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Le centre "Les Aquarelles" à Tournai, accueillant des adultes souffrant de troubles psychiatriques, a été fermé après des plaintes pour maltraitance. Les maisons "pirates" sont difficiles à fermer à cause d'un flou juridique. C'est en réalité un problème beaucoup plus vaste.
Des bandes bleues de la police sont collées sur la porte de la résidence les "Aquarelles", à Hertain (Tournai). Dans ce centre vivaient, jusqu'ici, des adultes souffrant de troubles psychiatriques. Si ce lieu est désormais fermé, c'est à cause des plaintes pour maltraitance qui ont été déposées. Selon certains témoignages récoltés par la police, les résidents étaient sous-alimentés, sales, mal soignés et livrés à eux-mêmes.
Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de gens qui travaillaient là
Une voisine du centre témoigne : "J'ai vu une dame en chaise roulante qui est tombée de sa chaise et il n'y avait personne pour la ramasser. Donc moi, j'ai été pour la relever". Une habitante a aussi été témoin d'une situation inquiétante: "Il y en a un qui est arrivé en plein hiver, il y avait juste un t-shirt sur lui, il était à pieds nus, dans ses petites savates. Je lui ai même dit 'il fait froid, il faut mettre un pull'. Ce n'est pas mon rôle à le faire, c'était le rôle des gens qui travaillaient là. Mais apparemment, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de gens qui travaillaient là. Je ne les voyais jamais".
Ce lieu avait ouvert ses portes fin octobre et avait déjà été épinglé par la presse, pour deux raisons. Tout d'abord, ses propriétaires avaient déjà ouvert une maison de repos, qui a ensuite été fermée en 2021 pour des faits de maltraitance. Ce nouveau projet, qui concerne désormais des personnes en difficultés, a ouvert sans autorisation de l'AVIQ ou des autorités communales. Des inquiétudes avaient déjà été soulevées par ces derniers, ainsi que les syndicats.
Près d'un an plus tard, le centre des "Aquarelles" ferme ses portes
"Vous avez devant vous un bourgmestre soulagé", déclare le bourgmestre de Tournai, Paul-Olivier Delannois en conférence de presse.
Mais pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour pouvoir fermer la résidence, alors que des plaintes avaient déjà été déposées ? Voilà le nœud du problème.
Lara Kotlar, porte-parole de l'Agence wallonne pour une vie de qualité (AVIQ) admet que l'institution était connue. "On a été mis au courant de l'existence de cette structure, puisqu'à un moment, elle a introduit une demande d'agrément, qui a été refusé", explique-t-elle dans le RTL info 13h. "Elle a même été inspectée en vue de l'agrément. Comme l'agrément a été refusé et qu'il y a un recours, on a plus pu y entrer".
Comment expliquer que le centre n'a pas été fermé par l'AVIQ? Le décret de 2019 prévoit pourtant que les maisons d'hébergement collectif qui ne bénéficient pas d'une autorisation sont interdites. L'AVIQ n'a en fait pas la compétence pour fermer un établissement. "C'est le bourgmestre qui doit fermer une institution interdite", explique Lara Kotlar.
On ne retrouvait pas in extenso dans la loi la possibilité de faire certaines choses
Au cours de la conférence de presse, qui a suivi la fermeture de la résidence les "Aquarelles", Paul-Olivier Delannois s'explique sur les difficultés auxquelles il a fait face: "Qui dit maison 'pirate', dit aussi qu'on ne retrouvait pas in extenso dans la loi la possibilité de faire certaines choses", dit-il.
Lucie Bachely, employée au service juridique de la ville de Tournai, également présente lors de la conférence de presse complète : "Il est prévu que les maisons qui ne sont pas reconnues, ou en tout cas qui n'obtiennent pas l'agrément de l’AVIQ sont interdites, mais on ne dit pas qu'elles doivent fermer, par qui, par quoi, comment. Ce qui empêche, finalement, une compétence du bourgmestre à cet égard-là".
Nous sommes en Belgique. Le surréalisme belge est là pour quelque chose
Le bourgmestre déplore, face à la presse, une situation qu'il juge "surréaliste" : "Autant, dans une maison de repos, s'il se passe des choses, je peux à un moment donné arriver à une situation où je fais fermer l'établissement. Mais nous sommes en Belgique. Le surréalisme belge est là pour quelque chose. Ce qu'on me permet de faire dans une maison de repos, on ne me permet pas de le faire dans ce genre de structure", justifie-t-il.
C'est donc un flou juridique, propre à ce genre de centre, qui pose problème.
Ce que sont vraiment les maisons pirates
Ces maisons "pirates" sont souvent appelées "Structures d'hébergement non agréés" (SHNA). Elles ne reçoivent pas de subside des Régions et survivent sur fonds propres. "Ça veut dire que ce sont les résidents, et aussi peut-être le CPAS, qui prennent en charge tous les coûts", complète Lara Kotlar.
Le cas est loin d'être isolé et les évacuations de ce type d'institutions ont déjà eu lieu plusieurs fois par le passé. En 2008, à Anderlecht, un home pour résidents connaissant des troubles psychiatriques était évacué pour des raisons d'hygiène et de santé. Certains résidents dormaient sur des matelas posés à même le sol. Il n'y avait dans l'immeuble qu'une salle de bain pour les 33 résidents. Plus récemment, en 2016, le home Massimo à Gosselies était fermé d'urgence, et les 46 résidents étaient évacués. L'hygiène y était déplorable, les infrastructures insalubres et les soins quasiment inexistants.
Qui sont les personnes prises en charge dans les SHNA? Cela dépend de la structure. Des personnes présentant des troubles psychiatriques, des personnes handicapées, en situation de précarité sociale, en réinsertion,… les profils sont différents.
"Souvent, ce sont des personnes qui, malheureusement, ne trouvent pas de place dans les centres d'hébergement agréés", complète Christine Vanhessen, directrice de l'AMA, la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abris.
"Trop ou pas assez"
Le problème, pour certaines personnes, réside dans le fait qu'ils sont "trop ou pas assez" : "Une partie de ces personnes qui frappent à nos portes ont trop de difficultés, puisqu'elles cumulent des problèmes de santé mentale où il faudrait, parfois, qu'un travailleur de l'axe 'santé' soit présent, que nous n'avons pas dans notre secteur de l'aide aux sans-abris", explique la professionnelle. "Inversement, le secteur de la santé mentale n'a pas assez de place d'hébergement non plus. Parfois, ces personnes ne sont pas assez malades que pour aller à l'hôpital ou des centres spécialisés".
Ces patients se retrouvent ainsi ballottés d'un service à un autre, sans réponse adéquate à leurs besoins.
Il n'y aucune place pour les institutions pirates de ce type-là
Combien de personnes vivent-ils dans ce genre de centre ? Difficile à dire. Les centres, n'étant pas agréés, passent sous les radars. Toutefois Yves Coppieters, ministre wallon de la Santé, tout comme Lara Kotlar, assurent que les maisons pirates sont peu nombreuses : "Ce n'est pas fréquent et j'espère que ce n'est pas fréquent. C'est tout à fait exceptionnel et c'est interdit sur le territoire wallon. Il faut le dire et le redire. Il n'y aucune place pour les institutions pirates de ce type-là", martèle-t-il.
Selon Christine Vanhessen, en Wallonie, il y aurait "une vingtaine ou une trentaine d'opérateurs qui sont actifs".
Le secteur s'inquiète
La Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abris s'inquiète du fait que les SNHA ne sont pas toujours transparentes : "Pour nous, ce qui est difficile, c'est qu’on ne sait pas très bien ce qu'il s'y fait. Est-ce qu'il y a un cadre du personnel suffisant ? Est-ce qu'on va retrouver des éducateurs, des assistants sociaux, du personnel de soin ? On n'en sait rien, puisque ces services ne répondent à aucun cadre", déplore Christine Vanhessen.
Certains se battent pour avoir une reconnaissance
Toutefois, pour l'AMA, il ne faut pas mettre tous les maisons pirates dans le même sac. "Il ne faut pas généraliser pour l'ensemble de ces services non agréés. Certains se battent pour avoir une reconnaissance. On connait des services qui, aujourd'hui, ne sont pas agréés mais qui disent 'on est là, on fonctionne, on voudrait mieux fonctionner et on voudrait fonctionner dans un cadre', mais pour cela, il faut créer le cadre".
Ainsi, pour la fédération, il faut légiférer : "Il faut trouver un cadre, soit d'autoriser ces services à fonctionner, soit de les fermer", déclare la présidente.
Justement, suite à ce nouveau scandale à Tournai, Yves Coppieters compte agir. Le ministre wallon de la Santé veut faire en sorte que le décret permette de fermer ce type d'institutions de la même manière que les homes. "C'est une de mes priorités de revoir le décret dans les prochaines semaines, d'amener ça au Parlement et de convaincre les députés d'inclure aussi ce type d'institutions qui sont inacceptables sur le territoire wallon".
Un plan d'urgence a été mis en place pour reloger les 26 résidents. On nous assure que tous les résidents ont été relogés. Cela n'a pas été facile en raison de leur âge varié et leur situation de fragilité. Ils ont été pris en charge dans différents centres du Hainaut.