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Les pratiques "douteuses" d'un magasin Delhaize suscitent la controverse : "50 € d’amende pour avoir oublié de scanner un sac de course à moins de 1 €"

La grogne monte au Delhaize Chazal de Schaerbeek, où des clients accusent le magasin d’imposer des amendes après des oublis au self-scan, pouvant grimper jusqu'à... 250 euros ! 

Depuis que l’établissement est passé sous franchise au mois d'avril, plusieurs clients rapportent avoir été contraints de payer des amendes administratives après avoir oublié de scanner un article lors de leur passage au self-scan. Cette situation suscite de nombreuses interrogations sur la légalité de ces pratiques.

Parmi les témoignages reçus, il y a celui de Vincent (prénom d'emprunt), qui fait régulièrement ses courses dans ce magasin. "Juste pour un sac à 50 centimes qui n'a pas été scanné, ils ont appelé un client et lui ont demandé 250 euros. Des fois, il faut payer en cash, des fois c'est via son téléphone. Si le client se laisse faire, ils le font, et ça rentre dans leur poche. En général, c'est pour des oublis, comme une tomate qu'ils ont oublié de peser, un sachet... C'est souvent pour des bêtises comme ça", déplore le Bruxellois.

Selon notre témoin, tout est mis en place pour cueillir les contrevenants : "Il y a quelqu'un à la caisse du hall qui est là pour surveiller. Mais s'il voit qu'il y a un oubli sur son écran de contrôle, il ne va pas le signaler. Il va attendre que le client passe la portique pour le contrôler. Ensuite, les patrons viennent, ils vous emmènent dans le bureau et vous menacent d'appeler la police si vous ne payez pas l'amende. Les gens ont peur de la police, et du coup, ils paient la plupart du temps." D'après Vincent, cette situation n'a rien d'exceptionnel et arrive régulièrement : "Il y a plein de clients qui se font avoir", dénonce-t-il.

En effet, le magasin fait l'objet de nombreuses plaintes similaires sur internet, comme en témoignent les retours clients sur Google : "Soyez vigilant avec le self-scan. Un oubli peut coûter cher. J’ai dû payer 50 € d’amende pour avoir oublié de scanner un sac de course à moins de 1 €", peste une cliente.

Une autre cliente a eu moins de chance puisqu'elle a dû s'acquitter des 250 euros : "Après près de 30 ans que je fréquente ce Delhaize et en sachant que c’était mon premier contrôle non conforme depuis des années, ça fait très mal. J’ai vraiment le sentiment de m’être fait avoir", fulmine-t-elle. Certains témoignages mettent également en lumière l'absence de reçu ou de trace bancaire de ces paiements, ceux-ci étant souvent effectués en espèces. 

Règlement d'ordre intérieur

Nous avons contacté la direction du Delhaize Chazal à Schaerbeek pour obtenir des clarifications sur ces différentes plaintes. À la question de savoir si des amendes sont infligées pour des oublis, le magasin est catégorique : "Lorsqu'il est clair qu'il s'agit d'un oubli, nous sensibilisons le client à être attentif et à ne pas hésiter à solliciter l'aide des collaborateurs présents dans la zone. Il n'y a, dans ces cas, aucune amende", assure la direction du magasin.

Les amendes ne sont donc appliquées que dans des cas plus graves, lorsque le montant ou le nombre d'articles non scannés est trop important pour être considéré comme une simple erreur. "Par exemple, 5 articles scannés sur 10 ou 4 articles scannés à 1 euro et le 5ème à 20 euros non scannés", entraîneraient une amende car, selon Delhaize, "il est assez clair qu'il ne peut pas s'agir d'une erreur lors du processus de paiement."

En ce qui concerne la base légale de ces amendes, elles reposent sur le "règlement d'ordre intérieur établi par Delhaize", nous dit-on. Dans certains cas, "la police conseille d'infliger des amendes dissuasives également." Dans ce règlement affiché à l'entrée du magasin, il est stipulé qu'en cas de vol, "Delhaize peut consentir à un arrangement à l'amiable avec le client sans pour autant y être contrainte. Dans ce cas, un montant forfaitaire est calculé en plus des marchandises volées."

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Quant aux montants des amendes, qui peuvent varier considérablement, le magasin explique qu’ils sont déterminés en fonction du nombre d’articles non scannés et de leur valeur. "Par exemple, 30 articles dans le caddy, dont 16 non scannés, pourraient entraîner une amende de 250 euros, car il est clair qu'il ne peut s'agir d'une erreur et que le montant est élevé", nous précise-t-on.

Delhaize réfute par ailleurs les allégations selon lesquelles les amendes doivent être payées en espèces ou via téléphone, sans reçu : "Les clients paient comme ils le souhaitent, certains en espèces, d'autres par banque, Visa et autres. Un ticket leur est remis avec le montant payé et la signature du manager." Si Delhaize admet que les erreurs au self-scan sont courantes, "ce n'est pas le cas de celles qui amènent à payer des amendes." Pour prévenir ces oublis, le magasin a mis en place plusieurs mesures, notamment l’affichage du règlement d’ordre intérieur à l'entrée et dans la zone de paiement, ainsi que la présence accrue de collaborateurs Delhaize.

Enfin, concernant une éventuelle flexibilité dans certaines situations d’inattention ou d’oubli, le magasin se veut rassurant. "Nous avons un nombre important de clients, plus de 20 000 visites par semaine, il s'agit donc de quelques cas isolés. Nous faisons preuve de beaucoup de souplesse avec nos clients, nous comprenons que des erreurs d'inattention et/ou des oublis sont possibles, mais dans ces cas-là, nos équipes travaillent sur la sensibilisation et l'importance d'être attentif lors de l'utilisation de nos caisses." Cependant, les amendes concernent en général des "récidivistes", souligne le magasin, tout en affirmant être "toujours disponible et à l'écoute de nos clients qui auraient vécu une mauvaise expérience."

Matière civile et pénale

Dès lors, les clients peuvent-ils se voir imposés ce genre d'amendes ? "Tout dépend sur quoi on se base", explique Audrey Dereymacker, la porte-parole de la zone de police Bruxelles-Nord. Si le magasin considère l'incident comme un vol, et donc comme une infraction pénale, "ce n'est pas une matière que le magasin ou même la police peut régender." En effet, si la police peut faire un constat, "c'est la justice qui a le pouvoir d'infliger une amende dans ce type de situation."

En revanche, si l'infraction est considérée comme administrative, la décision d'infliger une amende incombe à la commune et donc à un fonctionnaire sanctionnateur. Dans le cas du magasin, la porte-parole de la zone de police Bruxelles-Nord explique que cette situation semble plutôt relever du domaine civil : "Le fait qu'ils affichent ce règlement, c'est une manière de dire que quand vous entrez dans le magasin, vous acceptez ce contrat. Donc, on est dans le droit civil." De cette manière, l'affichage du règlement intérieur implique un accord entre le client et le magasin.

En cas de vol présumé, deux options s’offrent au magasin. Soit il dépose plainte, auquel cas "on bascule dans la procédure pénale", soit il propose un arrangement à l'amiable en demandant au client de payer une amende. Quant à la légalité de ce genre de transaction, Audrey Dereymacker précise que ce n'est pas à la police de statuer là-dessus.

On ne connaît même pas les modalités et le tarif, donc c'est plus que contestable

Chez Test-Achats, on estime que ce règlement d'ordre intérieur manque de clarté. "Bien sûr qu’on peut toujours stipuler un arrangement à l’amiable, mais dans ce cas-ci, on ne connaît même pas les modalités et le tarif, donc c'est plus que contestable", explique Jean-Philippe Ducart, porte-parole de Test-Achats, qui considère ce règlement comme étant une clause abusive. "Les moyens stipulés dans ce règlement d'ordre intérieur frôlent l’arbitraire et leur légalité est plus que contestable", insiste-t-il.

Enfin, la légalité de ces amendes fait également débat aux yeux du SPF Justice. "La clause reprise dans le règlement d’ordre intérieur, qui propose soit le dépôt d'une plainte au pénal, soit le paiement d'une somme pour éviter cette plainte, n’est pas une sanction administrative, mais plutôt une clause indemnitaire", commente Christine-Laura Kouassi, porte-parole du SPF Justice. "La légalité d'une telle clause pose question et devra être appréciée par le juge saisi de la question." Ainsi, si ces personnes soumises à ce type de transaction décident de porter plainte, "ce sera au juge de déterminer si c’est légal", conlut-t-elle.

 

 

 

 

 

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