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Le célèbre philosophe et écrivain, Raphaël Enthoven nous parle de son nouvel ouvrage "L'esprit artificiel", aux Éditions l'Observatoire. Il a d'ailleurs confronté l'intelligence artificielle lors de l'épreuve du bac de philosophie.
Dans votre livre "L'esprit artificiel" vous faites suite à votre combat contre la machine. L'an dernier, vous avez affronté ChatGPT, vous avez chacun passé le bac de philosophie, qui a gagné ?
C'est moi, mais il n'y avait pas de match. La différence entre lui et moi, c'est qu'il a rendu sa copie en 45 secondes et moi, j'ai mis 1 h 15. Le sujet, c'était : "le bonheur est-il affaire de raison ?". La machine a pris toutes les théories du bonheur qu'elle a rangé dans trois tiroirs. Elle a fait des parties de taille égale et a rendu sa copie en 40 secondes. Mais la première partie aurait pu venir après la troisième et la deuxième aurait pu venir avant la première.
Ça manquait de cohérence ?
Ce n'est pas que ça manquait de cohérence, c'est que c'était du : oui, non, peut-être. Il n'y avait pas de problématique ni l'effort qu'on enseigne à un élève de terminale, c'est-à-dire l'effort d'analyser les termes du sujet pour montrer ce qui pose un problème dans la question et qui justifie ensuite les trois parties. Évidemment, la différence entre ChatGPT et un humain, c'est qu'un humain est en mesure de réfléchir, non pas simplement de recracher les doctrines sur la question qu'on lui pose.
La machine n'arrive donc pas à traiter une problématique ?
Créer une problématique, c'est analyser les termes du sujet et montrer ce qui coince dans un sujet. Or, une problématique, c'est le résultat. Cette démarche-là, elle est le résultat de doutes, d'incertitudes, de la peur, du désarroi, de la vie, de l'enseignement, de la révision, de 1.000 choses qui font la vie, qui font l'existence et dont la machine n'a pas idée.
Pendant une semaine, les ingénieurs ont préparé la machine à l'épreuve du bac philo, avec l'aide d'un professeur de philosophie. Ils ont rédigé le prompt le plus détaillé possible, c'est-à-dire l'ensemble des recommandations qu'on adresse à la machine en amont du sujet. Mais demander à la machine d'être intelligente, ça n'a aucun sens, ça n'est pas verticalement qu'on obtient ce résultat.
La machine, elle, a obtenu 11 sur 20 et vous, 20 sur 20.
On a tous les deux été surnotés. Moi, parce que qu'on ne met pas à 20 à une copie de philosophie, en particulier quand on la rédige en 1h15, dans des conditions un peu baroques. En revanche, la machine, elle, ne méritait pas la moyenne parce qu'il n'avait pas de problématique et ça, c'est un critère.
Est-ce que ChatGPT peut s'améliorer ?
Non, pas en philosophie. Tant que l'effort qui consiste à trouver une problématique lui paraîtra étranger, il n'y aura rien à faire. L'intelligence humaine est une matière qu'aucune machine n'est en mesure de synthétiser. Et ce n'est pas notre complexité qui nous sépare de la machine, ce sont nos peurs, nos désarrois, c'est tout ce qui fait qu'on est humain. Le jour où on me présente un robot qui a peur de mourir, comme dans "2001, l'odyssée de l'espace", je change d'avis, mais on n'en est pas là.
Est-ce que la philosophie fait encore des progrès ?
On n'a pas fait de progrès en philosophie depuis Platon, on n'a pas trouvé mieux. Moi, je me sers du Ménon, le dialogue de Platon dans ce livre pour répondre à ceux qui pensent que ChatGPT pourrait servir de prof ou remplacer le prof, je me sers d'un dialogue qui a 2.500 ans. Je ne me sers pas de ça par goût pour l'Antiquité, mais parce qu'on n'a pas fait mieux depuis. La philosophie est indexée sur l'humanité et elle non plus ne fait pas de progrès, sinon le siècle précédent n'aurait pas été celui des génocides. Donc, comment voulez-vous que l'IA synthétise une chose pareille ? Elle ne peut pas comprendre, ça va trop vite.
Au fond, une humanité qui est dépassée par la machine, est-ce que ce n'est pas un fantasme qui est aussi vieux que l'humanité elle-même ?
Alors que l'humanité soit dépassée par la machine, ce n'est pas un fantasme, c'est une réalité. Le marteau est plus solide que le poing, la charrue porte plus de choses que le dos humain. Un ordinateur calcule plus vite qu'un cerveau, il n'y a pas de problème. C'est la raison d'être de nos outils, de nous dépasser. En revanche, que les outils nous remplacent, c'est une autre histoire.
