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Deux nouveaux timbres postaux, l'un à l'effigie d'un socialiste assassiné sous Mussolini, l'autre en hommage à un dirigeant fasciste et fondateur de l'AS Roma, sèment la discorde en Italie où cette période de l'Histoire ne fait toujours pas consensus.
L'émission ce jeudi d'un timbre à l'effigie d'Italo Foschi, haut cadre du nationalisme d'avant-guerre, s'inscrit dans "une régurgitation continue d'impulsions fascistes" par la majorité ultraconservatrice au pouvoir, s'est indigné le sénateur Michele Fina du Parti démocrate, principale formation d'opposition.
La polémique est d'autant plus vive qu'un autre timbre portera dès lundi le visage de Giacomo Matteotti, député socialiste assassiné il y a cent ans, et dont Foschi avait félicité le meurtrier: "Tu es un héros", avait-il écrit à Amerigo Dumini, militant comme lui du Parti national fasciste (PNF).
"Bienvenue au Panthéon de l'Italie", a ironisé La Stampa.
Le quotidien turinois croit savoir que l'initiative en revient à Fausta Bergamotto, sous-secrétaire dans le ministère (des Entreprises) de tutelle des postes, et membre de Fratelli d'Italia, le parti post-fasciste de la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni.
Membre de la commission consultative sur la philatélie du ministère chargé de sélectionner des personnalités du passé dignes de figurer sur les timbres, l'ex-ministre de droite Carlo Giovanardi a protesté en affirmant n'avoir pas été associé au choix d'Italo Foschi. "On trouve son nom dans la liste des responsables de la persécution des juifs en Vénétie", souligne-t-il dans une tribune publiée sur le site Il riformista.
Un porte-parole du ministère des Entreprises a souligné que le timbre célébrait uniquement "le fondateur de l'AS Roma". "Il n'y a d'autre connotation que sportive", a-t-il dit en précisant qu'aucun représentant du ministère n'avait assisté à la cérémonie d'émission jeudi matin.
Italo Foschi, né le 7 mars 1884 dans les Abruzzes (est), milite dès les années 1910 dans l'Association nationaliste italienne, qui fusionne en 1923 avec le PNF. Il monte les échelons dans la section du Latium, la région de Rome, et se fait un nom en participant à des actions violentes contre les opposants à Benito Mussolini.
Secrétaire général de la fédération romaine du PNF, Foschi organise la fusion de trois clubs de football de la capitale et donne naissance à l'AS Roma le 7 juin 1927, dont il devient le premier président.
"Ni restaurer, ni renier"
A l'occasion du 140e anniversaire de sa naissance, l'AS Roma, qui, sur son site, ne fait aucune référence au contexte politique de la création du club, organise jeudi la troisième édition du "Trophée Italo Foschi", un match opposant deux équipes de jeunes.
Foschi est mort d'une crise cardiaque en 1949 en assistant à un match de foot.
Quant à Matteotti, Giorgia Meloni lui a rendu hommage fin mai, le décrivant comme "un homme libre et courageux tué par des squadristes fascistes pour ses idées".
Une terminologie rare dans la bouche de celle qui, jeune militante de 19 ans, déclarait en 1996 à la télévision française: "Moi je crois que Mussolini, c'était un bon politicien, c'est-à-dire que tout ce qu'il a fait, c'était pour l'Italie".
Lors de sa prise de fonctions en 2022, Mme Meloni avait affirmé devant le Parlement ne jamais avoir éprouvé de sympathie pour les régimes comme le fascisme, qui, sous la férule de Benito Mussolini, a gouverné l'Italie de 1922 à 1943.
Son parti est pourtant l'héritier du Mouvement social italien (MSI), un parti formé par des partisans de Mussolini après la guerre, et utilise son symbole - une flamme tricolore - dans son logo, dont s'était inspiré Jean-Marie Le Pen à la création du Front national en 1972.
Foschi contre Matteotti: le pas de deux symbolise les efforts de Giorgia Meloni, depuis son arrivée aux affaires en octobre 2022, pour élargir son électorat et s'offrir une nouvelle respectabilité sur la scène internationale, sans pour autant se couper de sa base militante la plus radicale.
Il lui faut envoyer "des signaux d'une démocratie non-fasciste mais pas non plus antifasciste", conforme au mot d'ordre du mouvement post-fasciste "ni restaurer, ni renier", analyse Paolo Borioni, historien et professeur de sciences politiques à l'université La Sapienza de Rome.
A Rome, une plaque commémorative apposée dans la rue où Matteotti a été assassiné ne fait aucune mention des circonstances de sa mort.