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Gérard de Cortanze, écrivain passionné par les personnages historiques, publie un nouveau roman consacré aux derniers mois de la vie d'Ernest Hemingway. Il raconte la fin tragique de l'auteur américain, son lien avec Cuba, et l'ombre du FBI sur sa vie.
RTL info : Votre nouveau livre, "Il ne rêvait plus que de paysages et de lions au bord de la mer", aborde les derniers mois de la vie d'Ernest Hemingway. Pourquoi ce choix ?
Gérard de Cortanze : Oui, je me concentre sur la période où il quitte Cuba. Nous sommes le 12 juillet 1960 et il ne lui reste qu'un an à vivre, mais il ne le sait pas. Il quitte Cuba en raison de l'arrivée au pouvoir de Fidel Castro. Hemingway est antifasciste, mais il n'est pas communiste. Il part retrouver ses amis toreros à Madrid. Après un malaise à Madrid, il est rapatrié non pas à Cuba, mais à Ketchum, dans l'Idaho, dans un chalet bunker. Là, il vivra encore un an avant de se suicider.
Vous avez déjà écrit sur Hemingway. Qu'est-ce qui vous attire chez lui, surtout dans cette dernière partie de sa vie ?
J'ai écrit trois livres sur Hemingway, mais ici, je voulais explorer sa fin de vie à travers le roman, parce que, comme on dit, "le roman, c'est la vérité atteinte par le mensonge". Il y a tout un travail d'archives au départ avant d'écrire le livre, mais je voulais raconter cette dernière année de vie parce qu'elle est très peu connue et ça me permet de montrer un Hemingway qui est nouveau, inconnu. On a souvent une image de lui un peu grotesque avec la boxe, la chasse et la pêche, mais il y avait un autre Hemingway, un écrivain immense et tendre.
J'ai voulu montrer cet Hemingway intime, notamment à travers ses relations avec sa femme, Mary Welsh. Et surtout, il fallait rétablir une vérité : Hemingway a été empêché d'écrire par le FBI. Je ne dis pas qu'il a été assassiné, mais il a été surveillé toute sa vie. Son courrier était ouvert, son téléphone mis sur écoute. Et lors de ses deux séjours en asile psychiatrique, un agent du FBI était présent pendant ses séances d'électrochocs. Et vous savez, les électrochocs dans les années 60, c'était une horreur. On vous explique tout simplement qu'il y a une explosion dans le cerveau et qui, après se reconstruit plus ou moins bien, mais que tout a été lavé, nettoyé.
Vous pensez donc que le FBI a joué un rôle dans sa chute ?
Oui, je pense qu'on l'a tué, d'une certaine manière. Le FBI et ces séances d'électrochocs ont détruit un écrivain.
Il ressentait aussi la peur de ne plus avoir l'inspiration ?
Oui, tout à fait. Il avait peur de ne plus être à la hauteur. Après les électrochocs, il disait qu'il n'entendait plus ces "rumeurs" du monde qui nourrissaient son écriture. Et il pensait beaucoup à Cuba, où il avait vécu depuis 1928.
On ne peut pas comprendre Hemingway sans prendre en compte Cuba, avec ses pêcheurs, sa musique, sa culture. Son œuvre est façonnée par cette île. Contrairement à beaucoup d'auteurs américains de son époque attirés par le Nord, lui était fasciné par le Sud avec l'Afrique, l'Espagne, l'Italie.
Il n'a publié que sept livres de son vivant, pourtant le mythe autour de lui est immense. Pourquoi ?
C'est vrai qu'il n'a publié que peu de livres, mais Hemingway a révolutionné la littérature américaine et mondiale avec des chefs-d'œuvre comme "Le Vieil Homme et la mer" ou "Pour qui sonne le glas". Il avait créé une sorte de "marionnette" avec le grand aventurier, pêcheur, amateur de corrida. Mais derrière cette image, il prenait l'écriture très au sérieux. Comme il le disait, "l'écriture est une chose sérieuse". C'est un écrivain qui se posait sans cesse la question de la création littéraire. Et vous savez, ce n'est pas la peine d'écrire 100 livres pour être un grand écrivain.
Vous parlez aussi de l'amour avec sa dernière femme, Mary Welsh, qui a vécu avec lui jusqu'à la fin. Elle semble avoir supporté beaucoup de choses entre ses sautes d'humeur, son alcoolisme, ses hallucinations et sa paranoïa. Mais pourtant elle ne s'en va pas.
Mary Welsh est extraordinaire. Elle a épousé Hemingway en 1946, après l'avoir rencontré à Londres en 1944. Elle est restée avec lui pendant 17 ans, supportant beaucoup de choses. C'était une femme moderne, fidèle, qui l'a soutenu jusqu'au bout. Leur relation est un élément central de mon roman. Je voulais écrire sur ce couple. Ce livre est sans doute l'un de mes plus intimes, car même en écrivant sur Hemingway, je parle un peu de moi. On n'a pas besoin d'écrire une autobiographie pour révéler une part de soi.
Dans votre livre, vous décrivez Hemingway en exil, passant de Cuba à Madrid, puis aux États-Unis. Comment vivait-il cette errance ?
Il a quitté les États-Unis très jeune, à 24 ans, et ne s'est jamais vraiment réinstallé dans son pays natal. Pour lui, les États-Unis, c'était un autre monde. Il fuyait le puritanisme américain. Hemingway était un écrivain du Sud, un Européen dans l'âme, fasciné par Cuba, l'Espagne, l'Afrique. Même lorsqu'il se promenait dans l'Idaho, son esprit était constamment tourné vers Cuba. Il pensait qu'il y retournerait un jour, mais cela n'a jamais été possible.
La fin de sa vie est marquée par son suicide, un destin qu'il avait reproché à son propre père...
C'est vrai, il avait reproché à son père de s'être suicidé, en parlant de lâcheté. Mais finalement, il a suivi le même chemin. Je pense que la faille chez Hemingway, c'était le suicide de son père. Il a vécu toute son enfance avec lui, un père qu'il admirait. Son père était médecin, et il s'occupait des tribus indiennes autour du lac Michigan. Ils partageaient des moments ensemble, comme la pêche ou le camping, mais Hemingway a aussi été témoin de scènes terribles, notamment la scène d'une Indienne qui accouche et l'enfant et la mère meurent. Cette question de la mort l'a hanté toute sa vie, jusqu'à son propre suicide.