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Recours croissant à la vidéosurveillance, reconnaissance faciale légalisée sous certaines conditions… serons-nous bientôt tous sous surveillance?

Toute cette semaine, RTL info revient sur les problématiques majeures dans les communes wallonnes et bruxelloises. Nous avons analysé les propos tenus par vos bourgmestres durant les "48h des bourgmestres." La sécurité est l'une des cinq thématiques récurrentes, comme en témoigne l'investissement des communes dans les caméras de surveillance. Pourtant, l'usage de plus en plus fréquent de la vidéosurveillance associé à l'arrivée prochaine de la reconnaissance faciale soulève des questions sur les risques pour la protection des données personnelles et le cadre législatif nécessaire.

À l'approche des élections communales, de nombreux candidats promettent d'augmenter le nombre de caméras de surveillance dans leur commune, avec pour objectif de renforcer la sécurité, de lutter contre les incivilités, de dissuader les fauteurs de troubles et de retrouver les auteurs d'agressions. Toutefois, plusieurs communes ont déjà pris des mesures similaires.

Par exemple, Tubize et Flémalle ont installé des caméras à des points stratégiques pour réduire les dépôts clandestins, tandis que Jurbise a investi dans 121 caméras et renforcé la présence policière. Uccle a installé 75 caméras et collabore avec les citoyens pour des initiatives de prévention. La Bruyère et Berchem-Sainte-Agathe ont également mis en place des systèmes de surveillance, réduisant de moitié les vols dans l'une et luttant contre la délinquance dans l'autre. 

Jusqu'à présent, les caméras de surveillance en Belgique n'ont pas recours à la reconnaissance faciale, faute de cadre juridique spécifique qui en autorise l'utilisation. Cependant, cela pourrait évoluer avec l'entrée en vigueur prochaine de l'AI Act, qui vise à potentiellement permettre cette technologie dans certaines conditions strictes.

L’AI Act : un règlement européen dédié à l’intelligence artificielle

À partir de février 2025, le règlement européen AI Act, qui encadre l’utilisation de la reconnaissance faciale basée sur l’intelligence artificielle, entrera en application. Son principal objectif est de prévenir les dérives potentielles liées à cette technologie et de garantir un usage encadré. D'après ce règlement, l’utilisation de la reconnaissance faciale en temps réel à des fins répressives est interdite, sauf dans trois cas spécifiques :

  • La recherche de victimes d'enlèvement, de disparition ou de traite humaine
  • La prévention d'une menace imminente pour la sécurité ou d'un acte terroriste
  • La localisation ou l'identification de suspects impliqués dans des infractions pénales graves

Pourtant, cela ne signifie pas que cette technologie sera forcément effective dès février prochain. "C'est même peu probable", prévient Frank Schuermans, président de l’organe de contrôle de l’information policière. L'entrée en vigueur du règlement européen ne pourra se faire sans une législation spécifique dans chaque État membre. "En Belgique, cela nécessite encore un cadre légal national qui doit être adopté pour permettre l'utilisation de la reconnaissance faciale dans les conditions prévues par le règlement", explique-t-il.

Selon lui, il y a donc peu de chance pour que la Belgique dispose d'une loi d’ici cette échéance. "Les États devront déterminer quelle sera l'autorité judiciaire ou administrative chargée de délivrer les autorisations nécessaires pour utiliser ce système. Il est également essentiel que la police et le gouvernement, pour autant qu'il y en ait un, s'accordent pour rendre cela possible à partir du 1er février. Mais il y a peu de chances que la Belgique ait adopté une loi d'ici quelques mois, car l'élaboration d'une telle législation n'est pas simple et nécessite un débat sérieux et approfondi."

Sur la question de la protection des données personnelles, des garde-fous sont prévus par le règlement, selon Frank Schuermans. "L'aval d’un juge ou d'une autorité administrative indépendante sera nécessaire. Chaque demande devra aussi être justifiée tant sur le plan de la nécessité que de la proportionnalité." Il faudra donc prouver que le même résultat ne peut pas être obtenu par d'autres moyens.

De plus, l’utilisation de la reconnaissance faciale devra être limitée dans le temps et l’espace, et "aucune décision juridiquement contraignante ne pourra être prise uniquement sur la base de l'intelligence artificielle." Autrement dit, des policiers ou des magistrats devront valider les résultats, lesquels devront être intégrés à un ensemble plus large de preuves. "Il y a de nombreuses balises pour encadrer tout cela", assure-t-il.

Un risque de discrimination pour la Ligue des droits humains

Bien que cette technologie soit perçue comme un outil pour protéger la population, elle suscite de nombreuses inquiétudes, notamment de la part des défenseurs des droits humains, qui dénoncent les risques d'abus et de surveillance excessive. Ainsi, la Ligue des droits humains prône l’interdiction pure et dure de la reconnaissance faciale. "On parle ici de caméras de surveillance, des dispositifs si communs qu’ils en deviennent presque invisibles dans notre quotidien. Désormais, ces caméras vont être capables de nous identifier grâce à des logiciels algorithmiques qui comparent les images capturées en temps réel avec des données déjà existantes", explique Emmanuelle de Buisseret Hardy, conseillère juridique à la Ligue des droits humains.

Cela va augmenter la répression et la discrimination à l'égard de ces personnes puisque ces bases de données sont déjà constituées de prime abord avec des biais discriminatoires

L'inquiétude porte principalement sur la transparence des bases de données policières. Selon Emmanuelle de Buisseret Hardy, il y a en Belgique une "opacité quasi-complète" autour des bases de données policières, notamment le BNG, une vaste base qui compile des informations aussi bien sur des suspects que sur des personnes condamnées. "Outre cette base de données générale, la police peut créer d'autres bases selon leurs envies et leurs besoins. Les personnes les plus représentées dans ces bases sont celles qui subissent déjà des discriminations historiques. Donc, ce sont ces images-là qui, en premier, seront accessibles à la police. Cela va augmenter la répression et la discrimination envers ces personnes puisque ces bases de données sont déjà constituées à la base avec des biais discriminatoires humains", détaille-t-elle.

En outre, l'accès aux données personnelles est "indirect et entravé", car il doit passer par l'organe de contrôle de l'information policière, un processus qui, selon elle, n'est pas en conformité avec le droit européen. Elle soulève également des préoccupations liées à la cybersécurité : "Aucun système informatique n'est étanche, et les risques de piratage de données biométriques sont bien réels. Une fois que ces données, comme les caractéristiques uniques du visage, disparaissent suite à un piratage, une fuite, ou une mauvaise manipulation informatique, c'est foutu", prévient-elle. Elle souligne également le risque de dérives humaines, affirmant que la manipulation des données, confiée à des individus, est "faillible."

Enfin, la conseillère juridique à la Ligue des droits humains évoque un "glissement" vers une normalisation de la surveillance, où l'argument de la sécurité justifie l'utilisation d'outils toujours plus invasifs. "En fait, c'est le pied dans la porte. Toute première autorisation permettra une augmentation de cette liste d'exceptions."

La reconnaissance faciale a pourtant déjà été utilisée par la police belge à plusieurs reprises. En 2017 et 2019, des tests ont été effectués à l'aéroport de Zaventem par la police fédérale pour évaluer l'efficacité de cette technologie. De plus, en 2019 et 2020, la police a mené environ 70 recherches en utilisant le logiciel controversé Clearview AI. Ces expérimentations ont toutefois été jugées illégales par l'Organe de contrôle de l'information policière, car il n'existait à l'époque aucun fondement juridique autorisant leur utilisation.

Enfin, selon une étude réalisée en 2021 par la KULeuven, parmi les 86 zones de police des régions flamande et bruxelloise interrogées, au moins 5 zones disposaient de la reconnaissance faciale, l'une d'elles déclarant l'utiliser "souvent à très souvent".

Retrouvez l'intervention de votre bourgmestre en intégralité sur cette page dédiée au "48h des bourgmestre."

 

 

 

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