Partager:
Il y a plus d'un siècle, Siemens déménageait ses usines dans la périphérie d'un Berlin en plein boom industriel. Une vaste cité ouvrière voyait le jour que le groupe veut ressusciter en menant un des plus ambitieux chantiers urbains de la capitale allemande.
Baptisé "Siemensstadt" depuis 1914, ce quartier du nord-ouest de Berlin a connu des années fastes jusqu'à la Seconde guerre mondiale lorsque des dizaines de milliers de salariés y produisaient chaque jour câbles, moteurs et pompes électriques.
Mais les destructions de la guerre, la division de la ville puis la construction du Mur en 1961, ont stoppé ce développement.
Le site est désormais appelé à trouver une seconde jeunesse dans un projet d'aménagement de 4,5 milliards d'euros officiellement lancé mardi par Siemens, après sept années de préparatifs avec la municipalité berlinoise et des dizaines de partenaires.
Au coeur de "Siemensstadt", à trente minutes du centre de Berlin, se dressent toujours les impressionnants bâtiments en brique rouge de l'époque, dont le "Schaltwerk", considéré comme le premier gratte-ciel industriel d'Europe, avec ses onze étages d'ateliers de fabrication.
Autour des anciennes usines se déploient plusieurs ensembles de logements conçus au début du 20me siècle pour les ouvriers du groupe, aujourd'hui partiellement classés au patrimoine mondial de l'Unesco.
- "Ville du futur" -
D'ici à 2035, cette zone hérissée d'engins de chantier, de barrières et d'herbes folles doit être transformée en "ville du futur" capable d'accueillir quelque 28.000 salariés, dont 5.000 de Siemens, et 7.000 nouveaux résidents, s'ajoutant aux 13.000 habitants du quartier.
Le projet "veut relier d'une nouvelle manière les mondes du travail et de la recherche, de l'habitat et de la vie quotidienne- des mondes déjà pensés ensemble dans la Siemensstadt historique", a souligné le chancelier Olaf Scholz venu inaugurer le chantier mardi.
Vaste comme une centaine de terrains de football, l'espace de plus de 76 hectares doit accueillir environ un quart de logements, un quart d'usines ou de centres de recherche, auxquels s'ajouteront bureaux, commerces, espaces éducatifs, sportifs et de loisirs.
Une façon de "réconcilier les usages" et de montrer que "l'industrie a encore sa place dans nos villes", a assuré Roland Busch, patron de Siemens, lors de la cérémonie.
Cette industrie a de nouveaux visages : le géant allemand aux 380.000 salariés dans le monde se réoriente depuis plusieurs années vers le numérique et l'automatisation des usines, se délestant de la production d'équipements lourds pour l'industrie, son coeur traditionnel de métier.
Autre signe que les temps ont changé : le groupe ne bâtira pas de l'habitat pour ses salariés, comme il y a un siècle. Les plus de 2.500 logements prévus seront construits par des promoteurs, avec environ 30% de logement social.
- "Retour aux racines" -
Siemens n'en revendique pas moins un "retour aux racines", soulignant que sa participation à ce projet (750 millions d'euros) représente "le plus gros investissement jamais réalisé" par le groupe à Berlin, la ville qui l'a vu naître en 1847.
Son histoire a débuté dans l'arrière-cour d'un immeuble, dans le quartier aujourd'hui branché de Kreuzberg, avec la production d'un petit appareil pesant une dizaine de kilos : le télégraphe à index développé par l'ingénieur Werner Siemens, précurseur du téléscripteur et du fax.
Entrepreneur féru d'innovation, en pleine révolution industrielle, Werner Siemens (1816-1892) fera évoluer l'atelier de 150 m2 employant une dizaine de salariés en un fleuron de l'économie allemande.
"A la différence d'autres régions industrielles comme la Ruhr (ouest) et la Lusace (est), caractérisées par l'exploitation minière, l'extraction du charbon et la production d'acier, c'est la construction mécanique et surtout l'industrie électrique qui firent de Berlin un pôle industriel majeur au début du 20me siècle", dit à l'AFP Dorothée Haffner, directrice du centre de recherche sur le patrimoine industriel de Berlin (Berliner Zentrum Industriekultur)
Après la guerre, beaucoup de grandes entreprises ont quitté la ville encerclée dans l'ex-RDA, AEG déménageant à Francfort et Siemens transférant son siège à Munich, où il se trouve toujours.
"Le paysage industriel berlinois ne s'est jamais remis de cette saignée", souligne Mme Haffner.
Dans une Allemagne en plein doute sur son avenir économique, la nouvelle Siemensstadt incarne "le futur de l'industrie Berlinoise et allemande", a assuré Olaf Scholz.