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Les feux de signalisation "à l'espagnole", qui passent au rouge en cas d'excès de vitesse, sont de plus en plus répandus dans à Bruxelles, pour renforcer la sécurité routière. Cette solution innovante est-elle vraiment efficace pour faire ralentir les automobilistes ?
Il vous arrive de dépasser les 30 km/h dans Bruxelles ? Dans certaines rues de la capitale, cela ne vous permet pas de gagner du temps, au contraire. Dès que la limite de vitesse est dépassée… le feu passe au rouge. C'est le concept des feux de signalisation "à l'espagnole", aussi appelés "feux punitifs".
Depuis quelques mois, ce dispositif est testé dans la commune d'Auderghem, dans une rue où se situe une école. "On avait une rue qui était très empruntée et où on constatait quand même que le 30 km/h n'était pas respecté de manière générale. Donc, on s'est dit qu'on allait tester le dispositif à cet endroit-là, et qu'on verrait si on peut le développer ailleurs, dans d'autres rues", nous explique Matthieu Pillois, échevin de la mobilité. Depuis, un autre feu à l'espagnole a été installé dans un autre axe similaire.
Mais comment fonctionnent ces feux et surtout, pourquoi "feux à l'espagnole" ? La raison est simple : les "semáforos de velocidad" sont couramment utilisés en Espagne, à l'entrée de villages pour inciter les automobilistes à respecter les limitations de vitesse.
Concrètement, les feux sont équipés de capteurs qui détectent la vitesse des véhicules en approche. Si un conducteur dépasse la vitesse autorisée, le feu passe au rouge. À l'inverse, si les automobilistes respectent la limitation, le feu reste vert.
On a des retours qui sont assez positifs
"À priori, ça va rester parce qu'on a des retours qui sont assez positifs sur ce dispositif-là", se réjouit Matthieu Pillois. "Le comité de quartier, qui était un peu derrière cette initiative, nous dit qu'il est très content de l'installation de ce dispositif. On a les directions d'écoles qui sont contentes aussi. On a pas mal de retours positifs sur le sujet. On va essayer de mettre en place différentes actions pour vraiment le faire respecter de manière totale, mais donc a priori, ça va rester."
Les feux à l'espagnole sont-ils efficaces ?
Mais, au-delà des réjouissances, les feux à l'espagnole sont-ils vraiment efficaces pour améliorer la sécurité sur la voie publique ? Pour Benoît Godart, porte-parole de VIAS, la réponse est oui : "Ces feux, dans l'ensemble, sont efficaces. C'est la raison pour laquelle il y en a beaucoup en Espagne, dans les entrées d'agglomération. Souvent, après une grande route, vous arrivez dans un village et vous n'avez pas nécessairement envie de respecter la limitation de vitesse. Le feu incite vraiment les conducteurs à le respecter. Il faut aussi dire qu'ils sont accompagnés d'un panneau d'information qui indique au conducteur que, s'il roule trop vite, il va avoir le feu rouge quelques dizaines de mètres plus loin", explique le spécialiste.
L'installation des feux à l'espagnole à Auderghem n'est pas une première. Ils existent également, depuis de nombreuses années, à Watermael-Boitsfort et Woluwe-St-Lambert.
On ressent une diminution de la vitesse sur les deux axes où se trouvent les feux espagnols
Comment évalue-t-on ce dispositif avec du recul ? "On ressent une diminution de la vitesse sur les deux axes où se trouvent les feux espagnols, couplée évidemment d'une sécurisation des différents modes de déplacement", nous confirme Philippe Jaquemyns, échevin de la Gestion de l’espace public à Woluwe-Saint-Lambert.
Dans cette commune aussi, les feux punitifs ont été installés dans des rues à fort passage, à proximité d'écoles. Il y a toutefois une différence : "Il y a un système aussi de caméras de détection qui constate l'infraction liée au franchissement du feu rouge et à la vitesse excessive", précise l'échevin. Ce n'est pas le cas à Auderghem, où la voie de la "sensibilisation" a été choisie, avant la répression :"Parfois, il y a des gens qui nous demandent des radars fixes dans des rues. On se dit qu'on va d'abord essayer une solution de sensibilisation et un peu plus innovante via ce dispositif, que de tout de suite mettre un radar fixe. Là, on pourrait se dire qu'on est dans la rage taxatoire ou ce genre de choses", se justifie Matthieu Pillois.
Un "effet pervers"
Si la présence de radars ou de la présence de policiers est évoquée, c'est parce que les feux à l'espagnole ont le défaut de ne pas toujours être respectés. Benoît Godart décrit effectivement un "effet pervers" des feux à l'espagnole : "Certains conducteurs, habitués au système, ont tendance à rouler encore plus vite pour passer à l'orange, voire au rouge."
À un moment donné, c'est clair que si on veut faire changer les comportements, il faut aussi passer par une phase répressive
À Auderghem, l'échevin le confirme : "Oui, on constate que les gens continuent à aller beaucoup trop vite et jouent avec le système. Certains se disent 'de toute façon on ne sera pas verbalisés, donc on passe quand même aux feux rouges et personne ne nous verra'", déplore Matthieu Pillois. Pour remédier à ce problème, qui n'est pas si courant, la police passe de temps à autre, discrètement, pour verbaliser : "Très clairement, passer un feu rouge, c'est une infraction du troisième degré, donc c'est une bonne grosse amende. À un moment donné, c'est clair que si on veut faire changer les comportements, il faut aussi passer par une phase répressive."
À Woluwe-Saint-Lambert, ce phénomène existe également, mais "la grosse majorité respecte le feu", assure Philippe Jaquemyns.
Il existe tout de même un autre inconvénient à ce système : les automobilistes qui respectent les règles se retrouvent impactés aussi : "Si vous êtes à la bonne vitesse mais que vous suivez quelqu'un qui, à quelques dizaines de mètres devant vous, roule trop vite, cette personne va déclencher le feu rouge et vous allez devoir aussi vous arrêter. Donc, en quelque sorte, c'est une punition collective pour un acte individuel", admet Benoît Godart.
Des automobilistes agacés
Enfin, les feux à l'espagnole ont le pouvoir d'agacer certains automobilistes qui pourraient y voir une nouvelle façon "d'embêter" les conducteurs. Matthieu Pillois répond à ce genre de critique : "Tout le monde peut entendre que lorsqu'on est avec deux écoles, avec énormément d'enfants qui sortent, il faut quand même qu'ils soient en sécurité dans la rue. Mais en fait, si tout le monde respecte le 30 km/h, le feu ne passera jamais au rouge et il n'y aura jamais d'arrêt pour l'automobiliste."
Benoît Godart ajoute qu'effectivement, "embêter" fait partie de la solution contre les excès de vitesse et que les feux punitifs peuvent être même plus efficaces que les méthodes répressives : "La sanction est immédiate. Si vous avez, par exemple, un radar répressif, vous allez pouvoir continuer à rouler trop vite, mais vous recevrez une sanction une dizaine de jours après."
Vers une généralisation ?
Alors, bientôt des feux à l'espagnole partout ? L'Institut VIAS ne va pas jusqu'à recommander aux communes d'en installer le plus possible. "C'est aux gestionnaires de voiries, en l'occurrence la commune, de bien peser le pour et le contre. Voir aussi que ce système peut avoir des désavantages, voir aussi les coûts par rapport aux bénéfices", répond Benoît Godart.
En fait, il n'est pas question de les installer sur des axes importants : "Ce ne sont pas des feux qui sont destinés à réguler le trafic dans un carrefour. Ce sont simplement des feux qui sont destinés à régler un problème de vitesse en un endroit spécifique. Souvent, c'est dans une zone 30, près d'une école où on a constaté des accidents ou des quasi-accidents."
La généralisation dépend donc des communes, en tenant compte du coût de leur installation et de leur maintenance. Dans de nombreuses rues de grandes villes, le feu à l'espagnole n'est pas adapté et le radar répressif reste le meilleur moyen de faire ralentir les automobilistes, sans ajouter davantage d'embouteillages.