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À la suite des dernières élections, la Belgique fait face à une fragmentation de ses grandes familles politiques, entre le Nord et le Sud du pays. Le MR devra plus que probablement composer sans l'Open VLD, son parti "frère"côté flamand. Un phénomène pourtant loin d'être inédit.
Depuis le début des années 2000, la Belgique connaît une fragmentation récurrente de ses grandes familles politiques lorsqu'il s'agit de former un nouveau gouvernement. Libéraux, socialistes, socio-chrétiens et écologistes doivent parfois composer sans leurs partis "frères" de l'autre côté de la frontière linguistique.
Dès lors, quelles sont les raisons de cette séparation ? "La première raison, ce sont les résultats des élections", indique Pierre Verjans, politologue à l'Université de Liège. "Les libéraux flamands de l'open VLD viennent d'essuyer une grosse défaite alors que les libéraux francophones du MR ont remporté une grande victoire." L'Open VLD risque donc de ne pas accompagner le MR au gouvernement, bien qu'ils appartiennent à la même famille politique. "Les libéraux francophones vont assumer les responsabilités de leur victoire alors que les libéraux flamands vont tirer les conséquences de cet échec, en faisant un moment de repli sur soi pour voir quelle stratégie ils vont mettre en place."
Une tendance déjà observée
Même si les chances sont désormais réduites, il a été question que Vooruit, "grâce aux bonnes relations entre Conner Rousseau et Bart de Wever", monte au gouvernement fédéral, à l'inverse du PS. La question s'est également posée pour le CD&V de ne pas intégrer le gouvernement, ayant perdu les élections, contrairement aux Engagés.
Pourtant, une famille politique divisée sur la question de participer au gouvernement, cela n'a rien de nouveau. On l'a déjà constaté par le passé, lorsqu'un parti arrivait au pouvoir sans son "homologue" francophone ou flamand. Ainsi, en 2007, les socialistes francophones accédaient au pouvoir sans les socialistes flamands, alors qu'en 2014, le CD&V montait au gouvernement sans le CDH. "C'est donc moins une question de désaccord sur l'idéologie, mais plutôt le constat que si les électeurs sont arrivés en masse ou ont déserté en masse, il faut en tirer des conséquences. S'ils ont déserté, il faut remettre le parti en ordre pour attirer des électeurs aux prochaines élections", souligne le politologue.
Les grandes familles politiques sont-elles en train d'exploser ? Pour Pierre Verjans, il serait "exagéré" d'affirmer cela sans apporter une nuance : "Cela s'est produit entre 1968 et 1978. À partir de 1978, tous les partis traditionnels, et ce, des deux cotés de la frontière linguistique, avaient une logique différente. Les programmes n'étaient plus les mêmes et n'étaient pas rédigés en commun. Donc ce n'est pas nouveau. En 1968, les sociaux-chrétiens avaient qualifié cela de "distancement" entre les francophones et les néerlandophones." Des partis qui, à l'époque, faisaient face à des nombreuses divergences, à la fois sur le plan socio-économique, communautaire et éthique. "C'était donc des partis différents, même s'ils avaient l'habitude de se tirer l'un et l'autre au gouvernement jusque dans les années 2000, car ils disaient qu'ils étaient plus forts s'ils avaient l'autre partenaire de famille au gouvernement", explique-t-il.
Ils ne se pensent plus d'abord comme une famille, mais comme un parti qui doit défendre ses propres intérêts face à ses propres électeurs.
Des dirigeant qui avaient été "formés et sociabilisés" à la politique à l'époque de l'État unitaire. "Ils se pensaient encore comme une famille. Puis cela s'est interrompu au fur et à mesure dans les années 2000."
À partir de 2007, un changement s'est opéré dans le chef des dirigeants de partis, que ce soient ceux de la génération actuelle ou précédente. "À partir de 2007, chaque parti de chaque famille politique se posait individuellement la question : est-ce que nous participons à ce gouvernement, malgré le fait que l'autre partenaire y soit ou n'y soit pas ? Aujourd'hui, que ce soient les écolos, les libéraux, les socialistes ou encore les socio-chrétiens, "ils ne se pensent plus d'abord comme une famille, mais comme un parti qui doit défendre ses propres intérêts face à ses propres électeurs, par rapport à propre programme."
Une question de génération
La génération actuelle de dirigeants et d'acteurs politiques a grandi dans un système fédéralisé, contrairement à celle qui l'a initié. "C'est une nouvelle génération, ce n'est plus celle qui a fabriqué la fédéralisation du système, mais celle qui a grandi dans un système fédéralisé. Ce sont des gens pour qui la fédéralisation est un fait, et donc c'est un fait que la population flamande ne vote pas comme la population francophone et qu'un parti qui s'adresse à la population flamande ne parle pas comme un parti qui s'adresse à la population francophone."
Les partis ont des discours, des objectifs et des programmes différents. Dans cette perspective, il n'est plus considéré comme "une rupture" pour un parti de ne pas participer au gouvernement, même si sa famille politique de l'autre côté de la frontière linguistique le fait. "Ce n'est pas perçu par eux comme une rupture, mais simplement le fait d'assumer qu'on est dans un état fédéral."
Ce à quoi nous assistons est donc "la continuation" d'une tendance politique amorcée il y a plus d'une décennie. "Ce n'est pas un geste d'éloignement de la part des autres, simplement les autres sont différents car ils s'adressent à un public différent. Et même s'ils peuvent se retrouver très facilement au niveau européen, ce n'est pas pour ça qu'ils vont se retrouver au niveau fédéral belge", conclut le politologue de l'ULiège.