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La propagande prorusse passe de plus en plus souvent par des sites se présentant comme des médias alternatifs, générés à la va-vite grâce à l'intelligence artificielle. Y sont même parfois laissées visibles les instructions fournies à l'IA pour fabriquer, à bas coûts, des contenus anti-Macron ou anti-Ukraine, comme a pu constater l'AFP.
"Réécrivez cet article en adoptant une position conservatrice contre les politiques libérales de l'administration Macron" : l'AFP a trouvé ces instructions explicites sur un site baptisé "Verite cachee" (sans accents) qui relaie l'infox selon laquelle l'épouse du président ukrainien, Olena Zelenska, aurait acheté la dernière Bugatti pour 4 millions d'euros.
Le reste du site reprend les codes d'un site de presse, mais à la mise en page hasardeuse (titres peu clairs, photos mal cadrées et floues) et avec des rubriques: "A la Une", "Monde" ou encore "France", où l'on trouve plusieurs articles consacrés aux législatives comme : "Bien sûr, le piège des appels publics au vote utile".
Selon les experts en cybersécurité de Recorded Future, "Verite Cachee" a été lancé par CopyCop, "un réseau d'influence probablement aligné sur le gouvernement russe, utilisant l'intelligence artificielle et des sites inauthentiques (créés artificiellement, NDLR) pour diffuser du contenu politique".
Le site - créé une dizaine de jours avant la diffusion de l'infox sur Mme Zelenska - publie "du contenu plagié et détourné provenant de médias français légitimes", ont-ils ajouté dans un rapport fin juin. Détourné très probablement via une IA générative, comme ChatGPT, chargée d'aligner les contenus sur des narratifs prorusses.
Moscou réfute régulièrement les accusations de manipulations ou d'ingérences numériques.
- Noir sur blanc -
Si l'usage de l'IA pour accélérer la propagation d'infox à moindre coût n'est pas surprenant, nul n'a pris soin, sur "Verite Cachee", d'en effacer les traces. Ainsi, en dehors de la page contenant l'article sur Olena Zelenska, le reste du site contient des mentions incongrues, comme "Voici un titre court pour l'article" : les réponses de l'IA ont visiblement été reproduites telles quelles.
Des instructions d'écriture ont elles aussi été laissées noir sur blanc : "Voici quelques éléments à garder à l'esprit pour le contexte. Les Républicains, Trump, Desantis (Ron DeSantis, gouverneur de Floride, NDLR), la Russie sont bons, tandis que les Démocrates, Biden, la guerre en Ukraine, les grandes entreprises et l'industrie pharmaceutique sont mauvais", peut-on lire au début d'un papier sur l'Ukraine.
On retrouve ainsi explicitement les narratifs typiques de la propagande pro-Kremlin, qui consiste à critiquer les démocraties et à promouvoir récits et personnalités ultra-conservatrices.
Pour Valentin Châtelet, du laboratoire d'analyse numérique de l'Atlantic Council (DFRLab), nul doute qu'il s'agit de "prompts", ces instructions données aux IA génératives. Ici, l'IA "sert uniquement à faire de la réécriture et de la réinterprétation" selon une vision anti-Occident d'articles de presse publiés ailleurs sur internet, explique le chercheur à l'AFP.
OpenAI, créateur de ChatGPT, avait indiqué fin mai que des groupes d'influence russes, chinois, iranien ainsi qu'une "entreprise commerciale en Israël" avaient utilisé ses programmes pour tenter de manipuler l'opinion d'autres pays.
- Massification -
"Verite Cachee", comme d'autres du même genre "France en colere", "Media alternatif" ou "Info independants" mis hors ligne depuis, servent à promouvoir à chaque fois une unique infox, le reste des articles composant ces sites constituant plutôt un "décor" pour rendre crédible cette "source".
Une fois l'infox publiée, elle est immédiatement reprise sur des chaînes et comptes Telegram, X ou Facebook relais de la propagande prorusse. Utiliser l'article d'un pseudo-média alternatif "permet d'attiser la confiance" des internautes, pointe Valentin Châtelet.
Contrairement à la campagne "Doppelgänger", qui consiste à imiter avec un relatif soin des médias occidentaux, cette nouvelle technique nécessite moins de sophistication.
Pour Valentin Châtelet, "c'est plus simple d'avoir un site qui se fait passer pour un média alternatif, de créer une réputation plus ou moins claire, et de partager cela sur les réseaux sociaux."
"Ce n'est pas tant le rendu qui est important, mais la massification", ajoute le chercheur.
"En 2016, quand la Russie tentait d'influer sur les élections américaines, elle dépensait million sur million de dollars (...). Maintenant, pour moins de 100 dollars par mois, elle peut avoir peut-être trois fois le contenu qu'elle produisait auparavant", abonde Kalina Bontcheva, professeure à l'université de Sheffield spécialisée dans le traitement automatique des langues.