Partager:
Retirée de sa famille biologique, Moïra, 16 ans, a été placée dans plusieurs familles d'accueil ces dernières années. Aujourd'hui, elle vit dans un centre d'hébergement et est régulièrement accueillie par un parrain et une marraine. Ce parrainage constitue pour elle une vraie bulle d'air. En témoignant, elle aimerait en faire bénéficier d'autres enfants. Un système encore méconnu en Belgique.
Moïra a été retirée de sa famille biologique par les services sociaux, à l’âge de 11 ans. "Il y avait beaucoup de problèmes chez moi", dit-elle.
Originaire de la région liégeoise, l'adolescente a durant plusieurs années été accueillie dans plusieurs familles. "Il y a eu plusieurs échecs pour différentes raisons", indique-t-elle.
"Cela a été un parcours très difficile car j’ai connu beaucoup de changements de villes, de copains... J’étais désorientée. Psychologiquement, c’était très dur de devoir tout le temps se réadapter à une nouvelle famille, un nouveau mode de vie, une nouvelle maison… J’ai eu la chance de garder la même école. C’était un point de repère."
Moïra explique ensuite avoir été prise en charge par le service d'aide à la jeunesse (S.A.J.), avant d’être replacée dans un centre d'accueil. "Pour moi, le moment le plus marquant dans mon parcours, c’est quand je suis arrivée au centre, à l’âge de 15 ans. Je me suis dit qu’on allait m’offrir un cadre, avec des éducateurs formés. Ils n’allaient pas me dire ‘Tu as fait des bêtises, tu pars’. J’ai eu une grande stabilité en arrivant ici."
A 14 ans, Moïra a rencontré une dame dans le cadre d’une activité sportive, qui avec le temps, est devenue sa "marraine".
"Et son compagnon est devenu mon parrain. Une fois placée définitivement dans le centre d'accueil dans lequel je suis actuellement, mon parrain et ma marraine de cœur se sont proposés pour être une famille d’accueil. Ils m’ont apporté beaucoup de stabilité dans ma vie. Cela m’a permis de me libérer du centre, de ne pas être tout le temps ici. Je vais parfois dormir chez eux le week-end. Pendant les vacances, on partait parfois 4 jours quelque part. Cela m’aide de me dire que j’ai ma place au centre, je suis suivie et aidée, et d'un autre côté, j’ai un côté familial. C’est devenu au fil du temps ma famille, que j’ai pu rejoindre après avoir été préparée au centre. On est sur quelque chose de stable."
Pour nous, les enfants placés, le parrainage est très important
Moïra parle à présent avec "plus de facilité" de son parcours et espère pouvoir aider d'autres enfants. Pour elle, le système de parrainage devrait être davantage connu.
"Je voulais témoigner pour dire que pour nous, les enfants placés, le parrainage est très important. Quand on est placé, on est retiré de nos parents. On vit notre vie entre enfants avec beaucoup de difficultés au quotidien dû à notre vécu. On n’a pas de ressources familiales ou très peu. On ne voit plus nos parents ou très peu, et si on est ici c’est parce qu’on n’a plus de grands-parents. Personnellement, le parrainage m’a aidé à me reconstruire. Quand on est un enfant placé, on a besoin de souffler, de sortir du centre, de pouvoir faire une sortie avec une famille, de pouvoir être présents à des dîners à Noël, pendant les vacances…Et je constate qu’il y a une méconnaissance sur le parrainage. Les adultes ou des amis autour de moi me posent des questions pour savoir en quoi ça consiste."
Le parrainage, c’est assez méconnu
Cathy Genten-Baron, la directrice d’un centre de l’ASBL Maison heureuse, qui accueille Moïra, explique le fonctionnement de ce service résidentiel.
"Nous hébergeons 15 enfants, entre 3 ans et 18 ans. Ils sont ici car ils sont en danger chez eux", souligne-t-elle. "Comment ça fonctionne ? Comme dans n’importe quelle maison, n’importe quelle famille. On suit les enfants dans leur quotidien. On les lève le matin. On les prépare pour aller à l’école. On les conduit à l’école. Quand ils reviennent de l’école, ils font leurs devoirs, on joue, ils regardent la télévision. On est fort dans le soin."
Et de poursuivre: "La deuxième partie de notre travail dans l’accompagnement des enfants est de travailler avec leurs familles. L’objectif d’un hébergement d’enfants, d’un éloignement du milieu familial, c’est que l’enfant puisse garder un lien avec ses parents. Et idéalement, que l’enfant puisse retourner dans sa famille. A terme, c’est l’objectif. Il y a des situations où ce n’est pas toujours possible. Soit l’enfant reste en institution jusqu’à ses 18 ans, et il part en autonomie, dans un petit appartement. Ils perçoivent du CPAS et ils apprennent à vivre leur vie d’adulte prématurément. Ou d’autres, comme Moïra, peuvent, grâce à la rencontre d’une famille de parrainage, poursuivre leur vie dans une famille d’accueil. Si la famille de parrainage le souhaite... Tous les enfants n’ont pas un parrain ou une marraine dans notre institution. Cela dépend de la situation de l’enfant. Il y a des parents qui sont investis dans la vie de leur enfant, et où il n’est pas nécessaire de faire une demande pour avoir une famille de parrainage. En revanche, il y a des enfants assez seuls. Et là, la famille de parrainage a tout son sens."
Cathy Genten-Baron reconnaît que le système de parrainage reste méconnu. "Tout le monde parle de famille d’accueil, mais les familles de parrainage, c’est assez méconnu. On travaille avec un service spécialisé qui recrute les familles de parrainage. Ce qui n’existait pas avant. C’est facilitateur. On se rend compte qu’il y a une pénurie."
La directrice met en avant l'apport d'un parrain et d'une marraine dans la vie des enfants présents au sein de son centre.
"En institution, la vie en groupe est compliquée pour les enfants. Ils sont tout le temps obligés de négocier, de partager, se retenir… Des moments en individuel, cela existe très peu. Ils ont besoin d’attention, d’écoute, de câlins… Avec deux éducateurs pour 15 enfants, on ne peut pas répondre complètement à ce genre de besoin. Ils sont tenus par le temps pour s’occuper de chacun. Une famille de parrainage va permettre à l’enfant de pouvoir bénéficier de ces besoins-là. Elle offre une bulle d’oxygène en prenant le temps de faire découvrir le monde extérieur. On le fait de notre côté mais pas assez. Or, l’éducation d’un enfant, c’est répondre à son épanouissement. Lui offrir l’occasion de s’ouvrir au monde."
Pour que ces jeunes puissent se dire qu’ils comptent pour quelqu’un
Anne Collard, coordinatrice pédagogique et psychologue au sein de l’association Parrain-ami, explique précisément en quoi consiste le système de parrainage.
La mission première de son ASBL est d’apporter de l’aide à des jeunes qui sont "en cruel manque de réseau et d’ouverture vers l’extérieur".
"On travaille avec des enfants, des jeunes, qui vivent de grandes difficultés familiales. Ils sont soit placés par un juge de la jeunesse dans des institutions d’aide à la jeunesse. Soit, ils vivent toujours chez leurs parents dans des conditions très précarisées, socioculturellement parlant. On va ainsi mettre sur leur chemin de vie, des parrains et des marraines, qu’on va préparer, qu’on va sélectionner, qu’on va accompagner. Pour que ces jeunes puissent se rappeler qu’ils comptent pour quelqu’un. C’est vraiment important. Ce sont des jeunes qui n’ont quasiment personne autour d’eux. C’est vraiment une expérience pour eux de se dire qu’ils comptent pour quelqu’un, que la personne n’est pas payée pour s’occuper d’eux. Ces parrains et marraines deviennent un vrai fil rouge dans tout le parcours de vie de ces jeunes. On travaille avec des jeunes qui sont en manque cruel de lien. Ils sont très isolés."
Comment sont sélectionnés les parrains et les marraines ? Anne Collard répond que l'association Parrain-ami est ouverte à tous les profils.
"Cela peut être aussi bien des personnes en couple avec enfants, des personnes en couple sans enfant, des personnes célibataires... On est ouvert à tous les profils. Ces personnes arrivent chez nous grâce à la visibilité. On espère en attirer d’autres car on est en cruel manque de parrainage. Il y a toute une phase de préparation et de sélection. Les candidats assisteront à une réunion d’information tout à fait générale, qu’on organise une fois par mois. On leur explique les missions de parrainage, quels types de jeunes ils vont rencontrer, quel sens le projet pourrait avoir pour eux. S’ils sont convaincus, ils vont nous rappeler et on les rencontrera chez eux à domicile, pour toute une phase de préparation au parrainage. Il est important pour que ça fonctionne que ces parrains et marraines se sentent accompagnés par des professionnels. Et qu’ils vivent cette expérience de lien avec un jeune comme un plus dans leur vie."
En quoi consiste concrètement le rôle de parrain ?
"C’est être dans son rôle affectif et pas dans un rôle éducatif. Ce n’est pas être parent. Ces parrains et marraines vont rencontrer les jeunes à un rythme qu’on propose dans un premier temps, c’est-à-dire une fois par mois. On propose ce rythme-là pour que chacun ait le temps d’apprendre à se connaître. C’est une fois par mois, le temps d’une journée, d’une demi-journée. Il y a un programme sans hébergement, c’est rencontrer un jeune le temps d’une journée ou d’une demi-journée. Ou on rentre dans le programme avec hébergement, c’est rencontrer un enfant le temps d’un week-end, du vendredi soir ou dimanche soir, ou du samedi matin au dimanche soir. Après un certain nombre de mois, chacun pourra dire si ça correspond à ses besoins. Tout est construit avec nous."
Comment expliquer le manque de parrains et de marraines?
"Dans ce type de projet, ce qui peut faire peur, c’est qu’on est dans un projet à moyen et à long terme. Actuellement, on est dans une société où l’immédiateté est prioritaire. Pour encourager, j’ai envie de dire que le rythme n’est pas très soutenu. On parle d’une fois par mois et que notre service est vraiment là pour encadrer, soutenir les parrains et les marraines. Les parrains et marraines apprennent beaucoup de tous ces jeunes qui ont une vie tout à fait différente et qui sont en recherche de lien affectif, pas en recherche d’activité. De notre, au travers de la préparation avec les candidats, on va faire attention à mettre un jeune qui puisse bien se sentir avec cette ou ses personne(s)."
J’ai envie de l’aider à tracer son chemin
Dans le cadre de ce reportage, nous avons également rencontré Frédéric, le parrain d'un adolescent depuis 6 ans.
"Je suis l’heureux parrain de trois filleules issues de mon entourage direct. Il y a 6 ans, ils étaient déjà devenus bien grands et adultes. J’ai eu envie de prolonger l’expérience avec un autre adolescent, d’où l’idée de parrainer un enfant en dehors de mon cercle. C’est une chouette relation, qui est très enrichissante de part et d’autre. Ce n’est pas facile tous les jours, avec des hauts et des bas, car l’adolescent a vécu des choses compliquées."
Pour Frédéric, le parrainage est une "formidable" histoire de vie.
"Mon filleul ne connaissait que la vie en institution. (...) La première année, je le voyais une fois par mois, au départ pour une activité. Comme la mayonnaise a bien pris, au bout d’un an, on a commencé à se voir beaucoup plus souvent. On passe les vacances ensemble à présent", raconte-t-il.
Et de conclure: "C’est une formidable histoire de vie. Le parrainage enrichit les deux personnes. J’ai découvert un univers que je ne connaissais pas du tout. C’est ouvrir des portes. C’est quand même valorisant comme expérience. C’est une relation comme une autre, et j’espère qu’elle va durer le plus longtemps possible. On l’a construite pour éviter que ça soit trop lourd à porter. L’idée est de construire quelque chose sur le long terme et d’avoir une relation sur des bases solides. J’ai plutôt envie que ça continue. C’est quelqu’un qui est attachant. Il a grandi seul. J’ai envie de l’aider à tracer son chemin. Je vois le rôle de parrain comme quelqu’un qui lui ouvre les portes."