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Après plusieurs mois de débats, les États membres de l’Union européenne ont adopté la loi sur la restauration de la nature. Cette législation exige que, d'ici 2030, des mesures soient mises en place pour restaurer 20 % des terres et des espaces marins eu sein de l'Union européenne.
Proposée il y deux ans par la ministre autrichienne de l’Environnement, cette loi a été définitivement adoptée avec l'approbation de 20 États membres représentant 66,07 % de la population de l'Union européenne, atteignant ainsi une majorité qualifiée. Six pays, dont les Pays-Bas et l’Italie, ont voté contre en raison de préoccupations liées à l'impact sur le secteur agricole.
La Belgique, quant à elle, s'est abstenue en raison de divergences de points de vue parmi ses trois gouvernements régionaux. La Flandre s'y opposait, alors que la Wallonie et Bruxelles ont marqué leur approbation.
Texte majeur du Pacte vert européen en matière de biodiversité, cette législation impose aux États membres la restauration d'au moins 20 % des écosystèmes dégradés par les activités humaines, qu'il s'agisse de terres ou de zones marines, d'ici 2030. À plus long terme, elle vise la restauration de tous les écosystèmes nécessitant une restauration d'ici 2050.
"Restaurer la nature, c'est une étape plus loin que protéger", indique Nicolas Schtickzelle, professeur en écologie et biodiversité à l'UCLouvain. "Protéger vise à éviter qu'un écosystème en bon état se dégrade. Alors que restaurer, c'est faire le chemin inverse, où l'on va ramener un écosystème dégradé à un état de meilleure qualité en termes de biodiversité." Une restauration à grande échelle d'écosystèmes et de la biodiversité devenue "primordiale", pour le spécialiste.
En Europe, la biodiversité n'est plus qu'une "fraction" de ce qu'elle était autrefois en raison de l'impact des activités humaines. "On doit protéger les zones qui sont encore en bon état, mais aussi la biodiversité dite "extraordinaire" que l'on retrouve dans des réserves naturelles, soit certaines espèces ou écosystème qui ont un grand intérêt biologique", explique le professeur de L'UCLouvain. "Or, on ne peut pas protéger la biodiversité en ne mettant que des réserves naturelles. On doit conserver un maximum de biodiversité dans toutes les zones qui sont exploitées par les activités humaines, telles que les zones agricoles, les zones urbaines ou les forêts."
Des écosystèmes menacés de disparition
Cette nouvelle loi européenne s'avère "indispensable" selon l'expert en biodiversité, pour qui les écosystèmes, bien que résilients, risquent de s'effondrer à force d'être perturber. La biodiversité, source majeure de nos ressources, doit être protégée pour prévenir un danger supérieur au changement climatique. "La perte de la biodiversité est un danger pour l'humanité bien supérieur à celui du changement climatique. Mais il est plus difficile à mettre en évidence car il est beaucoup plus complexe à comprendre. Il est plus difficile de se rendre compte que si on défriche trop à certains endroits ou qu'on met trop de pesticides, les écosystèmes perdent des espèces les unes après les autres. Au début on ne voit pas d'effet car l'écosystème est résilient. À l'image d'une tour de Jenga, on a l'impression que tout va bien tant que la tour est debout. Mais si on retire le bout de bois de trop, tout s'écroule. C'est ce qu'il se passe avec la biodiversité."
Il y a une prise de conscience politique que l'humanité est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise
La législation impose aux États membres la restauration d'au moins 20 % des écosystèmes dégradés. Bien que ce chiffre soit encourageant, il ne semble pas suffisant. "20 % est probablement un chiffre sorti pour des raisons politiques et non scientifiques", explique Nicolas Schtickzelle. "Il est très difficile de quantifier cela car tous les écosystèmes sont différents. Ce chiffre représente plutôt un consensus sur ce qui est raisonnable d'espérer faire passer en loi. Est-ce suffisant ? Probablement pas." Néanmoins, il souligne l'importance de rester positif face à toutes les avancées, car elles sont souvent difficiles à obtenir. "Malgré les oppositions de tout ordre, il y a une prise de conscience politique que l'humanité est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise. Cette prise de conscience est un premier pas, même s'il faudra aller plus loin à l'avenir."
Priorité aux sites Natura 2000
La loi prévoit que d'ici 2030, les États membres accorderont la priorité aux sites Natura 2000, un réseau européen de zones protégées établi vers l'an 2000. Chaque État membre a désigné des zones bénéficiant d'un statut de protection en raison de leurs écosystèmes rares ou riches en biodiversité. L'objectif de ce réseau européen est de permettre aux espèces de ces écosystèmes de se déplacer d'un endroit à l'autre, un processus vital pour leur survie. Ces zones peuvent comprendre des vallées, des forêts ou des prairies calcaires et ne sont pas nécessairement des réserves naturelles, mais peuvent également inclure des terrains privés.
Dès lors, pourquoi la loi va-t-elle se focaliser sur ces zones en priorité ? Même dans les zones bénéficiant d'un certain niveau de protection, il existe des écosystèmes plus ou moins dégradés. "On priorise ces zones pour deux raisons principales" indique le professeur de L'UCLouvain. "D'abord, pour une question d'efficacité. Nous aurons un impact plus important en termes de biodiversité car ces zones sont moins dégradées. Pour le même effort de restauration, le gain sera donc plus significatif. Ensuite, il s'agit de critères de faisabilité. Il est plus facile de mettre en œuvre des actions dans des zones déjà partiellement protégées que dans des milieux fortement utilisés par l'homme. Cela réduira l'impact sur d'autres activités humaines. Par exemple, si nous voulons restaurer un champ de pommes de terre intensif, cela aura des répercussions sur la production. Il vaut donc mieux se concentrer d'abord sur les zones Natura 2000."
Trois milliards d'arbres plantés d'ici 2030
Qu'en est-il des mesures prévues par la loi ? La législation stipule que trois milliards d'arbres devront être plantés dans l'Union européenne d'ici 2030. "Un effet d'annonce", pour l'expert. "Planter simplement des arbres çà et là, ce n'est pas forcément recréer une forêt. Ce n'est donc pas un critère pertinent. Or, les politiques aiment ce genre de mesure car c'est facile à communiquer au grand public." Pour le spécialiste, il est nécessaire de découper les parcelles agricoles en zones plus petites et de réintroduire des haies à travers celles-ci. Des haies particulièrement bénéfiques pour la biodiversité puisqu'elles renferment une "diversité gigantesque d'espèces."
Moins il y a d'espaces verts en ville, plus les températures fluctuent et plus on a des canicules
Concernant les écosystèmes urbains, la loi prévoit que les États devront maintenir les surfaces d'espaces verts et arborés en ville au même niveau qu'en 2021 d'ici 2030, puis continuer à les augmenter par la suite. Dans une société de plus en plus urbanisée, avec une proportion croissante de citadins, la présence d'espaces verts aide à atténuer l'effet des îlots de chaleur urbains. "Moins il y a d'espaces verts en ville, plus les températures fluctuent et plus on a des canicules", ajoute-t-il. Ces zones d'espaces verts bien réparties dans les villes ont un impact positif sur le bien-être de la population, ainsi que sur la sensibilisation à l'importance de la biodiversité. "Quand vous avez une vie très citadine, il est plus difficile de se rendre compte de l'état de la biodiversité et du danger que sa diminution fait peser."
Cette loi constitue un cadre important dans l'Union européenne. Chaque État membre devra l'implémenter dans sa législation et prévoir des mécanismes pour identifier les zones dégradées. "Politiquement, cela va varier d'un pays à l'autre en termes de motivation. Les pays qui ont voté contre pourraient donc traîner des pieds." Du point de vue écologique, des pays comme la Belgique ont des écosystèmes différents de ceux de la France ou de l'Espagne, avec des contraintes distinctes. Chaque État membre devra trouver "la meilleure stratégie" adaptée à ses besoins et à ses ressources disponibles. "Sachant qu'il y a beaucoup moins de besoins que de moyens, il faudra de toute façon établir des priorités", conclut l'expert en biodiversité.