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Affaires classées: Geneviève Simenon, une histoire que la Belgique n'oubliera pas

Le 28 juin 2000, vers 9 h du matin, le téléphone sonne aux pompes funèbres Goossens à Berchem-Sainte-Agathe. C’est un médecin qui appelle, le docteur Edouard A. Il demande la prise en charge d’une personne décédée, dit-il, d'un "infarctus massif avec insuffisance coronaire". Le docteur précise que l’incinération doit avoir lieu au plus vite.

Le mort s’appelle Georges Temperman, surnommé Jojo. C’est un homme de 55 ans, présenté comme affable, sympathique et de belle prestance. Néanmoins, il semble cumuler les problèmes de santé. Ceux-ci sont, pour l’essentiel, gérés par sa compagne, Geneviève Simenon, 40 ans, une rhumatologue à l’excellente réputation, petite-nièce du célèbre écrivain Georges Simenon. Celle-ci explique que le défunt a fait une lourde chute à la suite d’une crise cardiaque. Il a violemment heurté un meuble puis le sol. Cela justifie les traces de coups visibles sur le corps.

Celui-ci est descendu de l’étage où il repose et transféré au funérarium Goossens. Tout est en ordre, tout paraît normal, juste un décès de plus en cet été chaud.
Au siège des pompes funèbres, c’est un certain Freddy Huysmans qui officie ce jour-là. Il a de l’expérience et… de vieux réflexes. Dans le passé, Freddy a été policier. Alors, quand un corps arrive, il cède parfois à la curiosité.

Freddy Huysmans et ses collègues commencent à procéder à la toilette du corps en vue de l’incinération. Mais quand l’ancien policier soulève le drap qui recouvre la tête, il constate que les plaies ne correspondent pas vraiment à l’acte de décès. La tête est ensanglantée, une oreille est presque arrachée, et plusieurs plaies paraissent difficilement compatibles avec une chute, fût-elle violente. Freddy alerte ses anciens collègues. Un infarctus, vraiment ? N’est-ce pas plutôt un meurtre auquel il est confronté ?

Le parquet de Bruxelles envoie au funérarium un médecin légiste, le labo de la police scientifique et des policiers de la crim. Pour eux, le doute n’est pas permis. Georges Temperman est mort à la suite d’un homicide volontaire. La principale suspecte est sa compagne, Geneviève Simenon.

Dans la soirée, la police se rend à son domicile. Dans la chambre du défunt, tout a été nettoyé. Enfin, presque tout. Il reste quelques traces de sang au plafond de la chambre du couple. Normal, puisque Georges est lourdement tombé. Mais le Blue Star, ce révélateur de sang, ne ment pas. Du sang, il y en avait partout dans la chambre ! Geneviève Simenon est entendue et privée de liberté.

L’enfer selon Simenon

Interrogée par la police, Geneviève Simenon explique qu’elle a passé la nuit du 27 au 28 juin dans la chambre de sa fille cadette âgée de 5 ans. Vers 5 h du matin, celle-ci s’est réveillée. Geneviève Simenon a quitté la chambre pour lui préparer un biberon. Elle fait un crochet par sa propre chambre, dit-elle, pour y prendre son peignoir. C’est là qu’elle aurait découvert Georges couché sur le lit, la tête et les bras couverts de sang. Elle dit avoir cru à un malaise suivi d’une ou plusieurs chutes. Des meubles sont renversés, du sang macule les murs et la table de chevet.

Mais sa version ne convainc pas les enquêteurs. Geneviève Simenon passe une première nuit en cellule puis est réinterrogée le lendemain. Cette fois, elle avoue. Oui, dit-elle, elle a tué son compagnon Georges Temperman, car il lui faisait vivre l’enfer.

Elle partage la vie de Georges depuis 6 ans ou plutôt, explique-t-elle, il vit à ses crochets. Dans le passé, il a travaillé dans une agence immobilière, mais depuis quelques années, il est au chômage et s’active peu pour retrouver un emploi. Geneviève, en revanche, est une travailleuse acharnée. Georges se plaint régulièrement de ses absences, attend tout d’elle, l’appelle à la moindre contrariété et au plus petit bobo. Georges est hypocondriaque, pense souffrir de tous les maux de la terre, mais néglige de prendre ses médicaments. En outre, il entretient des relations tendues avec les trois filles de Geneviève, nées d’un premier mariage. L’aînée s’apprête à quitter la maison du couple. Elle ne supporte plus son beau-père. Quand celui-ci est excédé, il devient violent, affirme Geneviève Simenon. Enfin, Georges Temperman collectionnerait les maîtresses.

Geneviève Simenon raconte ensuite en détail les moments qui ont précédé la mort de son compagnon. Le 27 juin 2000, elle se réveille à 4 h 30 pour conduire ses filles au bus de 5 h 40. Ce sont les derniers jours de l’année scolaire, l’école a prévu une journée de détente à EuroDisney. Geneviève sera seule avec Georges.

À 6 h, elle se rend à son cabinet pour dicter du courrier. Ensuite, elle repasse chez elle, prend une douche et se change. Elle réveille Georges qui se plaint et lui demande de rester à ses côtés. Il est nerveux, dit Geneviève, qui lui fait deux piqûres de valium. Exceptionnellement, elle annule l’essentiel de ses rendez-vous du jour, à l’exception de deux patients venant de Namur.

Geneviève Simenon passe encore un moment avec son compagnon puis à 11 h, elle reçoit ses clients namurois et se rend ensuite à la Clinique de la Basilique. À 13 h 30, Georges Temperman l’appelle sur son portable pour dire qu’il ne se sent pas bien. Elle est occupée. Un quart d’heure plus tard, il la rappelle, l’enjoint de rentrer tout de suite pour le soigner. Il la traite, dit-elle, de "connasse, d’imbécile et de bonne à rien".

À 14 h 30, Geneviève Simenon se rend à la pharmacie de l’hôpital. Elle demande, en plus des médicaments destinés à ses patients, des ampoules de somnifère et de Lanoxin, un médicament qui ralentit le rythme cardiaque. De retour chez elle à 15 h, elle fait deux injections à son compagnon et lui administre de l’insuline. Il s’endort, mais pour peu de temps. À 16 h, il se réveille et l’injurie à nouveau. Une violente dispute éclate. "Une caisse à outils traîne dans la chambre", explique Geneviève. Excédée, elle se saisit d’un maillet et frappe à la tête. Georges s’affale. Elle lui prend le pouls et constate son décès.

Un crime presque parfait

Geneviève Simenon vient de tuer son compagnon. Paniquée, elle prend sa voiture, roule jusqu’à la Basilique puis rentre chez elle et entreprend d’effacer les traces. Elle éponge le sang, lave les draps et la victime, nettoie le maillet et le dissimule dans la cave. Elle range la caisse à outils puis retourne travailler à son cabinet, comme si rien n’était. Ses enfants ne rentrent que vers 23 h 45. Les plus grandes vont se coucher, Geneviève met la plus petite au lit et s’allonge à ses côtés.

Le lendemain, elle appelle le docteur A., un confrère avec lequel elle a entretenu une liaison de quelques mois en 1984. C’est lui qui décerne le certificat de décès et s’occupe des formalités avec les pompes funèbres. Il déclarera avoir vu les plaies de la victime, mais sans penser pour autant à un contexte criminel. Pour lui, les antécédents médicaux de la victime et le surpoids qu’il avait expliquaient une mort naturelle.

Comme dans un roman de Georges Simenon, la mise en scène de la petite-nièce était parfaitement crédible à un grain de sable près. Le Maigret de cette histoire s’appelait Freddy !

L’autopsie de la victime va dénombrer dix-huit coups à la tête au moins, mais aussi des manœuvres de strangulation. Geneviève expliquera que Georges l’a saisie par le cou et qu’elle s’est détachée en l’étranglant à son tour. C’est, dit-elle, à la suite de cet épisode qu’elle s’est saisie du maillet. Pour crédibiliser ses propos, Geneviève demande l’audition d’une codétenue. Celle-ci affirme avoir vu des traces rouges sur le cou de Geneviève et un hématome noir sur sa cuisse.

Geneviève Simenon est détenue préventivement et soutenue massivement, essentiellement par des patients qui vantent ses qualités d’écoute et son expertise de rhumatologue. Entre le jour de son incarcération et le début du procès, 1200 lettres de soutien parviennent à la défense.

L’enquête se poursuit, elle met en lumière la personnalité de Georges Temperman, un homme affable en société, mais dur dans l’intimité. Il a la parole vive et se montre critique, cynique, humiliant à l’égard des filles de Geneviève. "Dans la chambre, dans la salle de bains, il y avait des cris tous les matins", affirme la femme de ménage.

Plusieurs témoins affirment que Georges Temperman battait sa compagne et les filles de celle-ci, mais les témoignages sont contradictoires. La kiné qui soignait la fille aînée de Geneviève, la podologue, les instituteurs des enfants, tous sont entendus. Ils relatent la mésentente qui régnait dans la famille recomposée, mais aucun n’a constaté de traces de coups physiques. Les filles de l’accusé confirment ces tensions : elles n’aimaient pas Jojo qui parfois leur donnait des claques. Oui, les disputes étaient fréquentes, disent-elles, mais les violences étaient verbales, pas physiques.

"La branche pourrie" des Simenon 

Le procès de Geneviève Simenon s’ouvre le lundi 27 mai 2002 devant la cour d’assises de Bruxelles. L’accusée a déjà passé 23 mois en détention, mais ce séjour en prison ne semble pas l’avoir trop affectée. C’est une femme de 42 ans, impeccablement coiffée, vêtue d’un tailleur beige et d’un élégant foulard, qui décline son identité.

Elle raconte une enfance douloureuse régentée par une mère autoritaire et très stricte. Cette mère enseignante exigeait de sa fille les meilleures notes en toutes circonstances. Sinon, les gifles claquaient, les coups pleuvaient. Son père, comptable, était un être falot qui ne résistait pas à son épouse et qui confiait à sa fille ses relations extra-conjugales. Un jour, il aurait caressé la poitrine de celle-ci. Entre ses parents, les disputes étaient fréquentes, affirme Geneviève.

Les psychiatres résument ainsi ses propos : "une figure maternelle écrasante, dominante, castratrice, agressive, voire sadique et une figure paternelle piètre, falote, dominée, impuissante, et même déviante", "un couple parental pathogène, névrosé et névrosant l’inculpée, instiguée à la compétition et bloquée dans sa féminité". Le frère de Géneviève Simenon, Christian, nuancera quelque peu ce sombre tableau. 

D’une voix douce, Geneviève Simenon relate également son parcours professionnel, brillant, son goût pour la musique et pour le sport. Elle pratique le golf, le hockey, le tennis, la natation. Elle fut, à plusieurs reprises, championne d’aviron. De son premier mariage naissent trois filles en six ans. Geneviève divorce en 1995 et se met rapidement en ménage avec Georges Temperman. Il a 16 ans de plus qu’elle. Ils se sont connus en 1984 et ont entretenu une liaison alors qu’il était marié. Elle est retombée sous le charme de cet homme imposant avec qui elle a une quatrième fille née en 1995. 

Mais derrière la façade élégante de l’avenue de la Basilique, rien ne va plus. Geneviève se réfugie dans le travail, elle affirme ne dormir que 3 ou 4 heures par nuit. Elle a un amant, elle ne supporte plus l’agressivité de son compagnon et ses références au passé trouble de sa famille.

L’aura du grand-oncle Georges, écrivain mondialement connu, n’occulte pas tout à fait l’histoire de son frère, Christian. En 1941, il a rejoint le parti Rex fondé par Léon Degrelle, y est devenu cadre et s’est égaré dans la collaboration. En 1944, Christian Simenon participe à la tuerie de Courcelles au cours de laquelle dix-neuf civils sont exécutés en représailles à l’assassinat du bourgmestre rexiste. Condamné à mort, le mouton noir de la famille s’engage dans la Légion étrangère et meurt en Indochine.

Cet homme est le grand-père de Geneviève et son compagnon ne cesse, dit-elle, de lui reprocher. "Petite-fille de nazi, fasciste, branche pourrie", ces insultes pleuvaient tous les jours, dit-elle. Le jour du meurtre, ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres.

Provocation ou préméditation ? 

À son procès, Geneviève Simenon révèle le "secret de famille". Elle affirme que même son grand-oncle Georges avait des sympathies nazies et qu’elle détient des documents qui le prouvent. Personne ne verra jamais ces documents, mais pour Geneviève, la répétition d’insultes à ce propos a fini par la faire exploser. Sa défense plaide la provocation, un moment de folie passagère qui résulte d’années d’humiliation et de mépris.

Mais c’est une tout autre histoire que plaident les avocats de la partie civile, en l’occurrence les deux fils de Georges Temperman. Ceux-ci estiment que la mort de leur père est un assassinat, soit un meurtre prémédité.

D’abord, il y a le Valium administré dès le matin à Georges Temperman, comme pour le préparer à mourir. Les filles ne sont pas à la maison, la femme de ménage non plus. Geneviève a le champ libre. Une maîtresse de Georges raconte que celui-ci l’a appelée le 27 juin 2000. Il savait à peine parler, dit-elle, il n’arrivait plus à respirer, il claquait des dents et ne savait plus où il était. À cet instant, Georges Temperman était dans son lit.

Le même jour, il devait déjeuner avec une autre maîtresse. Il n’est pas venu, il lui a téléphoné en début d’après-midi. "J’ai eu de la peine à reconnaître sa voix", témoigne celle-ci. Il a dit qu’il ne se sentait pas bien, qu’il voulait boire, qu’il avait cherché la femme de ménage, mais sans la trouver. Georges Temperman aurait ajouté que Simenon allait venir le soigner et qu’il n’avait pas pris de médicament hormis une piqûre dans le genou.

L’un des fils Temperman signale également avoir appelé son père ce jour-là. Geneviève a répondu qu’il était absent. Elle l’avait, dit-elle, envoyé aux contributions. L’autre fils avait rendez-vous avec son père pour s’occuper de travaux dans un appartement. Vers 10h30, dit-il, il est surpris de recevoir un coup de fil de Geneviève qui ne l’appelle jamais. Elle l’informe que Georges est fatigué et qu’il vaut mieux reporter le rendez-vous. Le reste, c’est la mort de Georges Temperman et les tentatives de Geneviève pour travestir les faits en mort naturelle.

Après une semaine d’audience, les jurés retiennent le meurtre, mais avec des circonstances atténuantes importantes. Geneviève Simenon est condamnée à cinq ans de prison avec sursis pour ce qui excède la détention déjà subie. Le soir même, elle a pu rentrer chez elle, libre.

Le docteur A., qui avait délivré un peu rapidement le certificat de décès, a été condamné en première instance à huit mois de prison pour faux, puis acquitté devant la cour d’appel.

Le docteur Geneviève Simenon a repris ses activités médicales.

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