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30% des consommateurs de pornographie sont mineurs: comment vérifier efficacement l'âge des internautes?

Une autorité française a annoncé la publication d'un mode d'emploi pour que les sites pour adultes puissent vérifier l'âge de leurs utilisateurs. Que proposent nos voisins? Est-ce réalisable? À quel point l'exposition précoce à la pornographie est-elle nocive pour les jeunes? Faut-il embrayer le pas?

"Ceci est un site web réservé aux adultes. Êtes-vous majeur(e)?" Toutes les études sont formelles, ces messages affichés sur la page d'accueil des sites qui proposent du contenu pornographique ne dissuadent pas vraiment les jeunes consommateurs. Prenons par exemple les chiffres fournis par l'Arcom (Autorité française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) en 2023: 30% des internautes ayant fréquenté du contenu pour adulte ont moins de 18 ans.

Dès lors, nos voisins français ont décidé de serrer la vis. Concrètement, ils veulent pouvoir vérifier l'âge des utilisateurs de ces plateformes réservées aux adultes, tout en conservant leur vie privée. Pour ce faire, l'autorité compétente impose au moins un dispositif de "double anonymat".

En d'autres termes, c'est une méthode qui permet de faire appel à un intermédiaire comme la banque ou un opérateur téléphonique, sans que le site ne connaisse l'identité de son visiteur, et sans que l'intermédiaire sache que son client consulte un site porno.

Est-ce réalisable?

Ce type de dispositif peut-il effectivement être mis en place? Pour le savoir, nous avons contacté Christophe Axen, spécialiste en cybersécurité à la Police Judiciaire Fédérale de Liège. Il confirme qu'il est "tout-à-fait possible de bloquer un site mais…"

Le spécialiste craint qu'il y ait "d'autres dérives": "Ça aura un impact sur la fréquentation des jeunes, mais il y a un risque d'émergences de solutions moins légales, un contournement des règles."

"Attiser la curiosité"

Autre problème: "L'interdit peut apparaître comme une raison supplémentaire de transgresser les règles", explique Serge Garcet, psychologue à l'ULiège. Et cela s'applique à la pornographie. Le spécialiste précise que l'adolescence est une période "où on teste les limites". Ce n'est pas une raison pour ne pas imposer un cadre, dit-il. Mais c'est un facteur qui peut entrer en ligne de compte.

Frédéric Burdot, psychologue spécialisé en sexologie, rejoint l'avis de son confrère: "Plus on interdit, plus on risque d'attiser la curiosité." Mais c’est un risque à prendre selon lui: "L'idéal serait de mettre le contenu pour adulte complètement hors de portée des jeunes."

Pour autant, il doute de la faisabilité du projet. La pornographie existait bien avant les sites internet comme PornHub ou XVideos, "on n'arrivera jamais à empêcher entièrement l'accès aux mineurs", reconnaît Frédéric Burdot.

Malgré tout cela, il estime que "restreindre l'accès à la pornographie" est "primordial". "Plus quelque chose est inaccessible, plus il relève du fantasme", ajoute-t-il encore. Autrement dit, la facilité d'accès qui règne actuellement pourrait pousser le public non averti à penser que ce contenu pour adulte est proche de la réalité. Et c'est là qu'il y a un risque important.

Risques pour les jeunes

Nonobstant les obstacles explicités ci-dessus, tous nos interlocuteurs sont du même avis: il faut empêcher le plus possible l'accès à la pornographie aux mineurs. Nos voisins français seraient donc sur la bonne voie.

"La pornographie est un ensemble de contenus qui véhiculent de nombreuses représentations. Pour des mineurs qui s'ouvrent à une sexualité génitale, il y a un risque d'apprentissage par l'imitation. La plupart des comportements sont acquis en copiant (…) Le porno est une mise en scène et le risque, c'est qu'il y ait une confusion entre cette mise en scène et les rapports réels entre les personnes", explique Serge Garcet.

Dès lors, le danger pour les jeunes consommateurs n'est pas tant d'être exposés à la nudité ou la sexualité, mais bien "au contenu sous-jacent": le discours fondamentalement genré, l'image faussée des relations sexuelles, la banalisation de la violence…

L'expert précise qu'il ne faut pas diaboliser la pornographie en soi, mais être capable de faire la part des choses: "Si la personne peut prendre de la distance, elle peut avoir les fantasmes qu'elle veut dans la mesure où elle sait que ce sont des fantasmes." Or, les mineurs n'ont pas ce recul nécessaire.

Information et éducation

Restrictions ou pas, Serge Garcet insiste sur "le besoin d'information et d'éducation sur la relation à l'autre". Il ajoute qu'il est important de "déconstruire les stéréotypes véhiculés par la pornographie".

Frédéric Burdot est du même avis. En sa qualité d'ancien coordinateur de planning familial, il explique que le secteur met d'ailleurs en place du contenu "de prévention": "On aborde la question du porno dans les classes. Il est important de dire que ce n'est pas la réalité, de montrer la supercherie. Faire comprendre aux jeunes que rien n'est vrai, que les acteurs ont droit à plusieurs prises,... On aide les adolescents à se construire un esprit critique sur la frontière entre le fantasme et le réel."

Où en est-on en Belgique?

À l'heure d'écrire ces lignes, la loi belge ne contient pas de législation spécifique en ce qui concerne les sites pour adultes. Même si elle vise à protéger les mineurs contre l'exposition à ce type de contenu, ces derniers ne risquent pas de sanction s'ils consomment du porno. Le cadre légal stipule tout de même qu'il est interdit de diffuser ou de rendre accessible du matériel pornographique à des mineurs.

Notons que selon plusieurs sources, des réflexions sont en cours pour la mise en place de vérifications d'âge plus strictes pour l'accès aux sites pour adultes.

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