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Le fils de Mélanie (prénom d’emprunt) a été victime de violences physiques de la part de son institutrice. Coups, bousculades... Alarmée, la mère a déposé plainte, mais le suivi traîne. Comment un tel dossier est-il traité ? Qu’est-il mis en place pour soutenir les parents et les enfants ?
Tout a commencé au mois de janvier dernier, lorsque les jumeaux de Mélanie (prénom d’emprunt) - une fille et un garçon de sept ans - reviennent de l’école. Son fils, que nous allons nommer Jules par souci d’anonymat, est en pleurs. "La maîtresse m'a tiré par le capuchon et j’ai failli vomir", confie-t-il à sa mère, à demi-mots.
Face à la détresse de son fils, Mélanie lui propose de se détendre en regardant la télévision. Ce qu’il refuse. Il préfère aller dormir. "Là, je me dis qu’il y a vraiment un souci", témoigne-t-elle via le bouton orange Alertez-nous. "Il n’a fait que pleurer toute la soirée", ajoute la maman.
En tant que maman, c’est très difficile à digérer, ça fait très mal
Jamais la jeune mère n’avait vu son fils dans un tel état. Que s’est-il passé ? Y a-t-il réellement eu un geste inapproprié de la part de l’enseignante ? Ces questions, qui hantent Mélanie, la poussent à prendre contact avec les autres parents afin de récolter d’autres versions des faits. Les retours sont accablants. "Les autres enfants, qui étaient présents avec Jules, ont dit qu’ils avaient vu la madame tirer le capuchon très violemment, taper les mains de mon fils à plusieurs reprises, elle l’a aussi poussé et coincé entre le banc et la chaise sur laquelle il était assis", raconte-t-elle.
Amené chez le médecin de famille, Jules a été ausculté pour des douleurs à la gorge et en haut du ventre. Un constat pour coups et blessures a été rédigé. Ces dernières révélations affligent Mélanie : "En tant que maman, c’est très difficile à digérer, ça fait très mal. (...) C’est à glacer le sang". Les parents prennent leur courage à deux mains ; ils portent plainte à la commune dont dépend l'école ainsi qu'à la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Un problème qui dure depuis… vingt ans
La mésaventure qu’a vécue Jules est pourtant loin d’être un cas isolé. En 2009, déjà, plusieurs plaintes avaient été formulées à l’encontre de cette même institutrice. Deux articles, rédigés par nos confrères de L’Avenir, pointent du doigt les comportements peu déontologiques de l’enseignante, sans pour autant qu’une sanction soit prise.
Cette institutrice est connue pour son comportement déplacé
"Ce qui nous pose problème, ce sont ces antécédents. Cette institutrice est malheureusement connue pour son comportement déplacé envers les enfants", avait ainsi confié un père à L’Avenir, le 6 mai 2009. "L’année dernière, ma petite fille refusait d’aller à l’école, elle en devenait malade. Rapidement, j’ai appris qu’elle était terrorisée par son institutrice qui l’avait humiliée devant toute la classe. À plusieurs reprises, ma fille a aussi été punie dans la cour de récréation, sans manteau, en plein hiver", avait également décrit une maman dans le même article.
L’enseignante avait déjà été écartée d’un établissement scolaire en février 2009, avant d’y être réintégrée. À cette époque, des faits lui sont reproché depuis près de… dix ans. Cela fait donc plus de vingt ans que cette institutrice est connue pour des actes de violence verbale et physique envers des enfants.
"Nous ne prenons pas ce sujet à la légère"
La Direction générale de l’enseignement obligatoire (DGEO) régule et traite les plaintes visant une école. Les sanctions, quant à elles, relèvent du pouvoir organisateur et donc, dans le cas de Mélanie, de la commune de Lessines.
Isabelle Privé, échevine de l’enseignement, l’assure : le dossier est en cours de traitement. "Nous ne prenons pas ce sujet à la légère", affirme-t-elle, "On prend toutes les mesures et la problématique à bras-le-corps".
Pourtant, aujourd’hui, l’institutrice enseigne toujours dans l’école communale. Comment est-ce possible ? "Tout dépend de la situation de l’enseignant au sein de l’école et quelles sont les actions privilégiées par le pouvoir organisateur pour résoudre la situation", réagit la Fédération Wallonie-Bruxelles Enseignement. "Selon les cas, le Service de l’inspection peut être sollicité afin de mener des investigations plus approfondies quant à la situation. Si le pouvoir organisateur ne prend pas de mesures adéquates alors que la situation est grave, celui-ci peut être sanctionné par le régulateur".
Des chiffres interpellants
Au total, 53 situations de maltraitances ont été enregistrées via le numéro vert Écoute école entre mi-août 2023 et mi-juillet 2024 :
- 20 situations ont été rapportées et encodées comme étant de la violence verbale d’un enseignant envers un élève (25 si on prend tous les membres du personnel et pas uniquement les enseignants).
- 17 situations ont été rapportées et encodées comme étant de la violence physique d’un enseignant envers un élève (28 si on prend l’ensemble des membres du personnel).
"Chaque situation est unique, selon les personnes concernées, le type et le degré de violence, le ressenti et le vécu de l’appelant. Dans le cas d’une situation difficile, interpeller la direction et le pouvoir organisateur de l’école sont les premiers réflexes à avoir", conseille Écoute école.
Appeler à l'aide, l'une des meilleures solutions
Éviter la maltraitance… Oui, mais comment ? C’est autour de cette question que s’est construit Yapaka, un programme de prévention de la maltraitance à l'initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Même si on a une petite inquiétude, il ne faut jamais rester seul avec ça
"L’idée, c’est de pouvoir prévenir et d’outiller les professionnels, les coordinateurs et tout ce qui touche à l’enfance", explique Audrey Heine de Yapaka. Son conseil ? Se faire secourir dès qu'il y a un dérapage : "Même si on a une petite inquiétude, il ne faut jamais rester seul avec ça".
Un réseau d’aide peut venir en soutien à toute personne ou toute école dans le besoin : "En tant que chef d’établissement, on doit passer le relais aux équipes spécialisées. Et si on n’a pas d’écho, alors on en parle à l’extérieur, avec des numéros gratuits tels que SOS enfants". La Fédération Wallonie-Bruxelles Enseignement met, par exemple, à disposition des équipes mobiles auxquelles peuvent faire appel les écoles en cas de situation de crise. Cette aide, externe à l'établissement scolaire, permet de désamorcer le conflit et de favoriser le dialogue entre l'élève, les parents et l'enseignant.
Afin de prévenir la maltraitance institutionnelle, Yapaka recommande, entre autres, de respecter l’intimité de l’élève, de poser des limites sans tomber dans des rapports de pouvoir (ne pas l’humilier), de pouvoir reconnaître et aider un enfant en souffrance.
"Je trouve ça inadmissible"
Aujourd’hui, à l’initiative de la direction de l’école, l’institutrice incriminée ne peut rester seule en présence d’élèves. Une solution le temps du traitement de la plainte… Insuffisante au goût de Mélanie : "Cette prof est violente et se pavane toujours au sein de l’école. Je trouve ça inadmissible. Qu’est-ce qu’il faut faire pour qu’il y ait justice ?".
Face à ce qu’elle estime être un manque de responsabilité de la part de la commune, Mélanie a changé ses enfants d’école. Un mieux pour son fils : "Il s’est calmé, ça se passe très bien. Après, il est un peu triste d’avoir quitté les copains". Mais elle ne souhaite pas pour autant tourner la page : "Je continue de m’accrocher pour les autres enfants de l’école. Elle devrait arrêter de travailler".
Contactée par nos soins, l’école n’a pas souhaité réagir.