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Le Rassemblement National est aux portes du pouvoir en France. La perspective d'un premier ministre français d'extrême droite soulève de nombreuses inquiétudes. Cette ombre brune pourrait en effet transformer le paysage politique français. Décryptage.
Si le parti d'extrême droite n'est pas encore au pouvoir, certaines municipalités dirigées par le RN révèlent déjà des pratiques préoccupantes telles que "la corruption, le clientélisme et des arrangements avec des entrepreneurs locaux", explique François Debras, politologue à l'ULiège et l'HELMo, pour qui l'arrivée du RN au pouvoir pourrait ainsi entraîner des changements profonds et inquiétants pour le tissu associatif français. "On se rend compte que dans les communes dirigées par le RN, on a plusieurs associations dans le domaine culturel qui se voit retirer des financements et qui sont en difficulté. Au niveau national, des organisations telles que le Planning Familial, la Ligue des droits de l'Homme et Médecins du Monde tirent la sonnette d'alarme, craignant une suppression des subventions allouées à divers secteurs associatif, culturel et syndical", affirme le spécialiste de l'extrême droite.
Inquiétudes pour les droits des femmes et des minorités
Bien que le RN se présente comme défenseur des droits des femmes, son président Jordan Bardella s'étant présenté comme "le Premier ministre qui garantira de manière indéfectible à chaque fille et à chaque femme de France ses droits et ses libertés", la réalité est plus nuancée : "Le Rassemblement National n'a jamais soutenu des projets de loi importants tels que les lois Schiappa ou Rixain, sur l'égalité salariale et la sensibilisation aux violences sexuelles", indique le politologue. Sur la question de l'IVG, le parti reste aussi absent des débats.
Une victoire de l'extrême droite pourrait également avoir de lourdes conséquences auprès des personnes issues des minorités sexuelles et de genre : "Les minorités LGBTQIA+ risquent également d'être mises à mal, surtout après la victoire de Jordan Bardella, avec des membres du parti exprimant ouvertement des propos homophobes et transphobes. Une victoire du RN pourrait légitimer des discours racistes, antisémites, xénophobes et transphobes, conduisant à une augmentation de tels propos au sein de la société", s'inquiète le spécialiste.
De plus, l'indépendance de la presse pourrait être gravement compromise en cas de victoire du parti d'extrême droite lors du second tour des élections législatives. "Le programme du RN propose de privatiser l'audiovisuel français, ce qui rappelle la situation en Hongrie où les médias pro-gouvernementaux sont subventionnés et les journalistes indépendants sont critiqués, menacés et disposent d'un accès limité ou inexistant aux décideurs et à l'information publique. Autrement dit, on observe une presse d'opposition qui a de plus en plus de difficulté économique et qui a une voix qui porte de moins en moins." Cette privatisation mettrait en danger la pluralité des médias et la représentativité des différentes tendances politiques. Pour autant, François Debras rappelle que "comparaison n'est pas toujours raison"; ce qui se passe à l'étranger ne se reproduira pas forcément en France.
Fin des aides sociales pour les étrangers
En matière d'immigration, une politique beaucoup plus dure pourrait être mise en place, avec la suppression des allocations familiales et des aides médicales d'État pour les étrangers."Si les allocations familiales sont supprimées, cela pourrait plonger 100 000 familles et jusqu'à 30 000 enfants dans une extrême précarité. Si on supprime les aides médicales d'états, c'est 400 000 personnes qui se verraient refusés certains services, comme des remboursement, l'accès à un médecin généraliste, à la vaccination, à la prévention et la sensibilisation", pointe le professeur de l'ULiège. Créer des inégalités entre ceux qui ont droit à la protection médicale et ceux qui n'y ont pas droit "engorgerait les urgences" avec des répercussions sur l'ensemble de la société française.
Jordan Bardella a déclaré vouloir supprimer le droit du sol, soit une mesure qui pose un problème de constitutionnalité. D'après certains juristes, une simple loi ne suffirait pas pour remettre en cause le droit du sol, un changement constitutionnel, impliquant la présidence, serait alors nécessaire. À chaque situation de blocage, le RN pourrait recourir à des référendums pour contourner les institutions, à l'image de ce que l'on observe dans d'autres pays. "L'exemple de la Hongrie et de la Pologne montre comment des partis d'extrême droite contournent les normes juridiques, remettent en cause l'équilibre des pouvoirs ou certaines séparations des pouvoirs, et placent la souveraineté parlementaire au-dessus des textes juridiques, menaçant ainsi l'état de droit et l'indépendance de la justice."
Si on creuse les logiques qui se cachent derrière ces promesses électorales, on réalise que l'approche n'est pas véritablement sociale mais plutôt individualiste
On constate que le programme du Rassemblement National (RN) met en avant des mesures sociales telles qu'une augmentation du SMIC ou une réduction de la TVA sur l'essence. Des mesures qui cachent cependant une réalité plus contrastée : "Derrière ces propositions, il est nécessaire de trouver des sources de financement, souvent puisées dans les caisses d'allocations sociales ou de redistribution. Si on creuse les logiques qui se cachent derrière ces promesses électorales, on réalise que l'approche n'est pas véritablement sociale mais plutôt individualiste, visant à accroître le pouvoir d'achat en réduisant les taxes." Une diminution des taxes qui nécessite de compenser les pertes financières ailleurs, soit "dans ce qui touche à la solidarité", explique-t-il.
Le Rassemblement National prône par ailleurs une justice "plus rapide et plus sévère", incluant notamment l'instauration de peines planchers, soit des peines minimales obligatoires pour certains crimes ou délits. De plus, il propose l'application de la responsabilité générationnelle, impliquant le retrait des allocations familiales pour les jeunes délinquants. "Globalement, c'est une approche qui criminalise à la fois l'individu et l'étranger", souligne le politologue. Le parti d'extrême droite souhaite également des peines d'emprisonnement et d'enfermement plus rigoureuses, non seulement pour les adultes, mais aussi pour les mineurs.
Quelles conséquences pour l'Europe ?
En arrivant au pouvoir, le RN risquerait de se mettre en porte-à-faux par rapport aux traités européens. Si le parti ne se positionne plus contre les institutions européennes et ne prône plus le Frexit, soit le retrait de la France de l'Union européenne, les mesures qu'il propose s'opposent aux fondamentaux de l'Union européenne, à l'image la logique de la préférence nationale, soit une politique qui favorise les citoyens d'un pays par rapport aux étrangers dans certains domaines, notamment l'emploi, les prestations sociales, le logement et l'éducation. Ou encore sur la question des binationaux, le RN souhaitant empêcher les personnes possédant deux nationalités d'occuper certains emplois "sensibles."
Si la France abandonne une orientation pro-européenne, cela représenterait un acteur majeur qui se distancerait, ce qui aurait des répercussions significatives pour l'avenir de l'Union européenne. Comme on le voit dans d'autres pays favorisant une Europe des nations et des États plutôt qu'une approche communautaire de l'Union européenne, où l'on va conserver ce poids pour les États, et donner moins d'importance pour le Parlement européen.
Le projet du RN vise à supprimer tous les freins à l'industrialisation et à la production. Tout ce qui concerne les pesticides ou les logiques liées aux énergies renouvelables seraient mis de côté
De plus, des thèmes propres à l'extrême droite pourraient prendre de l'ampleur au niveau européen, notamment en matière d'écologie : "Le projet du RN vise à supprimer tous les freins à l'industrialisation et à la production. Tout ce qui concerne les pesticides ou les logiques liées aux énergies renouvelables seraient mis de côté", prévient l'expert en politique. "Les politiques d'élargissement de l'Union européenne et les efforts d'approfondissement du projet européen, incluant un renforcement du fédéralisme ou des initiatives communautaires, pourraient également être remis en question."
Mais alors, quel impact pourrait avoir la victoire du RN chez nous ? "Une des émissions les plus regardées à la télévision est le débat présidentiel du second tour en France, ce qui démontre l'influence politique significative sur la Belgique francophone. Il existe un transfert de discours, d'idées et de propositions entre les deux pays. Il est évident qu'on serait influencé en Belgique, mais à quel point, c'est difficile à dire", concède le politologue, pour qui la présence de nombreux travailleurs transfrontaliers pose néanmoins une question importante. Car si la préférence nationale était appliquée, il serait potentiellement "plus difficile" pour les travailleurs étrangers de continuer leur travail.
Il reste à voir ce qui sera réalisable et comment les compromis seront trouvés. Il y a quelques semaines, il était question d'un retour à la retraite à 60 ans, une position depuis révisée par le Rassemblement National. Le RN a d'ailleurs fait marche arrière sur plusieurs sujets, ce qui soulève la question de la cohérence entre discours et actions : "Entre ce qu'on fait avant d'être élu et après être élu, tout peut changer. Il faudra surtout voir si le RN obtient une majorité relative ou absolue. Si c'est le premier parti de France mais qu'ils n'ont pas la majorité absolue, soit plus de 50%, il faudra qu'ils s'associent pour faire passer leurs projets." Jordan Bardella a d'ailleurs affirmé qu'il ne deviendra pas Premier ministre sans une majorité absolue. "L'objectif est de montrer qu'on peut prendre des postes clés, qu'on peut être respectable et qu'on peut gouverner pour aussi se positionner par rapport aux élections présidentielles de 2027", achève le politologue.