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L'année dernière, un tiers du chiffre d'affaires de Donatello a dû être dépensé dans la location d'emplacements. Selon lui, la rentabilité des évènements auxquels il s'inscrit est donc "très variable" et... de moins en moins bonne.
Donatello, propriétaire d'un food truck, se dit "outré" par les tarifs demandés par les organisateurs d'un événement en Belgique. "1.000 euros pour 4h de service, ça va trop loin", estime-t-il.
Depuis trois ans, il vend ses spécialités italiennes dans de nombreux événements publics et privés partout en Belgique. Et ces derniers mois, le commerçant dénonce l'augmentation de prix des emplacements dans les événements publics. Selon lui, certains organisateurs demandent des tarifs irréalistes.
"En 3 ans, les choses ont évolué bizarrement dans le milieu de l’événementiel. Au début, on s’est rendu dans plusieurs types d’événement. Mais avec le temps, on a appris que certains organisateurs exagèrent sur les pronostics de leurs événements. On a appris à trier au fur et à mesure des années, pour travailler avec les plus raisonnables. Les très gros festivals, on ne les fait pas, car donner autant d’argent… au bout du festival, on a travaillé énormément, on a engagé du personnel et souvent on n’en tire pas un très gros bénéfice", indique-t-il.
Récemment, la demande d'organisateurs pour la location d'un emplacement a "choqué" Donatello.
"1000 euros pour 4h... D’année en année, on nous dit que les coûts augmentent. Je me mets aussi à la place des organisateurs. Je sais que tout a augmenté (prix de l’électricité, augmentations de salaires…) et tout ça doit se répercuter quelque part. Les organisateurs, qui ont beaucoup plus de frais qu’auparavant, cherchent un peu à réduire les frais en augmentation les coûts des foodtrucks. Je n’ai jamais payé 1000 euros pour 4h... C’est dans la tendance, chez la majorité des organisateurs, d’augmenter les prix d’année en année. Il n’y a pas de cadre juridique au niveau des food trucks."
Pour assurer la rentabilité de son activité, le commerçant dit s'appuyer sur des "gens de confiance".
"C’est mon unique activité. En trois ans, j’ai trouvé des gens de confiance. On peut se mettre à table et discuter de prix réels. Ce qui arrive souvent, c’est que les prix sont sortis d’un chapeau de magicien. On nous demande autant car ils estiment devoir gagner autant. On nous fait parfois payer 500 euros de courant, alors qu’on en consomme peut-être une centaine. C’est un monde où on ne fait pas beaucoup attention à ce qui est juste. Celui pour qui ça marche, ça marche, sinon, on trouvera bien un autre foodtruckeur. Même un petit nouveau pourrait tenter l’aventure avec ce qui lui reste comme euros, et il ramassera une gamelle."
L'année dernière, un tiers du chiffre d'affaires de Donatello a dû être dépensé dans la location d'emplacements. Il explique également que dernièrement, la rentabilité est "très variable".
"L’année après covid, j’ai fait un bon chiffre d’affaires car on voyait bien que les gens avaient envie de sortir. Il y a eu un engouement durant une bonne année. Mais les gens ont ensuite été calmé par toutes les augmentations (gaz, mazout…). On a passé un sale hiver, le dernier hiver. On a l’impression que quand les gens vont sur un événement public, ils regardent à deux fois avant d’aller chercher un billet dans leur portefeuille. La vie est compliquée pour nos clients. Je me demande si on ne peut pas définir un cadre où tout le monde pourrait s’y retrouver, où on demanderait à payer la consommation réelle de chaque intervenant et chaque participant. Certains ne consomment pas d’électricité. J’aimerais payer ce que je consomme."
Le prix des emplacements sur les événements publics ont-ils augmenté?
Nous avons contacté Stijn Snaet, le porte-parole d’Event Confederation (une fédération regroupant plusieurs organisateurs d'événements), qui estime qu'il n'y a pas d'évolution significative des prix des emplacements.
Fabrice Willot, le président de la Belgian Food Truck Fédération, confirme lui l'augmentation des tarifs.
"Nous ne pouvons hélas que confirmer cette augmentation des prix. Il ne faut pas oublier qu’en 2016, il y a eu les attentats de Bruxelles et les organisateurs d’événements se sont vu imposer des normes de sécurité beaucoup plus importantes, qui ont un coût. Tous les autres secteurs, les organisateurs d’événements, ont subi l’augmentation des prix des biens et des marchandises. Forcément, ils se sont retrouvés avec des augmentations de prix d’organisation. Prix qu’ils répercutent probablement sur les foodtruckeurs. On est passé en moyenne de 130 euros la journée à plus de 249 euros la journée depuis 2018. Une augmentation de plus de 190% en 5 ans."
Fabrice Willot dit ainsi comprendre les craintes de Donatello et de ses confrères. "On comprend leur inquiétude, mais il y a d’autres secteurs d’activité pour les foodtrucks. Il y a les événements privés qui sont tout à fait rentables, il y a les emplacements pour food truck et d’autres événements. Il n’y a pas que les grands festivals. Il y en a des plus petits, plus abordables. La difficulté pour le foodtruckeur va être de trouver une place car tous les food trucks se rabattent sur le même genre d’emplacement", ajoute-t-il.
Le président de la Belgian Food Truck Fédération livre également ses conseils pour assurer une certaine rentabilité dans le monde des food trucks.
"Est-ce qu’en 4h, le foodtruckeur va faire un chiffre d’affaires suffisamment conséquent pour rembourser ou payer cet emplacement? Généralement, le foodtruckeur est capable de sortir entre 80 et 120 portions à l’heure. Certains sont capables d’atteindre 500 ou 600 à l’heure. Cela va dépendre de la taille du véhicule et de l’équipe. Mais la moyenne, c’est une centaine de portions. En 4h, cela fait 400 portions. Cela fait très cher le prix de la portion", souligne-t-il.
Et de poursuivre: "Le foodtruckeur devrait se rabattre sur d’autres types d’emplacement. C’est comme tout indépendant. Il doit choisir son emplacement et son activité en fonction de sa rentabilité. Un emplacement à 1000 euros pour 4h n’est clairement pas rentable. Je pense que c’est un peu excessif. Les food trucks forment un petit milieu et ils sont vite au courant de quels sont les bons ou les mauvais organisateurs. Un organisateur un peu cher va vite se retrouver sans foodtruck, car ils se passent le mot. Si l’organisateur est trop cher, il va se retrouver l’année prochaine sans foodtruck car plus personne ne voudra aller travailler avec lui. C’est un win-win pour l’organisateur d’événement et le foodtruckeur. Ils doivent travailler la main dans la main."
Comment estimer la rentabilité d’un food truck ? Fabrice Willot répond que la question est complexe. "Cela va dépendre du produit, de la capacité de vente et de production du foodtruckeur, et du type d’événement. Si c’est un événement où tout le monde peut venir avec sa collation… un événement où il y a beaucoup de points de vente horeca… Tout cela va entrer en ligne de compte. Cela quelque chose qui va être difficilement mesurable dès le départ. C’est sûr que si on est un food truck tout seul, qu’on vend des hamburgers et qu’il y a 200 clients à l’heure, est-ce qu’on est capable de fournir 200 hamburgers en une heure ? C’est la question que le foodtruckeur va devoir se poser."
Comment assurer la croissance du chiffre d’affaires ? "C’est surtout via l’image du foodtruck et le bouche à oreille. Au plus un food truck va exister, au plus il va avoir facile pour trouver des emplacements. Quand on démarre, c’est difficile. Le problème est qu’avant covid, on avait déjà un taux d’abandon de 56% dans les 12 premiers mois de l’activité. Or, c’est seulement à partir du 13e mois qu’on commence à être rentable et avoir de bonnes habitudes. C’est difficile de démarrer un food truck du jour au lendemain en étant rentable. Les premiers mois sont forcément les plus difficiles. Il existe une formation fournie par la fédération qui aide les starters à ne pas commettre d’erreur dès le départ. Les erreurs fréquentes : penser qu’on ne travaille que quelques heures par jour, qu’on peut s’installer n’importe où sans autorisation, mal choisir son produit, mal se préparer, penser qu’un festival rapporte beaucoup d’argent alors qu’il y a 60 foodtrucks sur l’événement, penser que tout seul on pourra rentabiliser sans aide… Il faut s’avoir que la marge bénéficiaire d’un foodtruckeur est de 30%. Ce n’est pas énorme. Par rapport au secteur horeca, elle n’est pas aussi importante. Quoique, en ce moment, le secteur horeca a vraiment du mal."
Le président de la Belgian Food Truck Fédération remarque par ailleurs que les foodtruckeurs n’ont pas encore répercuté l’augmentation des prix de l’énergie et des marchandises sur leurs prix. "On pense que l’augmentation va arriver en 2024 quand ils vont faire leur bilan 2023", conclut-il.