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En Europe, 1 vêtement acheté en ligne sur 5 est renvoyé. Au total, d'après un rapport de l'Agence Européenne de l'Environnement, 43% des vêtements renvoyés sont détruits, alors qu'ils sont encore aptes à la vente. Et ça représente un gaspillage textile colossal, ainsi qu'un coût environnemental considérable. Alors, comment lutter contre ce fléau? Décryptage.
D'après un rapport accablant de l'Agence Européenne de l'Environnement (AEE) co-écrit avec l'Institut flamand de recherche technologique (VITO) publié en mars dernier, le gaspillage vestimentaire atteint des records dans l'industrie textile.
Les chiffres font froid dans le dos: au total, entre 30% et 43% des vêtements achetés et renvoyés en ligne sont détruits par les marques chaque année en Europe. Ça représente entre 264 000 et 594 000 tonnes de produits textiles. Pour imager ces chiffres, en nombre de t-shirts, cela équivaut à une déstruction de 1,7 à 4 milliards tous les ans. Et ce, rien qu'en Europe.
D’après les données de l'AEE, 25% des vêtements sont brûlés, 15% sont déchiquetés, et 3% sont envoyés vers des décharges, parfois à l'autre bout du monde. "La destruction des vêtements et autres produits textiles retournés et invendus se produit depuis des décennies dans l’industrie de la mode et du textile. La pratique est répandue depuis au moins les années 1980", fustige le rapport.
L'industrie textile en Europe: quelques chiffres
De manière générale, l'industrie textile est un secteur important pour l'UE et pour l'économie mondiale. "En 2022, le secteur européen de l'habillement a retrouvé son niveau d'avant la pandémie avec un chiffre d'affaires de 167 milliards d'euros, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2021", écrit l'AEE. Soit un secteur énorme.
Acheter en ligne a le vent en poupe, surtout auprès des 16 à 44 ans. Les habitudes de consommation ont changé: "Le pourcentage de textiles et de vêtements vendus en ligne était de 11 % en 2020, soit plus du double de 2009, où il était de 5 %", écrit l'AEE.
En Europe, 1 vêtement acheté en ligne sur 5 est retourné, soit un taux de retour de 20 %. C'est 3 fois plus élevé que celui des produits vendus en magasin physique, d'après l'AEE. Sur ces retours, entre 30 et 43 %, soit en moyenne un tiers de tous les vêtements retournés achetés en ligne, finissent par être détruits, alors qu'ils sont encore en bon état et aptes à la vente.
Des retours trop faciles et un coût pour les entreprises
Mais les nombreux retours n'expliquent pas pourquoi autant de textiles sont détruits par les marques. Pour ça, il faut se pencher sur les coûts de ces retours pour les entreprises. Bien souvent, les retours pour des achats effectués en ligne sont gratuits.
La destruction sous forme d'incinération libère des polluants atmosphériques
Mais ça ne veut pas dire que personne ne paye... "Les textiles retournés et invendus constituent un défi et sont coûteux à gérer pour l'industrie", précise le rapport. D'après l'AEE et VITO, un retour coûte en moyenne entre 10 et 15 euros à l'entreprise. Cela comprend "le transport, le tri, le calibrage et d'autres activités liées aux retours".
Pour les produits qui ne coûtent, au départ pas très chers, le coût du retour est parfois supérieur à la marge du produit. Et ça devient, forcément, moins intéressant pour les magasins en ligne, qui choisissent alors des alternatives, comme la destruction, qui est finalement moins couteuse...
Un impact environnemental colossal dû à la déstruction, mais aussi à l'export de textiles
Mais cette pratique a un coût environnemental énorme. "La destruction des retours clients et des textiles invendus a des impacts environnementaux et climatiques directs. Il est important de noter que leur production originale a également des impacts, même s'ils ne sont jamais utilisés", précise le rapport.
Et développe: "La destruction sous forme d'incinération libère non seulement du CO2, mais également d'autres polluants atmosphériques, selon le niveau technique de l'incinération. Les textiles invendus ont des impacts environnementaux et climatiques négatifs importants en raison de l'utilisation des ressources, de la production et du transport de produits textiles qui ne sont jamais consommés mais finissent par être détruits".
La distance parcourue par les marchandises retournées pourrait être bien supérieure à 1.000 km
Un article renvoyé peut parfois parcourir des milliers de kilomètres. En fait, quand on commande un vêtement en ligne, et qu'on le renvoie à l'entreprise, il y a très peu de chance que ce même vêtement se retrouve de nouveau en ligne voire en magasin physique. Il sera soit détruit, soit exporté.
Changing Markets Foundation, une organisation qui lutte pour une économie durable, a fait le test en 2023 en dissimulant un minuscule traceur GPS dans des vêtements qui ont ensuite été retournés. Une jupe achetée chez H&M et renvoyée en ligne a parcouru 24.800 kilomètres, avant d’être localisée sur un terrain vague au Mali...
"La distance parcourue par les marchandises retournées pourrait être bien supérieure à 1.000 km en raison des centres de consolidation, des sites de classement avancé et de réapprovisionnement répartis dans différents pays", ajoute l'AEE.
La problématique des invendus, et de nouvelles destructions, avec un fort coût environnemental...
Mais en plus des destructions textiles des articles retournés en ligne, l'industrie de la mode en Europe détruit aussi ses invendus. "Il existe d’importants volumes de textiles invendus en Europe. Ces textiles ne sont vendus ni en ligne ni dans les magasins physiques. Les textiles invendus sont souvent dus à l'évolution rapide de la mode et aux nombreux nouveaux modèles mis sur le marché tout au long d'une année", explique l'AEE.
Et lorsque les textiles invendus ne sont pas détruits, ils sont exportés à l'autre bout du monde, généralement en Afrique, où ils finissent dans des décharges à ciel ouvert. "La majorité d’entre eux finissent en Afrique et en Asie, destinés à être réutilisés ou recyclés. En Afrique, une grande partie finit sous forme de déchets, principalement dans des décharges à ciel ouvert, ou est incinérée à l'air libre, libérant des toxines directement sans filtrage", ajoute l'AEE dans son rapport.
Les marques surproduisent, et ça contribue au problème de destruction massive de textiles
L’industrie de la mode, et particulièrement la fast fashion, se caractérise par une grande variété de produits. Et c'est principalement ça qui pose problème: "Plus le portefeuille de produits, de styles et de couleurs est diversifié, plus il est difficile d'en prédire correctement la quantité. Ces difficultés de prévision pourraient entraîner un surstock, par exemple lorsqu'une marque commande davantage de produits d'une certaine couleur, qui s'avèrent moins populaires que prévu ou lorsqu'une tendance change avant la vente des produits, les rendant obsolètes".
Les ventes d'articles saisonniers comme les manteaux d'hiver ou les maillots de bain sont directement affectées par les conditions météorologiques de la saison en question. Au total, l'AEE et VITO estiment que la part moyenne des produits textiles invendus est de 21 %. "Environ un cinquième des 21 % de stocks invendus finit par être détruit", est-il écrit dans le rapport.
La surproduction et la destruction sont considérées comme acceptables dans l’industrie textile et même logiques
Autant d'invendus liés à une surproduction de la part des marques. Comme l'explique l'AEE: "Les marques, notamment celles du secteur de la fast fashion, préfèrent souvent le surstock pour réduire les délais et éviter le risque de ne pas pouvoir répondre à la demande, et générer le profit associé".
Comment y remédier? Premièrement, en proposant des descriptions détaillées des produits, et un guide de tailles efficace
Pour remédier à ces destructions massives de vêtements retournés en ligne encore aptes à la vente, l'Agence Européenne de l'Environnement préconise de mettre en place des stratégies comme "l'évitement et le contrôle des retours", afin d'éviter les retours excessifs.
Concrètement, les entreprises peuvent prendre plusieurs mesures pour éviter les retours avant même que les articles ne soient vendus. "Transmettre des descriptions de produits précises et fournir des conseils sur les tailles sont des processus clés pour réduire les retours", écrit l'AEE.
Selon un grand détaillant européen en ligne, les articles pour lesquels il propose des conseils de taille (en utilisant des indications et des recommandations de tailles), les retours liés à la taille ont chuté de 10 % par rapport aux articles pour lesquels il n'y avait pas de conseils de taille. "Des conseils de taille plus sophistiqués pourraient être fournis par les technologies d'essayage numériques, par exemple en permettant aux clients de se prendre en photo avec leur smartphone pour créer des mesures personnalisées", précise le rapport.
Deuxièmement, rendre les retours plus compliqués, et donc payants
Autre point qui pourrait permettre de réduire les retours, et donc la destruction: rendre les retours payants. "Cette stratégie de contrôle comprend la sensibilisation aux coûts économiques, environnementaux et climatiques associés aux retours, et le fait de ne pas offrir de retours gratuits sur les achats effectués en ligne. Bien que les règles de l'UE donnent aux consommateurs le droit de retourner les produits achetés en ligne dans les 14 jours suivant une commande, elles stipulent aussi que le vendeur peut facturer le retour et/ou ne pas couvrir les frais d'expédition du retour, à condition que cela est clairement indiqué au moment de l’achat".
Car proposer des retours gratuits jusqu'à 30 jours après l'achat, voire plus, a un impact significatif sur le potentiel de revente. "Limiter la période de retour peut donc avoir un impact positif sur la probabilité de vendre un éventuel rendement", estiment l'AEE et VITO.
Et pour les articles invendus?
Concernant les textiles invendus à cause d'une surproduction et d'un surstock, l'AEE préconise d'améliorer la gestion des stocks. Le volume de textiles invendus pourrait aussi être réduit en optimisant le processus de commande, de stockage, d'utilisation et de vente des matières premières, des composants et des produits finis d'une entreprise
Cependant, réduire les retours excessifs et optimiser les prévisions de vente pourraient permettre de diminuer les volumes de textiles retournés et invendus, "mais ne s’attaqueraient pas efficacement à la raison systémique sous-jacente, à savoir que la surproduction et la destruction sont considérées comme acceptables dans l’industrie textile et même économiquement logiques". Pour l'AEE et VITO, ce problème colossal pourrait être résolu par l'introduction de lois.
Vers une interdiction européenne de la destruction d'habits encore aptes à la vente
Certains pays, notamment l’Allemagne et la France, ont mis en place une législation qui interdit la destruction des produits encore aptes à la vente. Des lois similaires sont en cours d’élaboration en Espagne par exemple, mais aussi au Parlement européen et à la Commission.
Le Parlement européen et les 27 Etats membres de l’UE ont d'ailleurs annoncé un accord en début d'année pour interdire la destruction des vêtements neufs invendus. La mesure prendra effet 2 ans après l’entrée en vigueur de la loi. Un délai de 6 ans est accordé aux entreprises de taille moyenne, tandis que les petites entreprises en seront exemptées.
"Au fil du temps, d'autres secteurs pourraient être couverts par de telles interdictions, si nécessaire", a déclaré la Commission européenne. Par exemple, d'ici 3 ans, une interdiction de destruction sera examinée pour les appareils électriques et électroniques invendus et retournés.
Mais en complément de la loi, les écologistes appellent à la vigilance pour empêcher certaines de ces entreprises d’envoyer leurs produits retournés ou invendus dans des pays tiers qui se chargeront de leur destruction. Le texte, négocié depuis plusieurs mois par les colégislateurs de l'UE, devra encore être formellement approuvé par les eurodéputés en session plénière et par les Etats membres avant d'entrer en vigueur.