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"Une douleur qui perfore toute l’âme": Emma, victime d'un viol, témoigne

Victime d'un viol en septembre dernier, Emma (prénom d'emprunt) témoigne de ce qu'elle a vécu dans le sous-sol d'un immeuble à Zaventem. De l'audition auprès de la police jusqu'au suivi psychologique dans un centre d'aide aux victimes, la jeune femme explique ce qui, selon elle, devrait évoluer pour apporter un soutien "plus adéquat".

Emma est traumatisée après avoir été victime d'un viol dans un immeuble situé à Zaventem (Brabant flamand). Malgré la douleur, la jeune femme a décidé de témoigner pour mettre en avant le soutien des services d'aide et ce que la police met en œuvre quand elle est confrontée à ce type de situation.

Interrogés, le parquet de Hal-Vilvorde et la police locale de Zaventem indiquent ne pas pouvoir communiquer sur les faits, car "une enquête est en cours".   

En attendant les résultats de cette enquête, Emma partage ce qu'elle a vécu, avec le souhait de faire évoluer l'accompagnement des victimes "sur certains aspects".

En septembre dernier, elle raconte avoir été victime d'un viol après s'être rendue au sous-sol de son immeuble. "Je suis descendue au -1 pour aller faire des lessives. Je suis alors tombée sur deux personnes qui m’ont directement attrapée et droguée. Il s’est ensuite passé ce qu’il s’est passé. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs fixes, c’est très flou. Ils m’ont clairement agressé sexuellement", témoigne-t-elle.

"C’étaient visiblement des squatteurs. Ils sont certainement rentrés grâce à une porte laissée ouverte ou quelque chose comme ça. Normalement, il y a des badges, mais les portes restent très souvent ouvertes. Il n’y a pas de caméra... On se dit toujours, si ça m’arrive, je lui mets un coup de pied. Je me défends, je le frappe. Mais en fait, dans ces moments-là, on a une réaction totalement normale. On se tétanise complètement, car c’est la réaction la plus sécuritaire face à ce genre de situation. Fuir ou frapper, c'est beaucoup trop dangereux. Pour pouvoir survivre, on se tétanise complètement. On se dissocie du moment. Et on prie pour ne pas mourir. Je réalisais ce qu’il se passait", poursuit Emma. 

"J’avais des moments de conscience et d’inconscience. Quand ils m’ont attrapée, je me disais que je ne voulais pas ça. Je priais pour que ça ne m’arrive pas. On se dissocie complètement pour ne pas vivre cette chose atroce. Avec du recul, je me rends compte que ce moment-là est une douleur, non pas physique, mais qui perfore toute l’âme. Le viol est une douleur qui va super loin dans les entrailles. Cela reste ancré en moi."

J’ai fortement crié à l’aide

Emma dit avoir "crié", ce qui a alerté les voisins, qui ont appelé la police.

"Dès le moment où ils sont partis, et que j’ai repris conscience, j’ai fortement crié 'à l’aide' pendant longtemps. Ce sont des voisins qui ont entendu. Mais il était tard. Les habitants ont peut-être cru à une scène de ménage. Heureusement, il y en a deux qui ont appelé la police. Je pense que celle-ci venait aussi pour une scène style scène de ménage. Ils ont cherché dans tout l’immeuble, à tous les étages, avant de me trouver au -1, attachée au radiateur."

Une ambulance est ensuite arrivée sur place et Emma a été emmenée dans un centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) au CHU Saint-Pierre à Bruxelles.

"Quand la police est arrivée, elle a appelé directement l’ambulance, qui m’a directement emmenée au CPVS de Saint-Pierre, qui a la démarche à suivre. Heureusement, car j’ai vraiment été très bien encadrée. Dès mon arrivée, c’était un cadre sécuritaire, avec un psy, une assistante sociale, une infirmière… J’ai été examinée dans le respect, dans la bienveillance", témoigne-t-elle. 

"Quand j’étais là-bas, il y a une inspectrice qui est arrivée et qui m’a brièvement auditionnée, mais je n’ai aucun souvenir de ce qu’elle m’a demandé, car j’étais complètement déconnectée. Ce petit truc qu’ils m’ont injecté m’a fait énormément d’effets, et je ne me rappelle plus ce qu’elle m’a posé comme question. Je sais juste qu’ils ont pris mon téléphone pour fouiller dedans. Apparemment pour voir si c’était quelqu’un qui m’espionnait et que je connaissais. Je suis restée 4 jours à l’hôpital, et le lendemain de ma sortie, j’ai été auditionnée à la police. La même police qui est venue au CPVS." 

Lors d'une "audition de 5 heures" auprès de la zone de police de Zaventem, Emma dit avoir été marquée par certaines questions.

"Ils ont d’abord demandé que je me décrive, physiquement et personnellement. Des questions sur les faits… Ils m’ont très vite posé des questions sur mes vêtements, comment j’étais habillée… Ce que je faisais-là, à cette heure-là. Pourquoi je suis allée faire mes lessives si tard alors qu’il était 23h30. Je pense que chaque femme, ménagère, peut faire ses lessives à 23h, surtout après une journée de travail. Ils m’ont dit que ce n’était pas une bonne idée d’aller faire les lessives à cette heure-là." 

Et de poursuivre: "(...) Ils m’ont aussi demandé si j’avais mis en scène cette situation, pour avoir de l’attention sur moi. Ils m’ont dit que certaines personnes ont le fantasme d’être agressées sexuellement et du coup, ils mettent ça en scène. Après elles regrettent et sont blessées. Toutes des questions très trash. Ils m’ont demandé si j’avais joui... Quand on sort d’un traumatisme pareil, avoir des questions comme ça, ça nous fait poser la question : est-ce que ça serait de ma faute ? Ils m’ont aussi demandé si je les avais cherchés, si j’avais été tentatrice avec eux. Je me suis du coup demandé, est-ce j’aurais dû ne pas descendre faire mes lessives et juste rester chez moi entre 18h et 6h du matin ? Est-ce que c’est ma faute ? Je me suis aussi demandé si je ne devais pas retirer ma plainte pour éviter que ça ne me retombe dessus. C’est ce qui est très choquant. Je comprends les personnes qui ne vont pas porter plainte ou qui retirent leur plainte, parce que la situation se retourne un peu contre nous."

Emma estime que les procédures devraient être modifiées. "Ce n’est pas la faute des inspecteurs de police. Ils ne font que leur travail et respectent ce qu’on leur dit de faire. Mais il faudrait changer le type de questions, car j’ai l’impression qu’il y a cette présomption d’innocence envers le suspect, mais pas envers la victime. Du coup, ils essayent d’abord de prouver que la victime est en tord avant, comme ça il n’y a plus d’enquête à faire. C’est cette sensation que j’ai eue, que c’était la victime qui est coupable et non pas le suspect."

Nos questions vont spécifiquement s’adapter à la victime

Comment se déroule l'audition? Nous avons posé la question à Ikram Ouardani, inspectrice de police au service mœurs au sein de la zone de police de Bruxelles-Capitale Ixelles. 

"Avant de commencer l’audition, on essaie de créer du lien et de prendre le temps de discuter avec la personne. Ensuite, en début d’audition, on va lui expliquer ses droits. Les victimes en ont et ça doit être porté à leur connaissance avant qu’on ne commence l’audition. On va mettre en place un cadre en expliquant comment va se dérouler l’audition. Pour nous, il est important de dire qu’on est quelque part à sa disposition, et que c’est elle qui va mener l’audition. On est là pour poser des questions et pour comprendre ce qui s’est passé. Elle va devoir nous apporter les éléments et on va la guider pour ça".

"En début d’audition, on va s’intéresser à elle. On va partir sur des sujets plus neutres, qui ne la mettent pas en danger. Ensuite, on va rentrer dans le vif du sujet, et on va laisser la victime nous parler spontanément. Elle va nous faire un récit libre. On va l’écouter sans l’interrompre. Une fois qu’elle a fini de nous raconter ce pourquoi elle est venue chez nous, on va passer au volet plus judiciaire. On va creuser et poser des questions sur ce qui s’est passé. On a une check-list qui nous permet d’être aidés. Mais évidemment, on s’adapte à la personne, on s’adapte à l’histoire de la victime. On ne peut pas poser des questions à une victime en suivant un canevas ou une check-list, car si les questions ne sont pas appropriées à son histoire, elle ne va pas se sentir écoutée. L’objectif de nos auditions est d’écouter la victime, de se baser sur ce qu’elle nous dit, et sur son vécu", détaille l'inspectrice. 

Ikram Ouardani indique avoir été formée pour ce type d'audition durant deux semaines. L'inspectrice intervient actuellement dans le centre de prise en charge des violences sexuelles à Bruxelles.

"Il faut être conscient qu’on travaille avec des victimes fragilisées. Peut-on poser toutes les questions? Les questions comme 'Comment étiez-vous habillée' ou 'Avez-vous joui ?' pourraient être posées. On peut poser toutes les questions durant une audition. Ce n’est pas par voyeurisme. Il y a un objectif derrière, en lien avec le dossier. Ce qui est important, c’est la manière d’apporter la question, et de l’expliquer à la victime. Pendant nos auditions, on croit la victime. En tant que policier, on travaille à charge et à décharge. C’est l’enquête qui se fait après audition. Si pendant l’audition, on relève des incohérences ou des contradictions, on va les soumettre à la victime et on va demander des explications". 

L'inspectrice est formelle : "Chaque agression est unique et chaque victime qui vient avec son histoire est unique. Du coup, nos questions vont spécifiquement s’adapter à la victime. On doit aller chercher tous les éléments, donc on doit pouvoir poser toutes les questions. On doit retracer toute l’agression. On doit connaître les réactions de la victime, qu’elles soient psychologiques ou physiques. Ce qui est important est de pouvoir faire ressortir l’intégralité de l’agression pour pouvoir ensuite confronter l’auteur." 

L'aide apportée par un CPVS, c'est très rassurant

Emma souligne par ailleurs que l’aide apportée par le centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) au CHU Saint-Pierre, "c’est très rassurant. "Heureusement que ça existe. On a le choix, mais j’ai désiré que le suivi se poursuive là-bas. J’y vais toutes les deux semaines. C’est au libre choix de la personne."

Véronique De Baets, porte-parole de l'organisme qui gère les CPVS, explique qu'auparavant, l’aide apportée aux personnes victimes de violences sexuelles "était extrêmement fragmentée".

"Les victimes devaient se rendre elles-mêmes à la police, chez le psy, chez le médecin… Le modèle CPVS va vraiment changer le paradigme de l’aide, et va placer la victime au centre de l’aide. Comment ? En rassemblant autour de la victime, une équipe pluridisciplinaire (avec un représentant de la police, un psy, un infirmier médicolégal, un médecin et une personne du parquet). Cette équipe va être disponible 24h/24, et 7 jours sur 7, dans un CPVS (un centre de prise en charge des violences sexuelles)."

Véronique De Baets estime que les victimes de violences sexuelles "ont la crainte de ne pas être crues" quand elles vont déposer plainte.

"Elles craignent qu’on ne les croie pas. Elles craignent qu’on ne les prenne pas au sérieux, et qu’il n’y ait pas de suivi de leur plainte. Elles peuvent aussi avoir un fort sentiment de culpabilité par rapport à ce qui leur est arrivé. Le fait d’être pris en charge de manière globale, et le fait de ne pas devoir faire soi-même toutes les démarches, va diminuer le risque de séquelles à long terme. Cela va faciliter le dépôt de plaintes. Les professionnels sont spécifiquement formés pour recevoir des victimes de violences sexuelles. Que ce soit au niveau de la police, au niveau de la justice, au niveau des médecins. Il y a 10 centres en Belgique. Un par arrondissement judiciaire."

La prise en charge globale des victimes se fait via des professionnels formés.

"Cela va permettre que les victimes puissent raconter leur histoire en toute confiance. On remarque qu’il y a une diminution des séquelles psychologiques sur les victimes. Quand elles sont prises en charge, on remarque qu’elles se remettent plus facilement de ce traumatisme. Cela a aussi un effet sur le dépôt de plainte. La fréquentation de ces centres augmente d’année en année. Plus ils sont connus, plus ils sont utilisés. Cela répond à une demande. Les victimes sont prises en charge extrêmement tôt. Ce sont des centres qui agissent en phase aigüe."

En Belgique, le dépôt de plainte auprès de la police après des violences sexuelles est estimé à 4%. "Quand elles sont prises en charge par un CPVS, ce dépôt de plainte monte pour atteindre 63%, seulement lors de la première admission. On sait que les victimes accueillies en CPVS ont ensuite 6 mois pour déposer plainte, par la suite. Les échantillons auront été récoltés par les infirmiers médicolégaux."

Et de conclure: "La police est de plus en plus formée, donc normalement les policiers sont formés ou en cours de formation pour pouvoir mieux accueillir les victimes dans les commissariats. Les CPVS ont été créés spécifiquement pour que les victimes ne doivent plus être reçues en commissariat, mais dans un espace safe, où elles vont pouvoir sentir qu’elles peuvent raconter leur histoire. A noter que 90% du public reçu dans les CPVS, ce sont des femmes. 10% sont des hommes. La moyenne d’âge est de 23 ans. Plus d’un tiers des victimes sont des mineurs." 

 

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