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Affaires classées: Stacy et Nathalie, une deuxième affaire Dutroux à Liège

En 2006, les petites Stacy et Nathalie disparaissaient au cours d'une braderie à Liège. Lorsqu'elles sont retrouvées mortes quelques jours plus tard, un nom arrive rapidement : Abdallah Ait Oud. Lors du procès, et après avoir longtemps nié les faits, l'homme finira par craquer. Mais encore aujourd'hui, des zones d'ombre persistent. 

Le vendredi 9 juin 2006, c’est la braderie dans le quartier Saint-Léonard à Liège. Le café de Tito, baptisé "Les Armuriers", est un passage obligé. Juste à côté, on a installé un château gonflable et un podium.

Des enfants chantent, dansent, jouent. Dans ce quartier populaire, la journée est animée et bruyante. Vers 17 h, Stacy Lemmens, 7 ans, arrive avec son papa et son frère Sullivan. La petite fille revient de l’internat.

Rue Saint-Léonard, Stacy retrouve Nathalie Mahy, 10 ans. Accompagnée de sa maman, elle est allée chez le dentiste. On lui a arraché une dent. Le pire moment de la journée semble passé. 

Thierry, le papa de Stacy, et Catherine, la maman de Nathalie, entretiennent une relation amoureuse. Leurs filles se connaissent bien et s’apprécient. Aux alentours de 18 h, le couple et les enfants se promènent ensemble sur la braderie, puis ils s’attablent au café Les Armuriers. Les enfants vont et viennent, du château gonflable à la plaine de jeux, avec de fréquents passages au café.

Encore un verre, puis un dernier… Personne ne regarde sa montre, mais la nuit est déjà bien entamée lorsqu’on rappelle les enfants. Il est aux alentours de 1 h 30 ou peut-être 2 h du matin. Les souvenirs sont imprécis, mais une chose est sûre : Nathalie et Stacy ne répondent pas à l’appel. Thierry Lemmens part à leur recherche, sillonne les rues du quartier, interpelle les passants, en vain.

Le samedi 10 juin à 3h13 du matin, Catherine Dizier prévient la police. Ses propos sont nébuleux. Très vite pourtant, la police locale mesure le caractère inquiétant de l’affaire. Elle fait appel à la cellule "disparitions" de la police fédérale et entame les auditions des personnes présentes sur place, notamment au café des Armuriers. 

Tito, le patron, précise qu’il a encore vu les gamines vers 1h30 du matin. Elles étaient, dit-il, en train de s’assoupir sur une banquette. Il donne les noms des membres de son personnel, dont Christelle, la serveuse et son compagnon Abdallah Ait Oud, un gars "bizarre" selon le patron. Bizarre et inquiétant. En effet, Abdallah Ait Oud a été condamné à 5 ans de prison en 1994 pour viol sur sa nièce. Il a été libéré deux ans plus tard puis a collectionné les vols et les bagarres. Retour en prison jusqu’en 2000. Le 10 mars 2001, il commet à nouveau un viol sur une jeune fille de 14 ans qu’il a frappée à la tête et poussée dans sa voiture. L’expert psychiatre conclura à un état de démence. L’histoire d’Abdallah Ait Oud bascule. Son parcours de délinquant s’interrompt provisoirement. L’homme est interné, mais à l’établissement de défense sociale, on estime qu’il n’y a pas sa place dans la mesure où il relève de la psychopathie.

Cette erreur d’aiguillage aura des conséquences dramatiques. 

Un suspect est identifié, il se livre !

Dans la région de Liège, tous les libérés conditionnels pour mœurs sont contrôlés. Abdallah Ait Oud, 38 ans, manque à l’appel. Il vit à quelques dizaines de mètres seulement du café Les Armuriers.

Christelle, son amie, raconte qu’ils sont ensemble depuis six mois et qu’ils se sont rendus ensemble à la braderie le 9 juin en fin d’après-midi. Abdallah Ait Oud a acheté de la cocaïne qu’il est allé consommer chez un ami. Ensuite, il a circulé dans le quartier et s’est attardé près du podium. À 2 h du matin, heure de fin de service de Christelle, il n’est pas venu la chercher. La jeune femme s’en est étonnée. Vers 6 h 30, elle est passée au domicile d’Ait Oud ; il lui a répondu en se penchant à sa fenêtre et lui a dit qu’il était recherché par la police.

Le dimanche 11 juin 2006, le parquet de Liège lance un appel au ravisseur éventuel. Puis, le lendemain, il diffuse les images d’un suspect identifié comme l’ami de la serveuse. Et l’inattendu se produit. Le 13 juin, Abdallah Ait Oud se livre à la police, comme s’il ne craignait rien. "Comme je n’ai rien fait avec ces deux gamines, je me suis dit que je devais aller tout de suite à la police", dit-il.

Le soir même, un médecin légiste relève des égratignures sur les bras d’Ait Oud. Elles ont été causées par des ronces, répond-il. L’homme porte également des traces d’éraflures sur le dos, provoquées par un frottement contre un mur.

Abdallah Ait Oud raconte son week-end. Oui, il était bien au café Les Armuriers le vendredi 9 juin en soirée. Il s’est disputé avec Christelle, dit-il, a bu quelques verres puis s’est rendu chez son ami Bob. Il prétend ensuite être retourné au café. "J’avais trop bu, j’ai vomi et je suis rentré chez moi", poursuit-il, négligeant un épisode essentiel de la soirée. Samedi, dimanche et lundi, il erre dans la ville. Il veut voir Christelle et tente de rentrer chez elle par l’arrière en passant par un terrain vague couvert de ronces. Cela expliquerait les griffures et les éraflures. Il affirme qu’il se croyait recherché pour un vol d’essence et de voiture "empruntée" à une connaissance, mais, répète-t-il, il ne sait rien des petites filles, introuvables.

Ce n’est pourtant pas faute de les chercher. Entre la Meuse et la citadelle, entre voies rapides et ruelles coupe-gorge, le quartier Saint-Léonard est ratissé. On cherche Stacy et Nathalie dans le fleuve, dans la maison d’Ait Oud, dans les propos qu’il échange avec son compagnon de cellule, un policier infiltré…

Le 28 juin, l’horrible vérité met un terme à 17 jours de faux espoirs. En milieu de matinée, le corps de Stacy est découvert sous une plaque d’égout proche du lieu de la disparition. Vers 15 h, le corps de Nathalie est retrouvé un peu plus loin.

La science au service de l’enquête

Le parquet de Liège confirme que les petites filles ont été étranglées et que les corps ont été dissimulés dans un collecteur d’eau qui longe la voie ferrée. Voilà pour le constat ; le reste, ce sont des déductions scientifiques particulièrement précieuses dans cette affaire.

Ainsi, l’analyse du débit de l’eau permet de déterminer le moment où les corps y ont été placés, soit dans la nuit du 10 au 11 juin vers 5 h du matin, plus de 24 h après la disparition. À ce moment, le débit avait diminué significativement. Cette constatation trouve un écho chez un témoin providentiel. Un SDF affirme avoir vu Ait Oud dans le coin à cette heure très matinale. Était-ce un hasard ?

Ensuite, l’autopsie des deux petits corps va réduire considérablement la part du hasard. Durant 10 heures, vingt-deux spécialistes collectent le moindre indice que l’eau n’aurait pas effacé. Et ces indices sont nombreux. Sur les vêtements des petites filles, de nombreuses fibres textiles d’origine étrangère ont la même composition que les vêtements d’Ait Oud remis à la police après avoir été lessivés. Ces fibres sont brûlées comme sur le jean du suspect. Les experts identifient également des fils rouges provenant d’une couverture appartenant à Christelle, l’amie d’Abdallah.

Celui-ci tente de s’expliquer. "J’ai aidé les enfants à monter sur le podium, je les ai donc touchées", dit-il. Les scientifiques, pour leur part, parlent de contacts intenses, et les vidéos amateurs de la soirée montrent que les enfants se débrouillaient seuls. Une barre métallique les aidait à escalader le podium.

Les végétaux aussi vont parler. Abdallah Ait Oud a beau avoir lavé ses vêtements, on retrouve dans les poches de son pantalon et dans le siphon de son évier des graminées venant de la voie ferrée. Le long de celle-ci, les ronces sont nombreuses. Cela explique les éraflures et les griffures relevées sur son corps. Des témoins racontent également que le soir du 9 juin, Abdallah Ait Oud a abordé à plusieurs reprises de très jeunes filles. Il leur proposait de chercher avec lui des tortues. Les éléments accusateurs s’accumulent, mais la famille d’Abdallah Ait Oud continue à le soutenir et le principal intéressé nie toujours.

Le séjour des corps dans l’eau ne permet plus de retrouver des traces de sperme. Mais l’ADN va tout de même apporter un dernier élément capital : ce sont bien deux cheveux de Stacy qui se trouvaient dans le pantalon d’Ait Oud.

En janvier 2007, Aït Oud demande à être soumis au détecteur de mensonges. La conclusion est claire : il ment. 

Stacy et Nathalie, la réplique de Julie et Melissa

Le procès d’Abdallah Ait Oud s’ouvre le 26 mai 2008 devant la cour d’assises de Liège. Sa dimension émotionnelle n’échappe à personne. Stacy et Nathalie, c’est un peu la réplique de Julie et Mélissa : deux petites filles arrachées à l’enfance, séquestrées, salies, laissées pour mortes. Dans le box, un homme décrit comme un psychopathe. Et puis, hasard sans doute du calendrier judiciaire, c’est Stéphane Goux qui préside la Cour, comme il avait déjà présidé le procès Dutroux.

Dans le quartier Saint-Léonard, là où se sont déroulés les faits, l’atmosphère est pesante. On voudrait oublier, on préférerait effacer cette braderie maudite de 2006 ; alors on chasse les journalistes qui sont de retour dans ce quartier populaire et qui rouvrent des plaies. Mais tous se posent la même question : Abdallah Ait Oud va-t-il parler ?

Depuis 2 ans, l’homme nie les faits qui lui sont reprochés. Malgré les indices sérieux qui l’accusent, malgré son lourd passé et son profil réputé "dangereux", malgré la vingtaine d’interrogatoires auxquels il a été soumis, il tient bon. "Ce n’est pas moi", dit-il. "La police s’acharne sur moi plutôt que de chercher le vrai coupable. Celui qui a fait ça est un monstre", ajoute-t-il.

Au matin du 26 mai, c’est un homme au regard déterminé qui entre dans le box. Il ne jette pas un regard aux familles des victimes qui ont pris place au premier rang. Il écoute avec attention l’acte d’accusation, livre à la cour quantité de détails insignifiants, mais semble atteint de surdité lorsque le président l’interroge sur les événements de juin 2006. L’accusé se fait répéter les questions et donne des explications à tous les éléments à charge, ou presque. S’il a fait tremper son pantalon dans l’évier de la cuisine à côté de la vaisselle sale, c’est parce qu’il était taché de vomissures, dit-il. Oui, il s’est rasé les cheveux juste après les faits, mais c’était une habitude régulière, "tous les 2 ou 3 jours", précise-t-il. Quant à ses baskets neuves que la police n’a jamais retrouvées, il dit les avoir abandonnées quelque part, car le sac dans lequel elles se trouvaient était trop bruyant !

Dans l’après-midi du 3 juin, on assiste à une étrange procession. Les membres de la cour, les avocats, les policiers, la maman de Nathalie et l’accusé se fraient un passage dans les hautes herbes qui longent la voie ferrée. La cour s’est rendue sur les lieux du drame pour visualiser la géographie des lieux et apprécier les distances. Ait Oud essuie les insultes des riverains, sans un mot, sans une expression. Une question demeure : Stacy et Nathalie sont-elles mortes là où on a retrouvé leurs corps, ou bien ceux-ci ont-ils été déposés dans le caniveau postérieurement au décès ? Le silence de l’accusé répond à cette interrogation.

Le condamné s’effondre 

Le mardi 11 juin 2008, au terme de trois heures de délibération, le jury répond "oui" à la majorité des 23 questions qui lui sont posées. Oui, Abdallah Ait Oud est coupable d’avoir tué avec préméditation les petites Stacy et Nathalie après les avoir séquestrées, torturées et violées.

Les réponses s’égrènent dans le silence. L’accusé ne bronche pas. On en est alors à la question 18 : "L’enlèvement de Nathalie a-t-il causé sa mort ?" C’est l’une des rares questions à laquelle la réponse est non. À cet instant, Ait Oud, raide dans sa chemise rose, semble se plier en deux. Il s’effondre lourdement, manque de basculer par-dessus la balustrade du box des accusés, et un frisson de peur parcourt l’assemblée. Serait-ce une tentative d’évasion ? Un malaise simulé ? Ou, comme l’affirme un des avocats, la confrontation à la réalité ? "Il se retrouve face à l’horreur qu’il a commise, son esprit refuse de l’accepter puisqu’il l’a niée jusqu’alors", dit-il.

L’accusé est rapidement évacué et examiné par le docteur Boxho, celui-là même qui avait décrit quelques jours plus tôt les traces de sévices infligés aux deux petites filles.

Le lendemain, Ait Oud est de retour pour une courte audience portant sur la peine. L’avocate générale réclame le maximum, tandis que l’avocat d’Ait Oud ne plaide pas, conformément aux souhaits de son client, qui, la veille, avait une dernière fois clamé son innocence. "Mon passé, j’en ai honte. Mon passé m’a pourri la vie et m’a détruit. Mais là, je suis innocent", avait-il dit. Sans convaincre les juges, qui le condamnent à la réclusion à perpétuité assortie d’une mise à disposition du gouvernement pendant 10 ans. Ait Oud encaisse, sans montrer d’autres sentiments que l’impatience d’en avoir fini.

Rideau sur ces horreurs ? Pas tout à fait. Dans les deux semaines qui suivent, Abdallah Ait Oud se pourvoit en cassation. Il invoque le climat défavorable qui, selon lui, aurait régné durant le procès. Il est débouté. En mai 2009, il se tourne vers la Cour européenne des droits de l’homme. Il dénonce un manque de motivation du verdict, l’absence de procédure d’appel et une campagne médiatique qui l’aurait condamné avant le jugement. En vain, son pourvoi est arrivé trop tard !

Étonnamment, il trouve une alliée inattendue en la personne de Catherine Dizier, la mère de Nathalie. Celle-ci estime qu’Ait Oud ne peut pas avoir commis ces atrocités seul et qu’il reste trop de zones d’ombre dans le dossier. Mais à moins d’éléments neufs et significatifs, cette triste affaire est définitivement close.


 

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