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Chaque année, avant le 1er novembre, Caroline se rend sur la tombe de son frère. Un moment de recueillement important, qui ne sera plus possible à l'avenir. Début d’année, la quinquagénaire oublie de renouveler la concession. Lorsqu’elle s’y rend il y a quelques jours sur place, la tombe a disparu. "Je veux témoigner pour que cela ne se reproduise pas". Elle se confie anonymement avec Caroline comme prénom d’emprunt.
Caroline a perdu son petit frère il y a 25 ans. Il décède brutalement dans un accident de voiture. "Il avait 2 ans en moins que moi. Nous étions très proches. C’était plus qu’un frère, c’était mon meilleur ami".
Quelques années après ce jour tragique, Caroline perd ses parents dans un court laps de temps. "Mon frère ne repose pas avec eux. De leur vivant, mes parents avaient déjà construit un caveau pour deux. Mon frère repose donc à côté en pleine terre".
Cela fait donc 25 ans que Caroline s’y recueille chaque année. "Je ne m’y rends qu’une fois par an. Je n’ai pas besoin de regarder une tombe pour penser à eux. J’y vais systématiquement quelques jours avant la Toussaint pour nettoyer les pierres et fleurir les tombes. Je veux m’assurer que cela reste bien entretenu".
Une habitude, cette année chamboulée. Alors qu’elle passe les grilles du cimetière, chrysanthèmes en main, elle s’effondre. La tombe de son frère n’est plus là. "Je n’en ai pas cru mes yeux, la terre avait été retournée, la pierre avait disparu. J’ai fondu en larmes".
Dans l'immédiat, Caroline ne réalise pas."Je pense que je suis restée plusieurs minutes sans bouger avec les fleurs dans mes bras. J'étais pétrifiée".
C'est comme si mon petit frère était décédé une deuxième fois
De retour à son domicile, elle contacte la commune. Après plusieurs coups de fil et de longues explications, Caroline réalise la raison de cette disparition. "Milieu 2023, j’ai reçu des rappels pour prolonger la concession de mon frère. J’en ai reçu plusieurs. Je les avais déposés sur mon meuble sans grande inquiétude. J’ai procrastiné le paiement et puis je l’ai oublié. C’est l’erreur de ma vie". P
rès de 18 mois après la première lettre et sans réponse, la commune a donc retiré la tombe. "Je comprends la commune s’est normal, mais je n’en suis pas moins dévastée. Je vais m’en vouloir toute ma vie. C’est comme si mon petit frère était décédé une deuxième fois".
Caroline veut donc témoigner anonymement. "Je fais cela pour que personne ne fasse la même erreur que moi. J’ai été négligente. C’est une chose que je ne pourrai jamais réparer". Pour que cette situation ne se reproduise pas, voici le fonctionnement en cas d’un renouvellement de concessions funéraires
"Il est impossible de passer à côté des nombreux rappels envoyés"
Caroline l’admet, elle a reçu des rappels et n’y a pas donné suite. Ces rappels sont systématiquement envoyés au titulaire de la concession lorsque celle-ci arrive à son terme, conformément à une procédure imposée par le Service Public de Wallonie. "Au moins un an avant le terme de la concession ou de son renouvellement, le bourgmestre dresse un acte rappelant qu'une demande de renouvellement doit être adressée avant l’échéance. Une copie de l'acte est envoyée au titulaire de la concession ou, s'il est décédé, à ses ayants droit."
Un bail locatif des plus classiques
"La commune ne s’arrêtera pas à cette démarche", précise Xavier Deflorenne, responsable de la cellule funéraire du SPW Intérieur et Action sociale. "Un mois après l’envoi du rappel, l’information sera également affichée sur la tombe et à l’entrée du cimetière." La commune maintiendra cet affichage pendant un an. "Normalement, si c'est fait intelligemment, il devrait couvrir deux jours de la Toussaint. Ainsi, il est impossible de passer à côté des nombreux rappels envoyés. Selon nos statistiques, si personne ne vient sur une tombe pendant deux ans, elle ne sera de toute façon jamais visitée."
Grâce à cet affichage public, toute personne intéressée peut introduire une demande pour renouveler la concession. Voisins, amis, collègues peuvent se sentir investis d’un devoir de mémoire. "J’ai déjà vu une personne renouveler la tombe de sa nourrice. Cette dame n’avait pas d’enfant, et il a ressenti le besoin de lui tendre une dernière fois la main."
Une exception peut prévaloir sur ce procédé. "Si la tombe n’est pas entretenue, par exemple, si des pierres tombent ou si de la mousse s’accumule, la commune a le droit d’agir. Elle affichera un avis sur la tombe pendant un an. Si, après un an, rien ne change, la ville récupérera l’emplacement. On peut comparer se procéder à un bail locatif des plus classiques. Lorsque votre locataire ne respecte pas la location, il est normal de réagir. Dans le cas d'une concession funéraire, le principe est totalement le même".
Des prix et des échéances qui fluctuent
Si la procédure de rappel est stricte, la grille tarifaire et la durée de renouvellement le sont beaucoup moins. Ces deux points sont définis par les communes. Les tarifs sont généralement plus élevés dans les grandes villes. Par exemple, Namur propose des concessions de 25 ans à un prix allant jusqu’à 850 €. Leuze-en-Hainaut, une commune plus petite, propose une durée de 30 ans pour 400 €. Le tarif peut également augmenter si le défunt ne résidait pas dans la région et s’il repose en pleine terre ou dans un caveau.
Les communes peuvent aussi choisir la durée du renouvellement. Le Service public de Wallonie impose simplement une fourchette à respecter. "Les concessions sont accordées pour une durée de dix ans minimum et de trente ans maximum."
Xavier Deflorenne souligne une exception : "Les tombes d’avant 1945 sont protégées. Ces échéances ne sont donc pas toujours applicables. Si la commune veut les retirer, elle doit entreprendre des démarches supplémentaires. L’objectif de cette mesure est de protéger les concessions d’anciens combattants ou de personnages historiques."
Le SPW précise néanmoins que malgré ces délais, de prime abord stricts, tant que la tombe n’est pas retirée, les communes sont censées se montrer magnanimes et tolérantes.