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Devant une petite mosquée, une poignée de femmes bravent le soleil brûlant de l'été pour faire la queue devant un tuyau pour l'irrigation des cultures, l'une des rares sources d'eau restantes dans leur village du centre de la Tunisie.
Après avoir aligné leurs bidons en chaîne, elles attendent la délivrance: que l'eau coule dans le robinet de fortune qu'elles ont relié au tuyau d'irrigation à Sbikha, un village proche de la ville historique de Kairouan.
"Nous sommes marginalisés", explique l'une des femmes, Ribh Saket, 56 ans. "Nous avons juste besoin de quoi boire".
Le réseau national de distribution dessert la quasi-totalité des zones urbaines et seulement la moitié de la population rurale.
L'autre moitié dépend généralement de puits creusés par des associations agricoles locales en lien avec le ministère de l'Agriculture.
Sbikha, petit village qui compte environ 250 familles à une trentaine de kilomètres au nord de Kairouan, ne disposait que d'un seul puits de ce type.
Mais en 2018, il a été fermé en raison de factures d'électricité impayées, laissant les villageois sans pompes pour extraire l'eau. Depuis, les familles affirment dépendre de puits creusés à l'origine par les agriculteurs locaux pour irriguer leurs terres.
Aucun de ces puits n'est toutefois autorisé par l'Etat. Faute de construction selon les normes et d'analyses de qualité, l'eau puisée est souvent contaminée.
- "Pas viable" -
Montrant une cicatrice couvrant une partie de son abdomen, Ali Kammoun, 57 ans, dit avoir subi deux opérations à cause de maladies d'origine hydrique.
"La moitié d'entre nous a des problèmes rénaux", affirme sa voisine Leila Ben Arfa. "L'eau est polluée, mais nous n'avons pas d'autre choix que de la boire".
Cette femme de 52 ans confie qu'elle et d'autres femmes "portent les bidons sur leur dos, car même nos ânes sont morts de soif".
La Tunisie, qui en est à sa sixième année de sécheresse, se classe au 33e rang des pays les plus soumis au stress hydrique dans le monde, selon le World Resources Institute.
D'ici 2030, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord passeront sous le seuil de "pénurie absolue d'eau" fixé à 500 mètres cubes par personne et par an, selon la Banque mondiale.
Ce seuil est déjà inférieur à 450 mètres cubes par habitant en Tunisie. Les conséquences se font sentir plus durement dans les zones rurales, où les taux de pauvreté sont généralement plus élevés et où l'accès à l'eau est plus difficile.
Plus de 650.000 Tunisiens, vivant pour la plupart dans des zones rurales, n'ont pas l'eau courante à la maison et près de la moitié d'entre eux sont éloignés d'une source d'eau publique, selon un rapport des Nations unies datant de 2023.
"Nous devons trouver une solution", lance Djaouher Kammoun, un agriculteur de 26 ans, qui s'efforce de partager l'eau de son puits avec d'autres villageois. "Ce n'est pas viable".
- "Cercle vicieux" -
Selon l'Observatoire national de l'agriculture (ONAGRI), environ 60% des puits du pays sont creusés de manière privée et non autorisée.
Mais si cette pratique peut constituer une solution temporaire bien qu'insalubre, elle aggrave la pénurie d'eau.
Une étude de l'ONAGRI réalisée en 2022 a ainsi révélé que les aquifères profonds de la Tunisie étaient exploités à 150% de leur taux de recharge et les aquifères souterrains à 119%.
"Aujourd'hui, nous sommes dans la même spirale, le même cercle vicieux, avec les mêmes problèmes", affirme Minyara Mejbri, coordinatrice de Kairouan au sein du FTDES, une association de défense des droits.
Les villageois ont manifesté et bloqué des routes à maintes reprises pour faire entendre leurs griefs. En vain.
"Le gouvernorat nous a dit que nous avions déjà accès à l'eau potable", assure Saief Naffati, 34 ans, en première ligne des efforts de sa communauté pour résoudre la crise. "Ils nous ont dit que si nous protestions, nous devrions en assumer les conséquences, car la garde nationale nous arrêterait".
A bout de patience, beaucoup ont quitté le village, déplore-t-il. Parmi eux son frère, Raouf, désormais installé dans la ville côtière de Hammamet, à environ 110 kilomètres à l'est de Kairouan, où il travaille dans le secteur du tourisme.
Selon Saleh Hamadi, un agriculteur de 55 ans, "au moins 150 familles sont parties" de Sbikha en raison des pénuries d'eau. "La plupart de nos jeunes sont également partis, laissant leurs aînés seuls".
"Pourquoi est-ce encore un problème en 2024? Pourquoi avons-nous encore soif?"