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Espagne, France, Belgique, Allemagne… L’Europe est-elle de plus en plus touchée par les inondations ?

L’Espagne vient sans nul doute de vivre l’un des épisodes pluvieux les plus meurtriers de ces dernières décennies. Ailleurs en Europe, des phénomènes similaires se produisent, à l'image des inondations dévastatrices de 2021. Le vieux continent est-il de plus en plus exposé à ce type de catastrophe naturelle ? 

Ces dernières années, l'Europe a connu des épisodes d'inondations d'une violence inédite. En juillet 2021, des crues historiques ont notamment touché l'Allemagne et la Belgique, causant la mort de plus de 200 personnes. Plus récemment, en septembre, la tempête Boris a provoqué des inondations meurtrières en Europe centrale, affectant la Roumanie, la Pologne, la République tchèque, l'Autriche et la Slovaquie, avec un bilan de onze morts et plusieurs disparus. Récemment, la France et l'Italie ont également dû faire face à ce phénomène climatique extrême.

Peut-on dès lors affirmer que les inondations sont de plus en plus fréquentes en Europe ? François Massonnet, climatologue à l’Université catholique de Louvain, invite à la prudence quant aux conclusions : "C’est clair qu’on en a eu trois phénomènes d'ampleur en trois ans, ça marque beaucoup les esprits. Mais maintenant, si on veut vraiment faire des statistiques de façon robuste, trois événements comme ça, c’est très peu en fait pour une échelle de temps climatique", explique-t-il, ajoutant que pour lui, attribuer une augmentation de ce genre d'événements en se basant sur l'occurrence est "un petit peu osé".

Le réchauffement des océans comme effet amplificateur

Si l'augmentation de la fréquence de ces événements n'est pas encore démontrée de façon précise, leur intensité et leur impact ont bel et bien augmenté en raison du réchauffement climatique. "Quand l’air est plus chaud, il peut retenir davantage de vapeur d’eau", indique le climatologue, rappelant que cette capacité de l’atmosphère à stocker l’humidité est bien connue des climatologues depuis 1850. "Ce qui va compter, c’est l'impact de ces phénomènes climatiques, et leur impact, on sait qu’il est démultiplié par le fait que l’air est plus chaud aujourd’hui qu’il y a 150 ans", souligne-t-il.

La goutte froide, à l'origine des précipitations, est un phénomène météorologique où une masse d'air froid en altitude se retrouve isolée au-dessus d'une région, provoquant des orages et des précipitations intenses en raison du contraste de température avec l'air chaud en surface.

Or, ce phénomène n'explique pas à lui seul l'ampleur de ces catastrophes naturelles. "D'un côté, il y a l'événement déclencheur qui est la goutte froide, pour lequel on a forcément peu d'observations parce que ça reste des événements assez rares, mais le fait d'en avoir trois d'affilés comme ça, c'est vrai que ça met un peu la puce à l'oreille. D'autre part, il y a ce phénomène qui vient se brancher sur un facteur amplificateur, soit le fait que les océans sont beaucoup plus chauds qu'avant", détaille l'expert de l'UCL.

Autrement dit, les températures de surface des océans, plus élevées de deux degrés en moyenne par rapport au XIXe siècle, contribuent à intensifier ces phénomènes en augmentant l’évaporation et donc l'humidité dans l’atmosphère. Combinée à un air plus chaud, cette vapeur d’eau se condense et retombe sous forme de précipitations plus violentes. "La question est de savoir si la goutte froide qui a frappé l'Espagne récemment, la Belgique en 2021, ou encore celle liée à la tempête Boris en Europe centrale aurait eu le même impact il y a 150 ans. Et là, on est quasiment sûr que la réponse est non, car à l'époque, la température de surface des océans était inférieure de deux degrés à celle d'aujourd'hui. Résultat ? Moins d'évaporation, un air retenant moins de vapeur d'eau et donc, certes des précipitations intenses, mais sans doute pas au niveau de ce qu'on a observé aujourd’hui."

Les zones sinistrées sont des zones fortement transformées par l’activité humaine, avec des sols ultra bétonisés

Les effets du changement climatique ne sont pas les seuls facteurs qui exacerbent les inondations. Les pratiques d’urbanisation et l’artificialisation des sols aggravent également la situation. "Les zones sinistrées sont des zones fortement transformées par l’activité humaine, avec des sols ultra bétonisés," ajoute François Massonnet. "Avec des modes d'agriculture qui ont transformé la terre au point de ne plus permettre à l'eau de facilement s'infiltrer dans les sols, et donc quand il y a comme ça 450 millimètres d'eau à chaque mètre carré qui tombent en moins de 24 heures sur des sols qui de surcroît sont complètement imperméables, il ne peut arriver que ce qu'on a vu."

Dans certaines grandes villes, des infrastructures d’adaptation ont été développées, comme des bassins d'orage pour contenir les eaux pluviales. Toutefois, "on ne peut pas mettre des bassins d'orage sur toute l'Espagne, comme on ne peut pas en mettre partout en Belgique, c'est évidemment irréaliste, donc ceux qui payent un peu les pots cassés au final sont les villages autour des grandes villes, et eux n'ont pas tous les moyens d'adaptation qui sont actuellement développés", poursuit-il.

À quoi s'attendre dans les prochaines années ?

Les projections climatiques montrent que le cycle hydrologique devrait être profondément modifié par le réchauffement global. Les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) prévoient des phénomènes pluvieux plus intenses, mais aussi une augmentation des sécheresses. "Dans un monde plus chaud, on s’attend à avoir des cycles hydrologiques exacerbés", précise François Massonnet, qu'il assimile à une "distorsion du cycle hydrologique."

Cette perturbation du cycle hydrologique aura pour conséquence une légère augmentation de la quantité totale de précipitations, mais surtout un changement dans la manière dont elles se déversent. "Au lieu d’avoir un mois où il pleut 3 mm chaque jour, vous allez peut-être avoir 25 jours sans rien et trois jours où 90 mm tombent d’un coup, soit l'équivalent d'un mois de précipitations." Ce "déséquilibre des précipitations" concerne non seulement l'Europe, mais aussi le reste du monde.

Les trois événements qui viennent de nous tomber sur la tête préfigurent vraiment ce qui va se passer dans les décennies à venir un peu partout en Europe

Comme le rappelle l'expert, il est impossible de prévoir avec précision le moment et l'endroit de la prochaine catastrophe, car cela dépend directement des aléas météorologiques. "Par contre, la science des changements climatiques peut nous prédire en moyenne combien il risque de tomber à tel endroit et à tel moment, et surtout, quelle est l'augmentation des extrêmes de précipitation. Et donc, oui, à l'avenir, c'est clair qu'on va encore en avoir. Les trois événements qui viennent de nous tomber sur la tête préfigurent vraiment ce qui va se passer dans les décennies à venir un peu partout en Europe et d'ailleurs ailleurs dans le monde", met-il en garde.

Face à l’ampleur des défis climatiques, l’adaptation devient cruciale. Pourtant, d'après le spécialiste, s'adapter ne suffit plus. "On voit bien que même les moyens d'adaptation mis en place ne sont souvent pas à la hauteur car ils sont calqués sur les extrêmes qu'on connaît ou qu'on a connus par le passé. Et donc, on est toujours en train de viser une cible qui est en train de bouger, si vous voulez, une cible qui va un peu plus vite que nous." Selon lui, il est essentiel de concevoir dès maintenant des adaptations pour faire face aux extrêmes climatiques de demain, en construisant, par exemple, des infrastructures comme des ponts résistants aux crues ou des bassins d'orage.

"L'autre façon de prendre le problème à bras-le-corps, c’est de se concentrer sur l’atténuation, qui consiste non pas à s'adapter aux nouveaux extrêmes, mais à agir à la racine en diminuant nos émissions de gaz à effet de serre." Une diminution qui aurait comme effet de faire baisser la température et de revenir à un climat plus supportable, "avec des événements hydrologiques moins extrêmes", conclut le climatologue.  

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