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Affaires classées: mortelle vengeance à Visé

Le 18 avril 2014, un drame allait secouer la commune de Visé. Alors qu'ils se trouvaient dans l’allée de leur domicile, un couple de banquiers et un enfant de 9 ans sont froidement abattus par un individu armé d’un pistolet. Une histoire que la commune n’oubliera pas.

Nous sommes à la veille du week-end de Pâques, un vendredi soir tranquille. Il est un peu plus de 22h. Willie et Marie-Jeanne regardent la télévision lorsqu’ils entendent 5 ou 6 détonations. "Des pétards", se disent-ils, mais qui fait un tel bruit à cette heure ? Ils sortent dans l’allée de leur maison. Personne dans le voisinage, pas de voiture, rien. Si ce n’est une faible voix qui appelle à l'aide. Willie s’approche et distingue le corps d’une femme en position fœtale le long de la voiture de son voisin, garée au bout de l’allée. Près du coffre, un autre corps est couché sur le dos, celui d’un enfant. Dans l’obscurité, les époux Califice ne distinguent pas immédiatement la troisième victime. Madame court appeler les secours, tandis que monsieur s’accroupit auprès de sa voisine. Elle arrive à articuler quelques mots : "Trois balles", dit-elle, "j’ai mal".

Trois ambulances et deux véhicules du SMUR arrivent rapidement sur place. Mais les médecins ne peuvent déjà plus rien faire pour l’enfant, en état de mort cérébrale. Esteban avait 9 ans, il était le neveu et filleul de Carol Haid, 38 ans, consciente mais gravement blessée. Elle déclare ne pas connaître le tireur : "Il est arrivé près de mon mari, il lui a dit 'Tu te souviens de moi ?'. Ensuite, il a tiré", raconte-t-elle. Carol est transportée à l’hôpital dans un état critique. Elle décède quelques heures plus tard. Son mari, Benoit Philippens, 37 ans, est mort dans l’ambulance. Il avait été atteint par trois balles, dont une, fatale, à l’arrière du crâne.

Trois morts dans un quartier tranquille de Visé, trois exécutions, dont celle d’un enfant. Qui peut commettre de tels actes, et pourquoi ? L’enquête, qui commence, est confiée à la section homicide de la PJF de Liège. Rapidement, il apparaît que les victimes ont passé la soirée dans un restaurant de Mortroux avec un couple d’amis et les enfants de ceux-ci. La souche de paiement indique qu’ils quittent le restaurant à 22h04 pour rentrer à leur domicile. Des enregistrements vidéo récupérés chez des voisins montrent la Skoda du couple arrivant rue de Berneau à 22h18. Que se passe-t-il ensuite ? Une minutieuse enquête de voisinage apporte des renseignements contradictoires.

L’enquête prend trois directions

Une voisine dit avoir vu un homme traverser la rue en courant et monter dans une Mercedes ancien modèle. Une autre a été intriguée par un véhicule roulant à vive allure, tous feux éteints. Jean-Claude se souvient d’une Mercedes roulant très vite, Michel pense que le véhicule était gris, tandis qu'Olivier penche plutôt pour une VW verte... Impossible d’aboutir à une certitude, d’autant que ce soir-là, des matchs de mini-foot ont lieu au centre sportif situé à proximité du domicile des victimes. Les va-et-vient sont incessants, le parking est couvert par des caméras de surveillance, mais rien n’indique un comportement suspect.

Les enquêteurs vont alors suivre trois pistes en parallèle : celles du vol, de la vengeance privée, et du différend professionnel. Le vol est rapidement exclu. Le sac à main de Carol était à ses pieds, la clé de la voiture était toujours à l’intérieur, et la porte de l’habitation n’a pas été fracturée. Tout indique que l’auteur des coups de feu attendait le retour des victimes pour les abattre. Une vengeance, sans doute, mais pourquoi ?

Carol et Benoît sont banquiers : il dirige quatre agences, tandis qu’elle conseille les entreprises. Elle est appréciée pour sa gentillesse, sa disponibilité, et son empathie. Il est admiré pour sa réussite, mais se montre très exigeant et volage en privé. Ses boîtes mail regorgent de messages coquins échangés avec des employées de la banque ou avec des clientes. Une maîtresse jalouse ou un mari trompé se serait-il vengé ? Cette hypothèse va donner lieu à de très nombreuses investigations. Les emplois du temps des compagnons des maîtresses sont passés au peigne fin, et les voitures de certains sont examinées à la loupe. Des femmes qui, par le passé, se sont plaintes de harcèlement de la part de Benoît Philippens sont entendues, et des courriers anonymes le dénoncent, mais rien de concret n’émerge.

Reste la piste professionnelle. Les policiers s’intéressent alors aux clients mécontents du couple de banquiers, et plus précisément aux plaintes déposées dans les agences où ils ont travaillé, ainsi qu’aux dénonciations de suspicion de blanchiment qu’ils auraient pu communiquer au fisc. En vain. Jusqu’à ce qu’ils trouvent, au domicile du couple, le dossier Troaino. Ce contentieux bancaire va les mettre sur la bonne piste.

Tués pour un crédit refusé ?

En mai 2011, Carol Haid, alors employée dans une agence bancaire d’Aubel, reçoit Amédéo Troiano et son épouse. Ils souhaitent ouvrir un second salon de coiffure et un solarium, et sollicitent un crédit de 175 000 euros. Carol Haid est favorable à leur demande et la transmet au niveau régional, mais la banque refuse le crédit. Carol Haid introduit un appel interne auprès du directeur de zone pour un crédit moindre, assorti d’une garantie hypothécaire fournie par le père d’Amédéo Troiano. Mais les époux sont pressés. Début juin, ils commandent des bancs solaires pour plus de 100 000 euros et signent un bail commercial de 9 ans avec un loyer mensuel de 2 500 euros. Les mois passent. Dans un courrier adressé notamment à son mari et chef, Benoît Philippens, Carol exprime son malaise, car la situation n’est pas claire. En septembre 2011, la banque refuse le prêt.

Pour les époux Troiano, c’est une catastrophe. Dans un mail, ils exhortent les banquiers à trouver une solution et à tenir leurs promesses. Plus tard, ils les tiennent personnellement responsables de leur débâcle financière. "Ma patience a des limites", écrit Troiano. "Je me rends compte qu’à l’heure actuelle, vous et Monsieur Philippens êtes en train de vous laver les mains de ce dossier et vous nous avez mis dans une situation de crise". Finalement, le couple Troiano assigne la banque devant le tribunal de commerce pour rupture abusive de contrat et alerte la presse. Pour eux, c’est la légèreté des banquiers qui les a mis dans cette situation inextricable. Le père d’Amédéo Troiano a dû vendre sa maison à bas prix, ils ont dû fermer leur salon de coiffure à Verviers, et sont au bord de la faillite. Les autres banques refusent leurs demandes de crédit et la justice ne leur accorde pas la procédure de réorganisation judiciaire qu’ils sollicitent. C’est l’impasse. Une impasse qui, pensent les policiers, pourrait constituer un mobile pour les assassinats d’avril 2014.

Les soupçons se confirment

Amédéo Troiano est entendu une première fois le 13 mai 2014. Il confirme son litige avec la banque, mais affirme qu’il n’a rien à voir avec la mort de ses banquiers. D’ailleurs, il ne possède pas d’arme et déclare avoir passé le week-end de Pâques chez ses cousins à Stuttgart. Il explique avoir quitté son domicile le vendredi 18 avril en fin d’après-midi, sur un coup de tête, au volant de la BMW prêtée par son père. Dans sa précipitation, il n’a emporté ni valise ni téléphone portable. "Je l’ai oublié", dit-il.

Son père confirme ses dires, mais ne cache pas son inquiétude lorsqu’il apprend les meurtres. "J’espère que tu n’as pas fait ça", a-t-il demandé à son fils le dimanche ou le lundi suivant les faits. "Pa, je ne suis pas fou", répond Amédéo. Son épouse ajoute que le 18 avril, dans l’après-midi, ils ont visité une maison à louer. Il était séduit, elle craignait de ne pas pouvoir payer, ils se sont disputés, puis il serait parti sans prévenir.

Évidemment, les enquêteurs vont vérifier l’alibi allemand. Le cousin Mario déclare qu’Amédéo est bien venu à son restaurant, mais seulement le samedi vers 10h du matin. Ses dires sont confirmés par un autre cousin et par l’épouse de ce dernier. Selon elle, Amédéo semblait fatigué, il voulait prendre une douche et se coucher.

Confronté à ces déclarations, Amédéo Troiano reconnaît avoir menti. Le soir du 18 avril, dit-il, il était déprimé, pensait à se suicider et se serait gavé de médicaments. Il se serait endormi dans sa voiture et n’aurait pris la route de l’Allemagne que le lendemain, vers 5h du matin.

À cet alibi bancal s’ajoutent des expertises défavorables. Les images de la BMW utilisée par Troiano sont superposées aux images d’un véhicule suspect vu la nuit des meurtres, et cela correspond parfaitement. "Aucune différence", dit l’expert. Des vêtements de Troiano sont saisis, et des résidus de poudre y sont découverts. Son ordinateur révèle qu’il a cherché l’adresse des banquiers et un itinéraire alors qu’il se trouvait dans la rue des victimes, mais les experts ne peuvent pas dater cette géolocalisation. Enfin, sur son téléphone, les policiers découvrent une vidéo dans laquelle Troiano se saisit d’une arme qu’il place sous son oreiller.

Ses antécédents judiciaires complètent ce sombre tableau. En 2005, Amédéo Troiano a été condamné pour car-jacking et extorsion à main armée.

L’homme de 32 ans est renvoyé devant la cour d’assises de Liège pour trois assassinats.

L’insupportable silence de l’accusé

"Je suis innocent. Depuis deux ans et demi, je suis accusé injustement et détruit psychologiquement. Je ne peux pas continuer à parler", déclare Amédéo Troiano au début de son procès.

Ce seront quasiment les seuls mots qu’il prononcera. Durant les trois semaines suivantes, l’accusé fait usage de son droit au silence, ce qui est insupportable pour les parties civiles qui espèrent des explications et des aveux. Ce silence est inédit en 300 procès d’assises, mais prévisible pour les avocats de la défense. Ceux-ci révèlent qu’Amédéo Troiano refuse de répondre aux interrogatoires depuis deux ans et qu’ils plaideront l’absence de preuve déterminante, en faisant valoir que le doute doit profiter à l’accusé. Ils sollicitent l’audition de sept conseillers techniques supplémentaires afin de mettre à mal les présomptions de culpabilité rassemblées par les policiers. "Procédé déloyal", répondent les avocats des victimes, qui soulignent le caractère tardif de ces demandes.

Les derniers mots de Carol Haid seront au cœur des débats. La jeune femme, grièvement blessée, avait dit ne pas connaître le tireur. Or, elle connaissait Amédéo Troiano, souligne la défense. Elle l’aurait forcément reconnu. "Elle ne l’avait plus vu depuis 2011", répond l’accusation. Et puis, la stupeur et l’incompréhension qui ont saisi Carol ont sans doute pris le pas sur ces souvenirs anciens. Enfin, un climatologue confirmera que cette nuit sans lune était propice aux crimes.

Le 22 février 2017, après quatre heures de délibération, le jury déclare Amédéo Troiano coupable de l’assassinat de Benoît Philippens et des meurtres de Carol Haid et du petit Esteban. Autrement dit, les jurés ont estimé que Troiano avait prémédité la mort de Benoît, mais pas celles de ses autres victimes. L’accusé sortira de son silence pour qualifier le verdict de "scandaleux". Il demandera à ses avocats de ne pas plaider sur la peine. Celle-ci tombe le lendemain : "prison à perpétuité", décide la Cour. Le pourvoi en cassation du condamné n’y change rien ; il sera rejeté.


 


 

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