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Le 16e sommet des BRICS s'est tenu à Kazan, en Russie, du 22 au 24 octobre, sous l'impulsion de Vladimir Poutine, qui y a réuni les principales puissances émergentes du globe. Lors de ce sommet, le président russe et ses alliés ont voulu démontrer qu'ils ont toujours leur mot à dire face à l'Occident. Le Kremlin espère que cette alliance de pays émergents pourra rivaliser avec l'"hégémonie" occidentale sur la scène mondiale.
Tout d'abord, qu'est-ce que les BRICS ? Il s'agit d'un groupe initialement composé du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de la Chine, formé lors de son premier sommet en 2009. En 2011, l'Afrique du Sud a rejoint l'alliance, transformant l'acronyme en BRICS. Ce groupe a pour objectif de renforcer son influence économique et politique face aux grandes puissances mondiales comme les États-Unis et l'Union européenne, tout en cherchant à diminuer la domination du dollar dans les échanges internationaux.
En 2024, le groupe s'est élargi pour devenir BRICS+, en accueillant plusieurs nouveaux membres, dont l'Arabie saoudite, l'Égypte, les Émirats arabes unis, l'Éthiopie et l'Iran. Avec cet élargissement, les BRICS+ représentent désormais environ 45 % de la population mondiale et 28 % du PIB mondial.
Un nouvel ordre mondial, vraiment ?
En réunissant les BRICS à Kazan, Vladimir Poutine ne semble pas chercher à instaurer un nouvel ordre mondial au sens propre, mais plutôt à affirmer la présence de la Russie et des autres membres sur la scène internationale, comme l'explique Sebastian Santander, spécialiste des relations internationales à l'Université de Liège : "L'idée, ce n'est pas vraiment de créer un nouvel ordre mondial, mais plutôt de dire au reste du monde, nous, on existe aussi, et on voudrait bien que l'ordre international prenne plus en considération la position d'un certain nombre de pays et de puissances dans le monde."
Après la Deuxième Guerre mondiale, un nouvel ordre mondial a été établi, principalement sous l'impulsion des États-Unis. Ceux-ci ont su rallier un certain nombre d'acteurs, tels que les pays européens, le Japon et d'autres nations, pour mettre en place ce qui est devenu "l'ordre libéral international." "Les États-Unis avaient les capacités matérielles pour garantir la pérennité de cet ordre. Je ne pense pas que quelqu'un comme Vladimir Poutine et que la Russie soient en mesure de créer un tel ordre et de garantir sa pérennité", précise le spécialiste de l'ULiège. Le président russe viserait surtout à accroître la visibilité de la Russie en tant qu'acteur international et à encourager un monde "multipolaire", où la puissance serait "davantage redistribuée de manière plus équilibrée."
Un bloc anti-occidental ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les BRICS n'ont pas vocation à former un bloc anti-occidental. Le professeur d'université met en garde contre cette interprétation simpliste : "C’est un bloc qui est là comme une sorte de caisse de résonance d’un certain mal-être d’un certain nombre de pays sur la scène internationale, mais de là à dire que c’est une contestation anti-occidentale, je ne le crois pas", affirme-t-il. "Vous avez au sein des BRICS un certain nombre de pays qui ont des relations aussi avec des pays européens, ou avec les États-Unis. Par exemple, l'Inde a quand même ces dernières années développé une relation plus étroite avec les États-Unis, donc ils n'ont pas envie de se mettre non plus les États-Unis à dos, mais ils veulent évidemment diversifier leur politique étrangère. Ça ne veut pas dire pour autant qu'ils sont anti-occidentaux."
Il ne faut pas non plus oublier que des divergences existent au sein des BRICS. Outre les tensions entre l'Inde et la Chine, "le Brésil, l'Inde, et l'Afrique du Sud sont quand même des démocraties et donc ils ne se reconnaissent pas vraiment dans les régimes plus autoritaires chinois et russes", souligne Sebastian Santander, qui ajoute que ces pays cherchent plutôt à "diversifier leur politique étrangère" et à "être reconnus" sans pour autant se ranger derrière un modèle autoritaire.
En Égypte, le régime d'Abdel Fattah al-Sissi entretient des relations privilégiées avec les États-Unis, notamment sur le plan militaire. "Il est difficile de voir un pays comme l'Égypte, qui est un partenaire stratégique des États-Unis en matière de défense, se positionner comme anti-américain." Cela montre que, même au sein du groupe des BRICS, "il existe des divergences en termes d'intérêt national qui font qu'on ne peut pas parler d'un véritable bloc anti-occidental", et ce malgré les critiques que certains membres, en particulier la Chine et la Russie, adressent à l'Occident.
Malgré ces divergences, les membres du BRICS partagent néanmoins un objectif commun en contestant la domination du dollar américain dans l'économie mondiale. Depuis des années, ces pays discutent de la nécessité de trouver un système alternatif, car "les dettes sont libellées en dollars, le pétrole est libellé en dollars", ce qui confère un pouvoir immense aux États-Unis. "Cela permet aux États-Unis de contrôler le cours du dollar et même de décider quels pays peuvent l'utiliser. C'est ça qu'ils contestent. Ils sont d'accord sur l'excès de puissance des États-Unis, mais ils ne sont pas d'accord sur les solutions", indique-t-il.
"BRICS Pay", l'alternative au dollar
Un des projets phares de Poutine est la création d’un système alternatif au SWIFT, permettant de contourner l'hégémonie du dollar. Ce système, appelé "BRICS Pay", soit une sorte de monnaie virtuelle, a pour ambition de répondre à ce que la Russie perçoit comme "l’arrogance des États-Unis et des Occidentaux", notamment dans le cadre des sanctions économiques. Mais pour l'expert, ce projet est voué à l’échec : "Le rêve de Poutine de créer une monnaie virtuelle ou de créer une monnaie commune, c’est une chimère, parce que d’abord, la Chine ne voudra jamais, et puis c’est le yuan qui est en train de s’imposer de plus en plus dans les échanges entre ces pays."
La grande puissance au sein des BRICS, c'est la Chine, et beaucoup de choses gravitent autour d'elle
Les récentes évolutions géopolitiques, telles que l'intervention russe en Ukraine, les sanctions contre la Russie et l'élargissement des BRICS, ont entraîné une montée en puissance du yuan, la monnaie chinoise, dans les échanges économiques et commerciaux. Cette monnaie est de plus en plus utilisée pour les transactions entre les pays membres des BRICS. "La grande puissance au sein des BRICS, c'est la Chine, et beaucoup de choses gravitent autour d'elle", explique un analyste. "Son économie et son commerce sont essentiels pour les autres membres. Mais si la Chine n'est pas pleinement impliquée, il est difficile de mettre en place un tel système."
En outre, de nouvelles dépendances se créent entre certains de ces pays vis-à-vis de la Chine. "La Russie est devenue de plus en plus dépendante de l’économie chinoise. Il ne faut pas oublier que les Chinois fournissent en voitures, en téléphones portables, en ordinateurs aux Russes. Et en échange, les Russes vendent le gaz, le pétrole qu'ils vendaient jusqu'à pas si longtemps aux Européens", rappelle l'expert en relations internationales.
Enfin, certains voient dans les BRICS une réponse aux forums comme le G7, soit les sept pays les plus puissants au monde. "Ce regroupement pourrait être vu comme une sorte d’écho à un G7, où les pays occidentaux, y compris le Japon, se réunissent pour essayer de réfléchir sur des questions d’enjeux internationaux." Cependant, la fonction principale des BRICS reste celle d’un "forum de dialogue politique", axé sur la réforme des institutions internationales et la gestion des conflits mondiaux, bien que des projets concrets aient également vu le jour, comme la création d'une banque de développement à Shanghai, visant à proposer une alternative aux institutions financières occidentales telles que le FMI ou la Banque mondiale.