Partager:
Une page se tourne pour la célèbre marque de lingerie Victoria's Secret, connue pour son défilé de mode ultra-sexy aujourd'hui disparu: sa maison mère L Brands en a cédé le contrôle à un fonds, semblant admettre ainsi que la griffe n'est plus populaire et branchée.
Le nouvel actionnaire majoritaire est le fonds Sycamore, qui a déboursé 525 millions de dollars en échange de 55% du capital.
Cette opération valorise la société à 1,1 milliard de dollars, loin de la valeur boursière des marques prisées actuellement par la gent féminine, comme Lululemon (un peu plus de 34 milliards de dollars).
Lex Wexner, 82 ans, qui avait racheté Victoria's Secret en 1982, pour un million de dollars à l'époque, va abandonner ses fonctions de PDG à la fin de la transaction. Lui et sa femme Abigail vont toutefois rester membres du conseil d'administration.
M. Wexner s'était récemment retrouvé sous les projecteurs pour ses liens avec Jeffrey Epstein, le financier new-yorkais mort en prison en août après avoir été inculpé de multiples agressions sexuelles sur des jeunes filles mineures.
En juillet 2019, une série d'articles du New York Times a révélé comment M. Epstein, ancien conseiller financier de M. Wexner, recruté à la fin des années 1980, utilisait Victoria's Secret pour approcher des jeunes femmes, allant même jusqu'à se faire passer pour un recruteur de mannequins afin de les contraindre à des rapports sexuels.
M. Wexner a assuré avoir coupé les ponts avec M. Epstein il y a 10 ans, mais est soupçonné par certains d'avoir été son principal soutien financier.
Outre les déboires de son fondateur, Victoria's Secret - lancé dans le sillage du boom des centres commerciaux géants (malls) aux Etats-Unis - a été rattrapé par des accusations de sexisme.
La société avait ainsi annulé en novembre dernier son défilé aux tenues affriolantes, en décalage avec le mouvement #MeToo.
- Les anges -
La griffe, qui incarnait autrefois le glamour, s'est embourbée dans une série de polémiques. Le manque de diversité et l'esprit "femme-objet" lui étaient notamment reprochés. Des critiques d'autant plus vives que d'autres marques comme Savage X Fenty, la griffe de lingerie de la chanteuse Rihanna, ou ThirdLove, qui vend ses soutiens-gorge en ligne, affichent une politique d'inclusivité.
Victoria's Secret s'était imposée dans le monde de la lingerie avec ses "anges", le plus souvent des mannequins en vue, défilant en tenues aguichantes lors d'un show auquel étaient conviées vedettes de la musique et du cinéma. Les mannequins brésiliens Gisèle Bundchen et Adriana Lama, la Britannique Naomi Campbell ou encore l'Américaine Tyra Banks étaient des visages récurrents.
Sous le feu des critiques et pour faire oublier des déclarations transphobes et grossophobes de son directeur marketing, Victoria's Secret a dévoilé en début d'année des mannequins de toutes les couleurs et de différentes tailles.
Mais un peu trop tard. Les ventes s'étaient déjà effondrées, tandis que l'action du groupe a été divisée par 4 depuis son pic en 2015.
"La vente de la majorité du capital est une admission tacite que Victoria's Secret n'est plus dans l'air du temps", estime Neil Saunders, expert au cabinet GlobalData. "La marque était dans une impasse", ajoute-t-il.
"Nous pensons que la séparation de Victoria's Secret Lingerie, Victoria's Secret Beauty et PINK en une société privée constitue le meilleur moyen de ramener leurs activités à leurs niveaux historiques de rentabilité et de croissance", a commenté M. Wexner dans un communiqué.
L Brands prévoit d'utiliser l'argent de la cession des parts de Victoria's Secret pour réduire sa dette.
En changeant de propriétaire, Victoria's Secret devrait également changer de stratégie, à l'image de la marque Abercrombie & Fitch qui appartenait aussi à L Brands avant de devenir une société indépendante.
L'expert Neil Saunders anticipe un retour vers des soutiens-gorge et sous-vêtements plus adaptés à la vie des femmes actives et un marketing incitant les femmes à accepter leur corps.
"Nous nous attendons à plus d'authenticité, à des sous-vêtements moins érotisés et plus en accord avec la façon de penser de la majorité des consommateurs", avance M. Saunders.
Le fonds Sycamore est réputé pour lancer des cures d'austérité drastiques, marquées par des cessions d'actifs et des suppressions d'emplois, dans les entreprises qu'il rachète. Ce furent le cas avec le groupe textile Nine West en 2017 et la chaîne d'articles de bureau Staples en 2018.
L Brands va garder en revanche le contrôle de la chaîne de magasins de produits de soins Bath & Body Works, qui est devenue la principale source de bénéfices de l'entreprise ces dernières années.