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"C'était horrible, je n'arrêtais pas de pleurer": le témoignage choc de Louise sur les dangers des nouvelles drogues de synthèse

L'année dernière, 40 laboratoires clandestins ont été démantelés en Belgique. La consommation de nouveaux produits de synthèse s'accroît, et il est maintenant possible de s'en procurer en ligne comme on commande un t-shirt. Pourtant, ces drogues aux fausses allures légales ne sont pas sans danger. Louise (prénom d'emprunt) et ses colocataires en ont fait l'expérience.

Un vendredi soir de février, Louise, 25 ans, rentre chez elle après une soirée. Quand elle passe la porte vers 3 h du matin, ses deux colocataires se trouvent dans le salon. L’un d’entre eux propose de tester de la NEP, une nouvelle drogue de synthèse.

La N-EthylPentedrone, apparue en 2016, est une drogue psychostimulante et entactogène. Elle agit en libérant la dopamine (molécule du plaisir) et la noradrénaline (composé qui stimule l’adrénaline et l’estime de soi).

Pour la convaincre, l'ami de Louise lui affirme que la drogue n’est pas très puissante, selon ce qu’il a lu sur le site où il l’a achetée. Après quelques minutes d'hésitation, la jeune femme accepte de tester. Les trois colocataires consomment ainsi de la NEP durant plusieurs heures, de 4 h du matin à midi. 

"C’était hardcore. On ne voyait pas le temps passer. C’était un moment hors du temps", raconte Louise. Mais si les effets sont immédiats, la chute arrive aussi rapidement. Environ trois heures après sa dernière prise, la jeune fille se sent déprimée: "C’était horrible, je n’arrêtais pas de pleurer", confie-t-elle.

Ce sentiment passe en quelques heures, mais Louise n’arrive pas à dormir. Elle se renseigne sur ce qu’elle a pris et découvre que la NEP agit, en partie, comme une amphétamine, produit qui accélère l'activité cérébrale.

"Ce que je ne comprends pas, c’est que les dosages conseillés sont en milligrammes", dit-elle. Or, selon ses calculs, ses amis et elles ont consommé un gramme entier à trois cette nuit-là. "Je pensais que je ne dormirais pas pendant 5 jours". Plus le temps passe, plus Louise s’inquiète:"Je me suis demandée si c’était possible de mourir d’un manque de sommeil". 

L’étudiante relativise, mais sa colocataire, elle, vit très mal la situation. Elle regrette amèrement d’avoir testé la NEP. Louise se souvient:"elle supportait très mal la descente. Elle pensait qu’elle allait mourir et qu’il fallait appeler les urgences". De son côté, Louise "attend que ce truc passe". Elle n’arrivera pas à dormir avant le dimanche midi, soit 36 heures plus tard.

Un problème qui s'amplifie

Louise et ses colocataires ne sont pas les seuls à avoir déjà expérimenté ces nouvelles drogues de synthèse. À l’heure actuelle, les jeunes en quête de sensations fortes accèdent facilement à une large palette de psychotropes.

Michaël Hogge, chargé de projets scientifiques et épidémiologiques au sein d’Eurotox (Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles), nous explique:"Les premières drogues de synthèse sont apparues au début du 19e siècle, mais le phénomène s’est amplifié durant les dernières décennies". 

Les nouvelles drogues de synthèse, elles, sont composées de molécules chimiques fabriquées à partir de précurseurs. Les précurseurs de drogues sont des substances (légales ou non) utilisées comme matières premières lors de la production illégale de stupéfiants.

Elles sont souvent dérivées de drogues dites "classiques" ou de médicaments interdits à la vente.

Leur but : imiter les effets des psychotropes comme le cannabis, la cocaïne, la MDMA ou l’ecstasy, à l’aide de nouvelles compositions moléculaires moins chères. 

Celles-ci appartiennent majoritairement à 4 familles chimiques: 

  • Les phényléthylamines, semblables à la MDMA, aux amphétamines et parfois aux hallucinogènes.
  • Les tryptamines, des psychotropes hallucinogènes de type LSD. 
  •  Les cathinones de synthèse, qui possèdent des effets psychostimulants sur le système nerveux central, la dopamine et la sérotonine. Ils sont semblables à la cocaïne, aux amphétamines et à la MDMA. 
  • Les cannabinoïdes de synthèse, qui miment les effets du THC (cannabinoïde présent dans la plante de cannabis) sur les récepteurs cérébraux (euphorie, bien-être, détente, somnolence…). Ils constituent le type de produit le plus fréquemment consommé. Pourtant, ils sont plus puissants, plus dangereux et plus addictifs que le THC naturel. La Buddha Blue, par exemple, est 200 fois plus puissante que le cannabis.

Ces procédés moléculaires ont permis une diversité et une expansion de ces nouvelles substances psychoactives.

Shopping en ligne

Ces drogues promettent un paradis artificiel "en toute légalité". Disponibles en ligne, il est possible d’en acheter comme on commande un t-shirt. Une accessibilité déconcertante, qui peut persuader le consommateur qu'il n'enfreint pas la loi. Nous avons analysé l'un de ces sites. Celui que nous avons consulté propose plus de 180 produits différents. 

Pour se dédouaner, le site mentionne que les molécules sont exclusivement consacrées aux recherches, et pas à la consommation humaine. Cependant, les retours que nous pouvons lire prouvent qu'elles sont bien consommées par des humains. "J'ai commencé avec une tablette de comprimés en microdosage pour apporter de la joie à mon quotidien", peut-on lire.

Ainsi, lorsqu’il s’est rendu sur un site hollandais pour se procurer de la NEP, l’ami de Louise pensait respecter les lois. Sur le pack disponible en ligne, il est même inscrit que le composant est "presque interdit". Le jeune homme ignore qu’en réalité, consommer ce type de produit n’est pas autorisé. 

Que dit la loi ? 

Principalement fabriquées en Inde et en Chine, ces molécules ne sont pas illégales. Cependant, en vendre comme produits destinés à la consommation humaine l’est. C'est pourquoi elles sont souvent annoncées comme étant des "molécules destinées à la recherche". Mais l'imagination des responsables des sites est infinie, puisqu'il leur arrive de les définir comme étant du sel de bain, de l’encens, des pots-pourris, ou encore de l’engrais.

Ces nouvelles drogues de synthèse n’étant pas dûment identifiées, elles ne font l’objet d’aucune interdiction et échappent aux textes de lois existants. "Tout produit qui n’est pas explicitement repris dans la liste de produits interdits échappe à la législation sur les drogues", nous explique Michaël Hogge, expert.

En Belgique, un changement de stratégie législative opéré en 2017 permet une interdiction anticipative de nouvelles substances psychoactives, et vise une lutte plus efficace contre leur diffusion. À présent, dès qu'une nouvelle molécule est identifiée, ses dérivés sont automatiquement considérés comme illégaux.

Louise l’a d’ailleurs bien compris et l'a expliqué à son ami:"Je lui ai dit que non, ce n’était pas légal. Ce n’est juste pas encore illégal. Ce n’est pas pareil et c’est important de le savoir", dit-elle. 

En 2021, le nombre total de nouvelles substances surveillées au niveau européen s'élevait à 880 molécules distinctes.

Qui sont les usagers ?

Les usagers de ces drogues sont souvent motivés par l'expérimentation. "Certains veulent explorer leur état de conscience", affirme Michaël Hogge.

D'autres s’y intéressent pour le coût, puisque ces drogues sont disponibles à une dizaine d’euros sur le marché. La 3-MMC, par exemple, est une alternative à la cocaïne. Elle coûte huit fois moins cher que celle qu’elle imite. 

Viennent ensuite ceux qui y voient facilité et sécurité : plus besoin de rencontrer des dealers, ils peuvent commander leur drogue et se la faire livrer à domicile. "Ces produits sont grandement disponibles via Internet. Tout est susceptible d’arriver dans la poche de celui qui le souhaite", ajoute l'expert. Et puis surtout, les fabricants ont recours à des techniques marketing pour accroître leur chiffre d'affaires. Poudre ou pilules de couleurs, emballages originaux ou noms commerciaux, tout est bon attirer les nouveaux consommateurs.

Pour finir, certaines des molécules ne sont pas repérables dans les tests urinaires, ce qui arrange bien les acheteurs. Le dépistage de ces drogues est très difficile à réaliser en raison de la vaste gamme de composés chimiques utilisés dans leur fabrication.

"On ne trouve que ce que l’on cherche", raconte Monsieur Hogge. "Il faut adapter des outils spécifiques pour identifier ces produits-là". C’est le cas, par exemple, pour les cannabinoïdes de synthèse. Ne contentant pas de THC, ceux-ci échappent aux tests habituellement utilisés pour repérer le cannabis. 

Des dangers bien présents

Mais si ces nouvelles drogues de synthèse semblent plus "pratiques" que les anciennes, elles sont encore plus dangereuses. Il n’existe aucune certitude sur leur composition. Et comme l’explique l’expert d’Eurotox, "plus on interdit leur production, plus on augmente les risques de malchance au niveau de la fabrication"

"On peut avoir des présomptions sur l’apparence, l’odeur ou éventuellement le goût, mais il n’y a aucune certitude. Généralement, des produits de coupe sont rajoutés", dit-il. Et ce n’est pas tout, des impuretés peuvent apparaître suite à une mauvaise synthèse. De plus, le pourcentage de molécules et de substance active peut varier d’un lot à l’autre.

Pourtant, ce genre de produit doit être dosé au milligramme près. Des posologies différentes peuvent modifier les effets ressentis et créer des conséquences indésirables ou irréversibles sur l’usager. Chaque année, de nombreuses overdoses et de nombreux décès surviennent en raison de nouvelles substances trop puissantes. 

Michaël Hogge estime que les risques de ces nouvelles drogues synthétiques sont liés à la quantité consommée, mais aussi au manque de recul sur les produits. Il nous explique qu’il existe deux types de risques: ceux d’intoxication aigüe (liés à un produit trop puissant, mal dosé ou avec une toxicité intrinsèque), et ceux associés à une exposition chronique ou répétée à la substance. "Quand on a moins de recul sur les nouvelles molécules, on ne connaît pas les effets en cas d’usage réguliers, il y a plus d’incertitudes", précise-t-il. 

Selon lui, le danger d’addiction varie également d’un produit à l’autre. "On sait qu’un produit puissant présente plus de chance d’obtenir un usage régulier, un symptôme de manque et de sevrage. Certaines molécules comme les dérivés du THC (substance présente dans la plante de cannabis, Ndlr) ont des profils très addictifs parce qu’elles ont des effets très brefs dans le temps. Elles vont donner envie d’en consommer de manière répétée", explique-t-il.

Les catinones de synthèse sont, eux aussi, très dangereux. "Leurs effets euphorisants déséquilibrent le circuit de la récompense et emprisonnent dans des formes de consommation régulière". Les nouvelles substances psychoactives étant plus fortes que les drogues "classiques", l’envie d’en reprendre et le sentiment de manque surviennent plus rapidement. Louise peut d’ailleurs en témoigner. Lorsqu’elle et ses colocataires ont essayé la NEP, ils en ont repris "toutes les heures, voire toutes les demi-heures"

Depuis plusieurs années, le nombre de laboratoires clandestins démantelés sur le territoire européen est en hausse. Louise constate cependant l’émergence de ces produits autour d’elle, et surtout de la 3-MCC. "Ça devient assez connu actuellement. Je connais des gens qui sont devenus accros".

Elle affirme ne pas regretter d’avoir essayé la NEP, mais ne souhaite plus en prendre à l’avenir. Sa colocataire, elle, reste encore traumatisée de son expérience. 
 

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