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L’incrédulité, la stupeur, la consternation puis la tristesse, immense et largement partagée au-delà des clivages politiques. Ce soir du 11 septembre 2017, l’information se répand à la vitesse des mauvaises nouvelles et les Mouscronnois n’en reviennent pas. Leur bourgmestre vient d’être assassiné dans "son" cimetière.
Alfred Gadenne, le mayeur, né à Luingne en janvier 1946, est un homme du cru, viscéralement attaché à sa petite commune. Il a toujours vécu à la même adresse dans la maison qui fut d’abord la ferme de ses parents avant de devenir son domicile. Il fait ses primaires dans le petit village qui à l’époque ne fait pas encore partie de Mouscron puis entame ses secondaires dans la ville. Très vite, il reprend l’exploitation agricole de ses parents et le commerce de charbon de son oncle. Il hérite aussi du goût de la politique que lui lèguent son père et son grand-père. Comme eux, Alfred devient bourgmestre, de Luingne puis de Mouscron. Mais cela ne l’empêche pas de remplir des fonctions de "concierge" du cimetière. Chaque matin et chaque soir, le bourgmestre parcourt les 50 mètres qui séparent sa maison du cimetière. Tous les matins, il en ouvre les grilles. Tous les soirs, il les referme. Ce 11 septembre 2017 ne fait pas exception même si la pluie tombe.
À côté de l’entrée du haut du cimetière, un jeune homme attend. Il se dirige vers le bourgmestre et l’informe qu’il y a un problème avec une tombe. Alfred Gadenne écoute puis suit le jeune homme. Sous son parapluie, le bourgmestre s’enquiert de l’identité de son interlocuteur. "Je m’appelle Nathan Duponcheel", répond celui-ci. "Tu es le fils d’Olivier ? Demande le bourgmestre. Tu as bien grandi, je ne t’avais pas reconnu", poursuit-il. Selon Duponcheel, le bourgmestre aurait ricané. Les deux hommes arrivent devant la tombe d’Olivier Duponcheel. C’est là que Nathan assène un premier coup de cutter à sa victime alors qu’il se trouve derrière elle. Alfred Gadenne s’écroule, sa tête frappe le sol, mais il réussit à saisir les manches de son agresseur et à le tirer vers lui. Duponcheel a du mal à se dégager, il donne alors un deuxième coup de cutter, à la gorge cette fois. Le sang gicle. À genoux à côté de sa victime, le jeune homme tente d’arrêter l’hémorragie des deux mains. En vain. C’est du moins la version qu’il donne lors de la reconstitution organisée en janvier 2018.
"J’ai vengé mon père"
À 19 h 59, ce 11 septembre 2017, le service 101 du Hainaut reçoit l’appel d’une personne qui dit avoir assassiné le bourgmestre. Le standardiste n’en croit pas ses oreilles.
Quelques minutes, plus tard, deux policiers de Mouscron pénètrent dans le cimetière de Luingne, arme au poing. Ils remarquent d’emblée la présence d’un vélo et d’un sac à dos posés contre une poubelle. Quelques mètres plus loin, un homme s’agite au téléphone. Il tient en main un objet recouvert d’un tissu blanc maculé de sang et présente une blessure sanguinolente au bras. L’homme n’oppose aucune résistance, il se couche au sol face contre terre après avoir jeté l’objet qu’il tenait, un cutter. L’un des policiers se dirige vers la victime. "Cela ne sert à rien d’aller le voir, il est déjà mort. Quand vous verrez son cadavre, vous comprendrez pourquoi j’ai vengé mon père", déclare Duponcheel. Les policiers souligneront le calme voire la sérénité apparente de l’homme qu’ils arrêtent.
Le médecin urgentiste dépêché sur place ne peut que constater le décès d’Alfred Gadenne. Il a la gorge tranchée, d’une oreille à l’autre. Le corps est exsangue, une chaussure et un parapluie gisent à quelques mètres, à côté de la tombe d’Olivier Duponcheel. Dans le sac à dos de l’agresseur, la police trouve trois cutters, une bouteille d’eau, des victuailles et un album photos contenant une photo de Nathan et de son père.
Le jeune homme est privé de liberté, mais dans un premier temps, il est emmené à l’hôpital afin de soigner la profonde blessure qui lui déchire le bras gauche. Sa mère est entendue dans la soirée. Elle raconte qu’elle a reçu un message vocal de son fils qu’elle n’a écouté que vers 19 h lorsque ses deux autres enfants l’ont informée d’un problème avec Nathan. Celui-ci se disait "désolé". Au même moment, elle a entendu les sirènes des voitures de police qui se rendaient au cimetière.
Son époux, dit-elle, travaillait au service population de la ville de Mouscron. Il était également pompier volontaire. Il s’est suicidé le 14 février 2015, il était dépressif à la suite de problèmes au travail, poursuit-elle. C’est Nathan qui a découvert le corps sans vie de son père, il a toujours été convaincu que le bourgmestre de Mouscron et son échevin du personnel étaient responsables de son suicide. À plusieurs reprises, il aurait affirmé qu’il allait tuer Alfred Gadenne et faire la peau à l’échevin. Une semaine auparavant encore, il avait exprimé son ressentiment. Sa mère avait reçu une invitation à l’apéritif du bourgmestre, "l’apéritif du connard", aurait dit Nathan. Mais sa mère n’a jamais pris ses menaces au sérieux. Pour elle, il s’agissait de rodomontades d’adolescent en colère après le suicide de son père.
Une mort injuste
En cette mi-septembre 2017, c’est tout Mouscron qui prend le deuil. Les drapeaux sont mis en berne, un registre de condoléances est ouvert à l’hôtel de ville, on fait la file pour y noter quelques mots devant la photo du bourgmestre bordée de noir. Le 13 septembre, le roi Philippe se rend au funérarium pour un dernier hommage à Alfred Gadenne.
Les funérailles ont lieu trois jours plus tard. Trois mille mouscronnois suivent la cérémonie sur écran devant l’église Saint Amand où se pressent six cents personnes. Parmi eux, des représentants politiques de tous les partis.
Nathan Duponcheel comparaît devant la chambre du conseil qui doit confirmer son mandat d’arrêt. "Il ne conteste pas les faits, il assume sa responsabilité, déclare son avocat Jean-Philippe Rivière. Il est dans ce que les psychiatres appellent un état de sidération. Il prend conscience de l’extrême gravité de ce qu’il a commis et de l’injustice totale du geste qu’il a posé, particulièrement à l’égard de quelqu’un d’aussi apprécié que feu Alfred Gardenne. La suite de l’instruction sera consacrée à essayer de comprendre."
Le juge d’instruction ordonne une série de devoirs d’enquête afin de déterminer la nature et la cause des problèmes professionnels rencontrés par Olivier Duponcheel, le père de l’accusé.
La mère de celui-ci est réentendue. Elle explique que son mari avait été détaché du SPF Intérieur vers l’administration communale de Mouscron. A l’issue de la période de détachement, la commune avait jugé le salaire d’Olivier trop élevé et elle avait voulu le renvoyer vers le SPF Intérieur qui refusait de le reprendre en charge. L’incertitude et les tensions que celle-ci générait avait miné le moral d’Olivier.
Le directeur de l’administration communal de Mouscron apporte un autre son de cloche. Il évoque le comportement d’Olivier Duponcheel, son manque de ponctualité, son agressivité vis-à-vis de ses collègues, son attitude peu amène vis-à-vis du public. Tout cela avait amené le collège à souhaiter son départ. Essentiellement pour des raisons financières, nuance un responsable du SPF Intérieur.
"L’analyse scrupuleuse des dossiers administratifs montre qu’Alfred Gadenne n’est, à aucun moment, intervenu personnellement dans la situation d’Olivier Duponcheel", conclut l’enquête.
Mais pour le jeune homme de 16 ans qu’était Nathan lorsqu’il découvre son père pendu en 2015, c’est le chef de la ville de Mouscron, celui qui décide de tout, le bourgmestre qui est responsable de ce drame. Durant 2 ans, Nathan rumine sa vengeance.
Il prend la fuite, armé d’un couteau à steak
Le 26 février 2018 soit cinq mois seulement après l’assassinat d’Alfred Gadenne, la juge d’instruction prend une décision qui surprend. Elle place Nathan Duponcheel, le meurtrier présumé, sous surveillance électronique dans l’attente de son procès. Le jeune homme est désormais en prison à la maison, à cinq cents mètres de l’habitation de l’épouse de sa victime. Celle-ci apprend cette décision par la presse, elle s’en émeut, à juste titre.
En effet, quelques jours plus tard, le 7 mars 2018, Nathan Duponcheel prend la fuite. Un mouvement inhabituel est enregistré par le centre de surveillance électronique, la police se rend au domicile du jeune homme et l’interpelle. Sa mère explique alors qu’il a "pêté les plombs" après avoir reçu une mauvaise nouvelle. Nathan vient d’apprendre que la fille dont il est amoureux a renoué avec son meilleur ami. Sous le coup de la colère ou de la rage, le jeune homme arrache son bracelet, enfourche son vélo et se dirige vers le domicile de son amie. Il s’est muni d’un couteau à steak, dans le but de se suicider devant elle, expliquera-t-il à la police. Sans véritablement convaincre. Sa mère et son frère le rattrapent et lui font entendre raison. Nathan rentre à la maison et prévient la police de son incartade. Le même jour, il est renvoyé à la prison de Mons. Son escapade n’a duré qu’une vingtaine de minutes mais elle forge l’image d’un jeune homme dangereux, aux pulsions incontrôlables qui ne supporte pas la frustration.
Nathan Duponcheel est réincarcéré dans la section psychiatrique mais pour les psy qui l’examinent, il n’est pas atteint d’un trouble mental, il est parfaitement responsable de ses actes. Les experts ajoutent ceci : "Ce jeune a apparemment eu peu l’occasion de verbaliser la perte de son père, la violence du suicide. Il a beaucoup de difficultés à aborder les sentiments forts tels qu’abandon, colère, tristesse et a fortiori tenter d’avancer dans l’élaboration du deuil. Il évacue en simplifiant : il y a un suicide, il y a un coupable". Les frères de Nathan avaient fait l’objet d’un accompagnement psychologique après le décès de leur père. Mais Nathan l’avait refusé, il ne voulait pas se sentir redevable. Au lieu de parler, il s’était isolé. Le collège de psychologue et psychiatres conclut : "Nous relevons un manque de recul, de réflexion et de maturité mais cela n’apparaît pas de nature à ôter ses capacités de jugement". Responsable donc et déjà presque coupable. Nathan Duponcheel est en aveu, sauf pour la préméditation. Ce sera l’un des enjeux de son procès.
Nathan Duponcheel avait prémédité son geste
Le procès de Nathan Duponcheel commence le 19 septembre 2019 devant la cour d’assises du Hainaut. Le jeune homme de 20 ans qui pénètre dans le box a toujours un visage d’adolescent. Deux ans après les faits, il paraît encore surpris par la violence de ceux-ci. L’acte d’accusation rappelle les circonstances du meurtre puis une petite musique résonne dans la salle. Le président Jonckheere vient de coller son GSM à son micro. Il fait entendre une chanson du rappeur La Fouine intitulée "Papa". "Et si je garde en moi toutes les blessures du passé, C'est pour me rappeler tout ce que tu as fait pour moi… Le temps va, tout s’en va, pas l’amour que j’ai pour toi, papa", dit la chanson.
"Vous écoutiez cette chanson dans le parc situé en face du cimetière de Luingne, peu avant de passer à l’acte, commente le président. Vous avez déclaré que cette chanson vous donnait de mauvaises idées. Pourquoi ?", poursuit-il. En larmes, Nathan Duponcheel ne répond pas à la question. En revanche, il reconnait pour la première fois avoir prémédité son acte. Oui, il a acheté des cutters neufs, une ou deux semaines avant d’assassiner le bourgmestre. Sur l’abri du jardin familiale, il a gravé des excuses à l’intention de ses proches et dans une lettre à son frère, il écrit ceci : "Je sais que mes excuses n’effaceront rien mais il fallait que je le fasse…on a quand même passé de bons moments ensemble. Maintenant ce sera sans moi."
Le jeune homme évoque ensuite le profond sentiment d’échec qui fut le sien. Le matin des faits, dit-il, "j’ai fait un point sur ma vie. Je ne pouvais pas entrer à l’armée à la suite d’un problème médical. La fille que j’aimais ne voulait plus me parler… J’étais dans une spirale négative. Je n’avais rien. Je me suis dit que je n’avais plus qu’à venger mon père". Confronté au dossier administratif qui montre que le bourgmestre n’est pas intervenu dans le licenciement du père de Nathan, celui-ci affirme que "malheureusement, je l’ai su trop tard". "Je suis désolé, je voudrais changer les choses mais c’est impossible", conclut-il.
Les remords de l’accusé ont du mal à émouvoir les parties civiles. "Je crains qu’il n’ait pas pris la mesure de l’extrême douleur qu’il vous a infligée, qu’il a infligée aux siens alors que lui ne se plaint que de sa propre douleur", déclare Jean-Philippe Mayence, l’avocat de madame Gadenne. Celui-ci ne croit pas non plus au mobile avancé soit le suicide du père de l’accusé. "Ce qui le pousse, c’est qu’il ne résiste pas à la moindre frustration", poursuit l’avocat.
L’avocate générale avait réclamé 27 ans de prison. La défense a demandé au jury de tenir compte du jeune âge de l’accusé et du traumatisme causé par le suicide de son père.
Après cinq jours de procès, Nathan Duponcheel est condamné à vingt ans de prison. "Nous acceptons la peine et nous espérons qu’il prendra conscience des faits horribles, ignobles, qu’il a commis", déclarait la veuve du bourgmestre. "Je ne pardonnerai jamais mais je n’ai pas de colère contre ce garçon", ajoutait-elle.
Aujourd’hui encore, sa veuve Agnès continue à entretenir avec tendresse la mémoire de son défunt mari dont la statue s’élève désormais sur la grand place de Mouscron.