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Après trois ans d’absence, Valérie Perrin revient avec "Tata", un roman qui nous plonge au cœur des souvenirs et des non-dits familiaux, explorant le concept de "remourir" à travers le destin de sa protagoniste.
RTL info : Valérie Perrin, vous signez votre retour après trois ans d'absence avec un nouveau roman, "Tata". Ce quatrième ouvrage raconte l'histoire d'Agnès, une réalisatrice en crise après le départ de son mari. Agnès apprend alors que sa tante est morte une seconde fois. Cette nouvelle fait remonter de nombreux souvenirs et la plonge dans une série de secrets de famille. D’où vous est venue cette idée de "remourir" ?
Valérie Perrin : Ça part du mot tata, mais aussi de cette idée qui me suit depuis longtemps. Depuis le début de l’écriture, je voulais qu'Agnès reçoive un appel lui annonçant la mort de sa tante. Déjà marquée par sa rupture avec son mari, elle apprend que sa tante est décédée la nuit précédente, ce qui est étrange puisqu'elle est déjà morte et enterrée depuis trois ans au cimetière de Gueugnon. On lui demande quand même de venir reconnaître ce corps. Et c’est là que commence un voyage vertigineux : pourquoi faire croire qu'on est mort si l’on est toujours vivant ? Et surtout, qui repose à sa place au cimetière ?
C’est donc une vraie boîte de Pandore qui s’ouvre, avec des secrets de famille qui refont surface. Est-ce un thème que vous vouliez explorer ?
Oui, c'est un thème que j’aime beaucoup. Les secrets, c'est très romanesque, ils touchent à l’amour, à ce que l’on montre, ce que l’on cache et ce que l’on révèle. Et puis, il y a aussi la mémoire, ce que l’on laisse de son passage. Agnès est cinéaste, et Colette, sa tante, laisse, elle aussi, une trace derrière elle.
Gueugnon, votre ville d’origine en Bourgogne, tient aussi un rôle central dans ce livre. Pourquoi ?
Oui, c’était essentiel pour moi de parler de Gueugnon, là où j'ai grandi. J'y suis arrivée en 1969, j’avais un an, car mon père avait été recruté par l’équipe de football locale. J’avais envie de raconter un décor que je connais bien, de faire cohabiter des gens que j’ai connus et des personnages totalement inventés. C’est ce mélange qui m’intéresse dans mes romans.
À la fin du roman, vous remerciez des personnes qui ont influencé l'histoire. Avez-vous puisé dans votre vécu pour écrire "Tata" ?
Oui, certains personnages sont réels. Par exemple, Colette, alias Tata, a été cordonnière toute sa vie et a travaillé sous la supervision de Moktar, son maître d'apprentissage que j’ai connu. Il y a aussi un médecin qui traverse le récit, c’est mon médecin généraliste. J’aime mélanger fiction et réalité. Les gens qui apparaissent à la fin de ce roman, ce sont tous les commerçants, mes parents étaient eux-mêmes commerçants, et j’ai voulu leur rendre hommage et aussi à cete ville.
Agnès, le personnage principal, est une femme faite de doutes, de contradictions et d’incertitudes. Comment avez-vous créé ce personnage ?
Agnès est la somme de plusieurs femmes que j’ai observées. C'est une cinéaste qui a connu le succès très jeune, avec son mari comme muse, avant qu’il ne la quitte. Elle perd alors l’envie de travailler. J’ai aussi puisé dans ma propre expérience aux côtés de Claude Lelouch, mon mari, sur les plateaux de cinéma, où j’ai longtemps été photographe de plateau et coscénariste. J’admire la force des cinéastes ; il faut du courage pour faire un film.
Il y a aussi un parallèle avec votre propre parcours, car vous venez du cinéma. Agnès, elle, se tourne vers l’écriture. Comment percevez-vous la différence entre l’écriture d’un scénario et celle d’un roman ?
Quand j’écrivais des scénarios, c'était souvent sur une idée de Claude. Je donnais le squelette d'une histoire, mais ensuite, ce squelette était repris par toute une équipe : chef opérateur, costumière, maquilleuse, décorateur… Dans mes romans, je fais tout, de la lumière à l’ambiance. C’est un processus un peu magique.
Ce passage de l’écriture de scénarios à celle d’un roman, comment l'avez-vous vécu ?
Ça a commencé avec "Les oubliés du dimanche", une histoire que j’ai portée longtemps. En 2013, j’ai eu six mois pour la terminer. Les gens autour de moi m’ont encouragée à l’envoyer à Albin Michel, mon éditeur depuis.
Le doute fait-il partie de votre processus d’écriture, comme c'est le cas pour Agnès ?
Ce n’est pas vraiment le doute, mais plutôt la peur de ne pas être à la hauteur. Après "Changer l’eau des fleurs", traduit dans 60 pays, je me demandais comment écrire quelque chose qui aille au-delà. Mais j’ai fini par y parvenir, ce qui a été une grande satisfaction.
Entre chaque roman, il s'écoule trois ans. Avez-vous besoin de temps pour laisser reposer une histoire avant de vous consacrer à une nouvelle ?
Oui, il me faut du temps pour faire le deuil de l’histoire, pour me reposer. J'ai déjà des idées pour le prochain roman, comme j’en avais déjà pour "Tata". Puis, il me faut souvent deux ans et demi d’écriture pour aller au bout d’un projet.
Comment se déroule une de vos journées d’écriture ?
Je travaille le matin, de 9h à 13h-14h. Pour "Tata", je reprenais le texte le soir, vers 17h-18h, pendant une à deux heures, tous les jours.
Tissez-vous des liens avec vos personnages, qui sont souvent très forts ? Comment les laissez-vous partir à la fin ?
Une fois que j’écris le dernier mot, ils partent d’eux-mêmes, je ne les retiens pas, ils ne me retiennent pas. Ce n’est pas douloureux, sauf pour Violette, de "Changer l’eau des fleurs". J’aimerais retourner près d'elle et savoir ce qu’elle est devenue.
Vous venez de présenter un film à la Mostra de Venise. Le cinéma continue de vous attirer ?
Oui, tout à fait ! En plus, il s’agit du nouveau film de Claude, Un grand cru, qui sortira le 13 novembre. Quand je l’ai vu pour la première fois, j’étais bouleversée. On l'a présenté à Venise et ça s'est très bien passé.