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Alors que le Rassemblement national a atteint des scores uniques aux dernières élections européennes, on s'intéresse aux profils des personnes qui votent pour le parti de Jordan Bardella. Qui sont-ils? Sont-ils les mêmes qu'autrefois? L'électorat tend à évoluer. Décryptage.
Le parti d'extrême droite en France a connu une hausse significative aux dernières élections européennes. Le Rassemblement national, porté par Jordan Bardella, a triomphé avec 31,4% des voix, très loin devant la candidate macroniste Valérie Hayer (14,60%) et la tête de liste du PS Raphaël Glucksmann (13,83%).
Si, rapidement, de nombreuses personnes se sont rassemblées pour manifester contre l'extrême droite en France et demander une union de la gauche, il faut tout de même souligner que le parti de Jordan Bardella est arrivé premier dans 94% des communes françaises, comme l'appuie Arnaud Lacheret, professeur à Skema Business School et docteur en science politique.
Économiquement, dans les grandes villes, les habitants ont beaucoup moins de difficultés
Dans les grandes métropoles, qualifiées "d'élites urbaines" par le politologue, en revanche, le Rassemblement national n'a pas autant séduit. "Économiquement, dans les grandes villes, les habitants ont beaucoup moins de difficultés. Ce sont des professions libérales, des cadres supérieurs, qui sont à l'aise financièrement. Ils vivent en zones ultra-sécurisées, leurs enfants vont dans des écoles privées... Cela fait très caricatural, mais regardez le Premier ministre, Gabriel Attal. Il est typiquement issu de ce genre de milieu. Les grandes métropoles sont plus bourgeoises", nous explique le docteur en science politique et professeur à Skema Business School.
On a donc l'impression que le Rassemblement national regroupe plutôt un électorat rural, périurbain et de villes moyennes. "Ce sont des ouvriers, des employés, des chômeurs et des cadres moyens. Souvent, ce sont des gens qui habitaient en centre-ville ou en banlieue, et qui ont vu arriver des personnes immigrées et des problèmes d'insécurité sans avoir les moyens de s'en protéger. Ce n'est pas comme les riches, qui peuvent placer leurs enfants dans des écoles privées, par exemple. Ils vont donc un cran plus loin, ils s'éloignent des capitales régionales et emmènent avec eux leur vote. Et ils racontent ce qu'ils ont vécu et exercent une forme d'influence."
L'électorat change
Pourtant, les profils des électeurs du RN évoluent depuis quelques années. Par exemple, lorsqu'on regarde plusieurs années en arrière, c'était essentiellement des hommes qui votaient pour le parti de Jean-Marie Le Pen. "En 2002, quand il est arrivé au second tour, 26% des hommes votaient pour lui, contre 11% de femmes. Aujourd'hui, sur les dernières élections, 31% des hommes ont voté pour Jordan Bardella et 32% de femmes. Ça s'équilibre", constate Arnaud Lacheret.
Pour lui, cela s'explique par la position qu'a prise Marine Le Pen lorsqu'elle a repris la tête du Front national. "Elle est revenue en partie sur la position par rapport à l'IVG, elle se présente comme une mère célibataire, isolée... Elle s'est éloignée du profil catholique. Et important aussi: elle s'est entourée de beaucoup d'hommes homosexuels. C'est la façon dont le pouvoir se représente", dit-il.
Et Jordan Bardella est parvenu à "récupérer l'héritage" de Marine Le Pen, car il apparaît comme son fils spirituel. Il n'y a pas eu de rupture entre les idées des deux candidats.
Le Rassemblement national s'est calmé, il est plus light qu'avant
On constate également que c'est au sein des populations les moins diplômées - et donc les moins aisées - que la montée de l'extrême droite a été la plus forte. Mais "c'est de moins en moins vrai", assure Arnaud Lacheret. "Maintenant, on s'aperçoit que les cadres supérieurs commencent aussi à voter pour le RN. Il y a un effet médiatique, un rejet de la gauche et de l'extrême-gauche, une absence de réaction ferme du gouvernement face à certaines problématiques... Et les cadres supérieurs commencent à voter RN, car ils sont sensibles aux idées du parti. Il faut dire que le Rassemblement national s'est calmé, il est plus light qu'avant. Et aujourd'hui, il y a une continuité politique très libérale, mais avec une lutte contre l'immigration. C'est l'effet Jordan Bardella."
Cela est plutôt paradoxal quand on sait que Jordan Bardella n'a pas de diplôme d'études supérieures, il n'a pas achevé son cursus en géographie. "A nouveau, la politique, c'est de la représentation", réinsiste notre interlocuteur. "Marine Le Pen et lui se complètent bien: elle est plutôt populaire et sympathique, lui, ce n'est pas le cas. Il est froid et hautain, et c'est une attitude qui plaît au patronat. Il a un profil d'entrepreneur alors que pas du tout, il vient d'une banlieue pauvre et n'a pas de diplôme. Il n'est pas intellectuellement développé, mais apparaît comme pragmatique et pro-business", détaille-t-il.
Pour la première fois en tête chez les -35 ans
Chez les jeunes de 18 à 24 ans, Jordan Bardella est aussi parvenu à séduire. C'est d'ailleurs la première fois que le Rassemblement national arrive en tête chez les moins de 35 ans. Le parti est cependant deuxième sur la tranche 18-24 ans, mais les scores restent assez élevés.
Pour Arnaud Lacheret, il y a de moins en moins de différenciation au niveau des électeurs. "Ce qui diffère, c'est la géographie. Il y a les élites urbaines, mais pas dans toutes les villes, dans le Sud de la France à Nice, Marseille, Toulouse... ça vote pour le RN. Mais sur les villes traditionnelles comme Strasbourg, Nantes, Lyon ou Paris, on est sur un rejet."
Le politologue conclut en nous disant que "pour la première fois, ce sont les Français ruraux qui vont décider. Ceux qui ne dirigent pas la France vont décider de l'avenir du pays. C'est la France périurbaine et de périphérie qui aura le vrai choix."