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Laure (nom d’emprunt afin de garantir l’anonymat) fait état de la dégradation des conditions de travail dans la maison de repos et de soins où elle est employée, dans le Brabant wallon. Du fait du manque de personnel infirmier, "les résident manquent de soins", raconte-t-elle. "Un scandale !", dénonce-t-elle via le bouton orange Alertez-nous.
Une seule infirmière pour environ 90 chambres
Laure est une infirmière expérimentée qui a travaillé dans divers services hospitaliers et plusieurs maisons repos. "J'adore mon travail et je le fais droitement, confie-t-elle. Mais mon regard s’est aiguisé avec les années". Actuellement, son cadre de travail ne lui permet pas de prodiguer des soins infirmiers suffisants, estime-t-elle.
Laure travaille généralement de 7h à 15h. Elle passe de chambre en chambre avec son chariot. "Je toque, je rentre, je donne le traitement à la personne", raconte-t-elle. Il s’agit souvent d’administrer des antidépresseurs, des hypotenseurs, de mesurer la glycémie et donner de l'insuline… "Il faut tout vérifier parce que si on fait une erreur, c'est très grave", explique-t-elle.
On doit faire beaucoup, en courant
Le dialogue avec les résidents est très limité. "Je demande à la personne comment elle a dormi, si elle va bien. Mais on doit faire beaucoup, en courant, regrette-t-elle. Ils disent une phrase, je suis déjà dans la chambre suivante. Sinon je n’ai pas fini". Laure passe ainsi dans environ 90 chambres, dans cette résidence qui en compte une centaine. Elle ne fait pas toutes les chambres car il y a des gens en "résidence service", qui se gèrent eux-mêmes.
Un travail peu gratifiant pour les infirmières, une qualité de soins insuffisante pour les résidents
Cette manière d’exercer son travail ne lui apporte pas satisfaction. "On n'est plus des infirmières, on est des espèces de petits robots sans humanité", déplore-t-elle. Ses collègues ne sont guère plus épanouies : "Les infirmières partent les unes après les autres parce que le travail devient insupportable", constate-t-elle.
Ce fonctionnement se fait au détriment des résidents. "Le premier soin dont ils manquent, c'est l'humanité, le temps de les écouter", regrette Laure. L’insuffisance de soins techniques a aussi des conséquences : "des pansements qui s'infectent, des escarres qui deviennent plus profondes. Il faut plus d'antibiotiques pour tout ça. Les infections urinaires augmentent. Les chutes augmentent. On les laisse par terre pendant longtemps parce qu'on ne va pas assez dans les chambres", raconte-t-elle.
Et d'un coup ils sont traités comme des chiens
L’infirmière dresse un amer constat : "Les gens en fin de vie n'ont pas les soins qu'ils méritent… Ce sont des gens qui nous ont élevés, c'était nos parents, ils ont payé nos études, se sont levés la nuit pour nous. Et d'un coup ils sont traités comme des chiens".
Depuis le début de l’épidémie de Covid 19, les conditions de travail se sont dégradées, estime Laure. "Elles n'étaient déjà pas gradées", ironise-t-elle. Quand elles étaient auparavant 3 infirmières pour un shift de 7 à 15h, elle est désormais la seule infirmière pour la même charge de travail. 5 à 6 aides-soignants sont également présents pendant ce même shift. "S’ils ne sont pas malades", note l’une de ses collègues.
Un taux d'absentéisme deux fois plus haut à cause de l'épidémie de Covid 19
Laure remarque l’importance actuelle de l’absentéisme au sein de l’établissement. "Il y en a toujours eu mais c'est encore pire qu'avant", note-t-elle.
Vincent Fredericq, secrétaire général de la Femarbel (la Fédération des maisons de repos), corrobore : "Le secteur doit actuellement faire face à un doublement de l’absentéisme du personnel". Les causes ? "Le développement d’omicron dans la société et un problème de taux de vaccination du personnel qui est encore non satisfaisant", résume-t-il. "Mais je ne prétends pas que les absents sont uniquement ceux qui refusent la vaccination", précise-t-il.
On manque de bras
Vincent Fredericq donne un exemple concret d’une situation survenue récemment dans une maison de repos de Bruxelles : "Des membres de l’équipe de soins ont reçu un coup de téléphone de la crèche où ils ont leurs enfants en fin d’après-midi pour les informer de la présence d’un foyer épidémique et de la fermeture de la crèche le lendemain. Ces deux membres de personnel ne vont quand même pas laisser des enfants de deux ans tout seuls à la maison…"
Le recours à des intérimaires n’est pas une solution. Laure l’a remarqué dans la résidence où elle travaille : "Ils n'en trouvent pas". Ce que confirme Vincent Fredericq : "C’est un problème transversal, aussi bien dans les maisons de repos que dans les hôpitaux, qu’à domicile : on manque de bras. J’ai même certains établissements qui refusent de nouveaux résidents parce qu’il manque de personnel pour s’en occuper".
Du personnel de l'armée mis à la disposition des maisons de repos
Quant à la situation de Laure, Vincent Fredericq reconnait qu’une seule infirmière pour 90 résidents, c’est insuffisant. Il précise d’ailleurs qu’en maison de repos et de soins, "la norme, c’est 5 équivalents temps plein infirmier par tranche de 30 résidents". Pour le secrétaire général de la Femarbel, cet établissement a intérêt à se rapprocher de l’AViQ ou du gouverneur en vue de faire intervenir l’armée. En effet, depuis début janvier, la Défense met 1.500 membres de son personnel, dont 200 formés médicalement, à disposition des maisons de repos pour compenser l’absentéisme dû à l'épidémie de coronavirus. En outre, Vincent Fredericq indique que des discussions avec la Croix Rouge sont en cours pour faire face à des situations d’urgence en maison de repos.
Je traverse la rue et j'ai un autre emploi
Infirmier, un métier pas assez valorisé ?
De manière plus générale, Laure regrette le manque de reconnaissance pour son métier. D'autant que le personnel infirmier est particulièrement demandé. "Je traverse la rue et j'ai un autre emploi. Je rentre, ils me donnent ma blouse et ils ne veulent même pas savoir comment je m'appelle", dit-elle pour caricaturer la situation. Avec une charge de travail qui a "presque triplé", note-t-elle, Laure n’a pourtant pas vu son salaire augmenter. "On est perçues comme des nones, regrette-t-elle. Dans l'inconscient collectif, une infirmière, c'est une petite sainte qui dit 'oui' à tout. Mais il faut quand même être un peu juste. Tout le monde doit payer son petit logement et tout".