votes de préférence. La liste Forza Ninove a obtenu 47,45 % des voix, améliorant son score de 7,4 points de pourcentage. Positief Ninove, la liste de la bourgmestre sortante Tania De Jonge, soutenue par des indépendants et des chrétiens-démocrates, arrive en deuxième position avec 30,8 %. Le cartel Vooruit-Groen prend la troisième place avec 14,9 %, tandis que la N-VA récolte 6,9 %.

Un risque de faire tache d'huile ?

La victoire du Vlaams Belang soulève des questions sur l'avenir de l'extrême droite au niveau communal. Dès lors, d'autres communes pourraient-elles être tentées de suivre le même chemin ? "Qu'il y ait un effet de tache d'huile en Flandre, c'est possible. En revanche, du côté francophone, c'est plus compliqué car les logiques d'extrême droite y sont différentes," explique Pierre Vercauteren, politologue à l'Université catholique de Louvain. "L'extrême droite en Flandre est nationaliste, axée sur l'indépendance de la Flandre, tandis que l'extrême droite francophone est plutôt favorable à l'État belge en tant que tel. C'est une différence majeure entre les deux." Il ajoute cependant que "des thématiques communes existent, comme les questions relatives à l'immigration."

L'extrême droite francophone est plus disparate et n'a pas de personnalité emblématique

Si l'extrême droite a beaucoup progressé en Flandre, elle est en revanche nettement moins ancrée du côté francophone. "En Wallonie, on a vu davantage de courants d'extrême droite qui ne se sont pas coalisés pour faire un groupement fort. L'extrême droite francophone est donc plus disparate et n'a pas de personnalité emblématique", précise le politologue.

Pour comprendre cette distinction entre l'extrême droite flamande et francophone, il faut revenir sur les divergences historiques entre les deux régions, notamment en ce qui concerne l'immigration. "Le rapport à l'immigration diffère profondément entre la Wallonie et la Flandre. Dès le XIXe siècle, la Wallonie s'est affirmée comme une terre d'immigration grâce à sa grande prospérité, alors qu'à cette époque, la Flandre était une région d'émigration, freinée par un développement économique plus limité. Ce n'est qu'avec la forte croissance économique de la Flandre, dans les années 1950 et 1960, qu'elle est devenue une terre d'immigration, ce qui a engendré des phénomènes de réticence envers tout ce qui n'était pas flamand, notamment les immigrés. Aujourd'hui, en tant que région prospère en Europe, la Flandre attire davantage que la Wallonie, ce qui accentue cette frilosité", détaille-t-il.

Carl Devos, politologue à l'Université de Gand, se montre sceptique quant à l'idée que d'autres communes suivent l'exemple de Ninove. "Même si la victoire du Vlaams Belang est réelle et qu'ils ont obtenu plus de voix qu'en 2018, en comparaison avec les élections régionales et fédérales de juin, ce n'est pas une si grande victoire. Au contraire, ils ont perdu des votes", explique-t-il. "On ne peut pas dire que le Vlaams Belang est en plein retour simplement parce qu'ils ont de meilleurs résultats qu'en 2018. En réalité, on s'attendait à des scores plus importants, car ils avaient de plus grandes ambitions. Ils ont tenté d'entrer dans plusieurs majorités locales, mais c'est seulement à Ninove qu'ils ont réussi." 

Quant à l'avenir, si le politologue flamand admet qu'il est "très difficile" à prédire, l'idée d'une propagation future de l'extrême droite dans d'autres communes lui semble assez improbable. "Après ce qu'il s'est passé hier, je ne peux pas affirmer que cela marque le début d'une série de villes reprises par l'extrême droite. Au contraire, le cordon sanitaire reste en place et demeure solide," affirme-t-il. "Aucun parti traditionnel ou liste locale ne souhaite s'associer au Vlaams Belang, pas même Bart De Wever."

Un "laboratoire" de l'extrême droite

La victoire du Vlaams Belang pourrait faire de Ninove un "laboratoire" vis-à-vis des autres communes, comme le suggère François Debras, politologue à l'Université de Liège et à l'HELMO. "Il va falloir voir comment le Vlaams Belang va gérer cette ville, quelles politiques ils vont mettre en avant, quel discours ils vont proposer, ou encore quelles politiques publiques ils vont implémenter. Ninove va ainsi devenir une sorte de vitrine pour le Vlaams Belang, qui pourra s'appuyer sur la satisfaction ou l'insatisfaction des citoyens pour jauger les réactions," explique-t-il.

Selon le politologue, le parti pourrait tirer parti de la gestion de Ninove pour démontrer ses compétences en matière de gouvernance et tenter ainsi de se distancier de l'étiquette d'extrémiste qui lui est associée. "L'objectif sera de prouver qu'ils sont capables de mettre en place des politiques, de gérer la ville de manière respectable et d'améliorer le quotidien des habitants. Le Vlaams Belang pourrait tenter de se servir de cette expérience pour rayonner et se présenter sous un autre jour."

Ce type d'expérimentation s'est déjà observé à l'étranger, notamment en France. "Cela a été le cas avec les premières mairies qui sont devenues des mairies du Rassemblement national," rappelle-t-il. "Il y a eu un mot d'ordre du parti pour jouer un rôle exemplaire." Ainsi, le Rassemblement national a mis en place des politiques publiques très visibles, notamment sur des thématiques telles que la propreté ou la sécurité. Dans certaines communes dirigées par le RN, "on voit même des villes très fleuries, accueillantes et joyeuses, une manière pour le parti de se détacher de l'image négative qui lui est souvent associée", poursuit-il.

En outre, dans le cas de la ville flamande de 40 000 habitants, personne n'a officiellement brisé le cordon sanitaire, car celui-ci repose sur un accord entre les partis pour ne pas former de coalition avec l'extrême droite. Cependant, "Forza Ninove a réussi à contourner ce cordon sanitaire en obtenant une majorité absolue, ce qui lui permet de gouverner seul la commune", observe François Debras. "Les autres partis pourraient encore s'unir contre cette formation politique d'extrême droite, mais le fait d'avoir plus de la moitié des sièges permet de contourner le cordon sanitaire. Il reste à voir si ce scénario est possible dans d'autres communes", conclut le politologue liégeois.

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